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23/04/2024 | FRANCE | N°22/07240

France | France, Tribunal judiciaire de Bordeaux, 1ère chambre civile, 23 avril 2024, 22/07240


N° RG 22/07240 - N° Portalis DBX6-W-B7G-XBFF
PREMIÈRE CHAMBRE
CIVILE







39H

N° RG 22/07240 - N° Portalis DBX6-W-B7G-XBFF

Minute n° 2024/00



AFFAIRE :


S.A.R.L. PRINTEKNOLOGIES

C/

S.A.R.L. ETIQ-PRINT, [O] [J]







Exécutoires délivrées
le
à
Avocats : la SCP DACHARRY & ASSOCIES
la SELARL HONTAS ET MOREAU




TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 23 AVRIL 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des d

bats et du délibéré :

Madame Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente,
Madame Patricia COLOMBET, Vice-Présidente,
Madame Delphine DUPUIS-DOMINGUEZ, Juge,

Madame Hassna AHMAR-ERRAS, adjoint administratif fais...

N° RG 22/07240 - N° Portalis DBX6-W-B7G-XBFF
PREMIÈRE CHAMBRE
CIVILE

39H

N° RG 22/07240 - N° Portalis DBX6-W-B7G-XBFF

Minute n° 2024/00

AFFAIRE :

S.A.R.L. PRINTEKNOLOGIES

C/

S.A.R.L. ETIQ-PRINT, [O] [J]

Exécutoires délivrées
le
à
Avocats : la SCP DACHARRY & ASSOCIES
la SELARL HONTAS ET MOREAU

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 23 AVRIL 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats et du délibéré :

Madame Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente,
Madame Patricia COLOMBET, Vice-Présidente,
Madame Delphine DUPUIS-DOMINGUEZ, Juge,

Madame Hassna AHMAR-ERRAS, adjoint administratif faisant fonction de Greffier

DEBATS :

A l’audience publique du 05 Mars 2024 sur rapport de Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente, conformément aux dispositions de l’article 785 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT:

Contradictoire
Premier ressort,
Par mise à disposition au greffe,

DEMANDERESSE :

S.A.R.L. PRINTEKNOLOGIES SARL
356 Avenue de l’Argonne
33700 MERIGNAC

représentée par Maître Philippe HONTAS de la SELARL HONTAS ET MOREAU, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats plaidant

DEFENDEURS :

S.A.R.L. ETIQ-PRINT SARL
104, Chemin des Mésanges
33290 LE PIