TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
28Z
Minute n° 24/432
N° RG 23/02519 - N° Portalis DBX6-W-B7H-YPCQ
6 copies
EXPERTISE
GROSSE délivrée
le06/05/2024
àMe Anaïs FOIX
la SCP LAYDEKER - SAMMARCELLI - MOUSSEAU
Me Eléonore TROUVE
COPIE délivrée
le06/05/2024
à
au service expertise
Rendue le SIX MAI DEUX MIL VINGT QUATRE
Après débats à l’audience publique du 25 Mars 2024
Par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Par Elisabeth FABRY, Première Vice-Présidente au tribunal judiciaire de BORDEAUX, assistée de Karine PAPPAKOSTAS, Greffière.
DEMANDEURS
Monsieur [D], [I] [H]
[Adresse 5]
[Localité 9]
représenté par Me Anaïs FOIX, avocat au barreau de BORDEAUX
Madame [R], [M] [H]
[Adresse 2]
[Localité 7]
représentée par Me Anaïs FOIX, avocat au barreau de BORDEAUX
DÉFENDEURS
Monsieur [Y] [E]
[Adresse 6]
[Localité 3]
représenté par Me Eléonore TROUVE, avocat au barreau de BORDEAUX
Société SELARL [10],prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 8]
[Localité 4]
représentée par Maître Xavier LAYDEKER de la SCP LAYDEKER - SAMMARCELLI - MOUSSEAU, avocats au barreau de BORDEAUX
I - PROCEDURE ET DEMANDES DES PARTIES
Par actes du 23 novembre 2023, Monsieur [D] [H] et Madame [R] [H] ont assigné Monsieur [Y] [E] et la SELARL [10] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux, aux fins de voir, au visa de l'article 145 du code de procédure civile, ordonner une expertise en écriture du testament olographe de Monsieur [K] [E], les frais et dépens étant réservés.
Les demandeurs exposent qu'ils sont les enfants de [T] [E], nés de sa seconde union avec Madame [H] ; que [T] [E], décédé en 1997, a eu d'une première union deux enfants : le défendeur, et Monsieur [K] [E], décédé le [Date naissance 1] 2021 ; qu'à compter de ce décès, Monsieur [Y] [E] a décidé de gérer seul la succession, comprenant non seulement la succession de leur père, mais aussi celle de leur tante décédée en 2007 sans héritiers réservataires, et celle de leur oncle, qui n'avait ni conjoint ni enfants ; que c'est seulement le 27 avril 2022 qu'ils ont eu les coordonnées du notaire en charge de la succession, qui leur a indiqué avoir appris leur existence quelques jours avant, ce qui nécessitait que soit effectuée une déclaration de succession rectificative qui a été établie ; que le notaire les a informés le 11 mai 2022 du dépôt à son étude par [Y] [E], le 10 mai 2022, d'un testament olographe par lequel [K] [E] a désigné [Y] [E] comme légataire universel ; que le notaire a refusé de leur communiquer une copie du testament ; que ce n'est que le 04 octobre 2022 qu'ils ont reçu cette copie, dans laquelle ils ne reconnaissent pas l'écriture d'[K] [E] mais plutôt celle du défendeur ; que compte tenu de l'importance de ce document, qui les évince de la succession, ils justifient d'un motif légitime à voir ordonner une expertise, dont le résultat sera déterminant dans la solution du litige.
L'affaire, fixée à l'audience du 12 février 2024, a fait l'objet de renvois pour échanges des conclusions des parties avant d'être retenue à l'audience du 25 mars 2024 où les parties ont fait valoir leurs observations.
Les parties ont conclu pour la dernière fois :
- les demandeurs, le 22 mars 2024, par des conclusions dans lesquelles ils maintiennent leurs demandes et sollicitent le débouté des defendeurs de leurs demandes plus amples ou contraires
- Monsieur [Y] [E], le 19 mars 2024, par des conclusions aux termes desquelles il demande à titre principal le rejet des demandes et à titre subsidiaire qu'il lui soit donné acte de ses expresses protestations et réserves sur la mesure d'expertise, la provision étant mise à la charge des demandeurs ; en tout état de cause, la condamnation des demandeurs à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Il expose qu'il a spontanément communiqué au notaire l'identité de ses frère et soeur ; que c'est lui qui les a avertis du décès de leur frère ; qu'il a découvert en mai 2022, à l'occasion de sa première visite dans l'appartement de son frère depuis son décès, parmi les documents du défunt, un testament olographe daté du 1er août 2021 par lequel son frère l'instituait comme légataire universel ; que les demandeurs ont attendu 4 mois pour missionner un avocat et obtenir copie du testament ; que ce n'est que le 23 novembre 2023, sans aucune démarche amiable, qu'ils ont intenté l'action ; que leur demande d'expertise ne se fonde sur aucun motif légitime ; que les doutes qu'ils expriment ne suffisent pas à caractériser un motif légitime ; que les éléments de comparaison qu'il verse aux débats confirment que l'auteur du testament est bien [K] [E]; qu'il peut d'autant moins en être le rédacteur que lors de sa découverte en avril 2022, il souffrait d'un traumatisme de la main droite suite à un accident en juin 2021, qui lui a valu deux arrêts de travail au 27 avril et 13 mai 2022 et l'empêchait d'écrire correctement, ce qui est toujours le cas ; que les demandeurs ne rapportent pas la preuve, qui leur incombe, de la potentielle invalidité du testament ; qu'ils tentent vainement de compenser la fragilité de leurs demandes par des considérations factuelles erronées voire mensongères ; que la teneur du testament n'a rien d'étonnant puisque le défunt n'entretenait aucune relation avec les demandeurs ; qu'il conteste avoir détourné l'héritage de leur tante, décédée en 2003, qui ne comportait aucun actif mais seulement quelques liquidités qui ont permis de régler les frais d'obsèques ;
- la SELARL [10], le 30 janvier 2024, par des écritures aux termes desquelles elle conclut à titre principal au débouté des demandeurs de toutes demandes à son encontre et à leur condamnation à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens ; à titre subsidiaire, qu'il lui soit donné acte de ses protestations et réserves sur la mesure d'expertise, à réaliser aux frais des demandeurs, et à leur condamnation aux entiers dépens.
Elle expose que Monsieur [E] l'a contactée à l'automne 2021 et que sur la base de ses déclarations, confirmées par un généalogiste, un rendez-vous de signature a été fixé le 26 avril 2022 ; que cependant aucun acte n'a été signé, Monsieur [E] l'ayant incidemment informée à cette occasion de l'existence des demandeurs ; qu'elle a contacté ces derniers le 03 mai 2022 ; que Monsieur [E] a déposé le testament olographe le 10 mai 2022, ce dont elle a informé les demandeurs le 11 mai 2022 avant de le déposer le 15 juin 2022 au rang des minutes de son étude ; qu'elle a communiqué le 04 octobre 2022 aux demandeurs une copie du testament ; qu'aucune suite n'a été donnée au mail adressé par leur avocate à l'étude le 21 octobre auquel elle a répondu le 16 novembre 2022 ; que mention de la contestation du testament a été portée sur l'acte d'inventaire des biens meubles le 21 juillet 2023 ; que la demande d'expertise ne se fonde sur aucun motif légitime pour ce qui la concerne ; que les demandeurs semblent invoquer, sans le démontrer, l'éventualité d'une action en responsabilité, dans le cadre de laquelle l'expertise sollicitée n'est en tout état de cause susceptible d'apporter aucune lumière, l'expert graphologue n'ayant aucune compétence pour apprécier les diligences du notaire ; que son rôle, très limité, dans le cadre de la succesion, est d'ores et déjà très clair ; qu'elle a agi conformément aux textes et à l'article 1007 du code civil, les droits des demandeurs étant réservés ; qu'elle n'est en rien responsable si les demandeurs ont mis plus d'un an pour agir à l'encontre de Monsieur [E]
La présente décision se rapporte à ces écritures pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
II - MOTIFS DE LA DECISION
sur la mesure d'expertise :
Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès le preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
La mise en oeuvre de cette disposition suppose l'existence d'un litige dont l'objet et le fondement sont suffisamment caractérisés, et l'impossibilité pour le demandeur de réunir lui même des éléments de preuve.
Les défendeurs opposent tous deux l'absence de motif légitime.
Monsieur [E] fait valoir que les doutes exprimés par les demandeurs ne suffisent pas à caractériser un motif légitime ; que les éléments de comparaison qu'il verse aux débats confirment que l'auteur du testament est bien [K] [E] ; que les demandeurs ne rapportent pas la preuve, qui leur incombe, de la potentielle invalidité du testament.
La mise en oeuvre des dispositions de l'article 145 n'exige pas cependant que soit rapportée la preuve des faits allégués, mais seulement que l'objet et le fondement du litige susceptible d'opposer les parties soient suffisamment caractérisés.
Tel est bien le cas en l'espèce, les demandeurs étant fondés à faire valoir que l'authenticité du testament olographe, qu'ils mettent en doute sans disposer ni des moyens, ni des compétences requises pour confirmer leurs assertions, est un élément déterminant dont dépendra le sort de l'action en annulation qu'ils envisagent.
C'est de manière inopérante que Monsieur [E] fait valoir qu'il est quant à lui en mesure d'affirmer que l'écriture est bien celle du défunt, ou qu'un traumatisme à la main exclut qu'il puisse être le rédacteur du testament, alors que cet acte, qui n'a pas été enregistré, n'a pas date certaine, et qu'en tout état de cause l'expertise sollicitée vise avant tout à déterminer dans un premier temps si [K] [E] en est l'auteur.
Il en résulte que les demandeurs justifient d'un motif légitime pour obtenir qu'une mesure d'instruction soit, dans les termes et conditions figurant au dispositif de la présente décision, ordonnée au contradictoire de Monsieur [E], concerné comme eux par la teneur de ce testament, sans aucune appréciation des garanties encourues.
Il en va autrement pour la SELARL [10], qui oppose à juste titre que la seule action envisageable pour ce qui la concerne est une action en responsabilité, et que l'expertise sollicitée n'est en aucun cas de nature à apporter le moindre éclaircissement dans le cadre d'éventuelles discussions sur ses diligences. Les demandeurs ne justifiant d'aucun motif légitime de l'attraire aux opérations d'expertise pour lesquelles sa présence est sans utilité, ils seront déboutés de leur demande à son encontre.
Il y a lieu en conséquence d'ordonner une expertise, dans les termes précisés au dispositif, au contradictoire de Monsieur [Y] [E].
Les demandeurs devront faire l'avance des frais d'expertise à hauteur de la moitié chacun. Monsieur [D] [H] bénéficiant de l'aide juridictionnelle totale, sa part de consignation sera prise en charge par le Trésor Public.
sur les autres demandes :
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge des défendeurs les sommes, non comprises dans les dépens, exposées par eux dans le cadre de l'instance. Leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.
Les demandeurs seront condamnés aux dépens.
III - DECISION
Le juge des référés du Tribunal judiciaire de Bordeaux statuant par une ordonnance prononcée publiquement par mise à disposition au greffe, de manière contradictoire et à charge d’appel,
Vu l'article 145 du code de procédure civile,
DEBOUTE Monsieur [D] [H] et Madame [R] [H] de leurs demandes à l'encontre de la SELARL [10] ;
ORDONNE une expertise en écriture ;
DÉSIGNE pour y procéder Mme [W] [G], [Adresse 11]
[Courriel 12]
qui pourra prendre si elle l'estime nécessaire recueillir l'avis d'un autre technicien, dans une spécialité distincte de la sienne avec mission
- de se faire remettre l'original du testament olographe de Monsieur [K] [E] daté du 11 août 2021, enregistré à l'étude de Me [O] le 15 juin 2022, rédigé en ces termes :
" je soussigné Monsieur [E] [K], sain de corps et d'esprit, désigne comme seul héritier de tous mes biens Monsieur [E] [Y] "
- de se faire remettre par les parties toutes pièces utiles en original et notamment toutes pièces de comparaison ;
- de comparer les échantillons d'écriture avec l'écriture du testament olographe ;
- de dire si ce testament a été écrit par Monsieur [K] [E]
- de dire si ce testament a été signé par Monsieur [K] [E]
- dans la négative, de dire si le testament a été écrit et/ ou signé par Monsieur [Y] [E]
- de fournir toute précision technique utile à la solution du litige
Dit que l’expert devra adresser aux parties un document de synthèse, ou pré-rapport ;
- fixant, sauf circonstances particulières, la date ultime de dépôt des dernières observations des parties sur le document de synthèse, lesquelles disposeront d’un délai de 4 à 5 semaines à compter de la transmission du rapport ;
- rappelant aux parties, au visa de l'article 276 alinéa 2 du code de procédure civile, qu’il n’est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au-delà du terme qu’il fixe.
Dit que l’expert répondra de manière précise et circonstanciée à ces dernières observations ou réclamations qui devront être annexées au rapport définitif dans lequel devront figurer impérativement :
- la liste exhaustive des pièces par lui consultées ;
- le nom des personnes convoquées aux opérations d'expertise en précisant pour chacune d'elle la date d'envoi de la convocation la concernant et la forme de cette convocation ;
- le nom des personnes présentes à chacune des réunions d’expertise ;
- la date de chacune des réunions tenues ;
- les déclarations des tiers entendus par lui, en mentionnant leur identité complète, leur qualité et leurs liens éventuels avec les parties ;
- le cas échéant, l’identité du technicien dont il s'est adjoint le concours, ainsi que le document qu'il aura établi de ses constatations et avis (lequel devra également être joint à la note de synthèse ou au projet de rapport)
Dit que l’original du rapport définitif sera déposé au greffe, tandis que l’expert en adressera un exemplaire aux parties et à leur conseil, dans un délai de six mois, sauf prorogation expresse ;
Fixe à la somme de 2 000 euros (1 000 euros X 2) la provision que les demandeurs devront consigner par virement sur le compte de la Régie du tribunal judiciaire de Bordeaux (Cf code BIC joint) mentionnant le numéro PORTALIS (figurant en haut à gauche sur la première page de la présente ordonnance) dans le délai de 2 mois, faute de quoi l’expertise pourra être déclarée caduque. Dit que la part incombant à Monsieur [D] [H], bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, sera prise en charge par le Trésor Public ;
Désigne le magistrat chargé du contrôle des expertises du tribunal pour contrôler les opérations d’expertise ;
DEBOUTE Monsieur [Y] [E] et la SELARL [10] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne les demandeurs aux dépens.
La présente décision a été signée par Elisabeth FABRY, Première Vice-Présidente, et par Karine PAPPAKOSTAS, Greffière.
Le Greffier,Le Président,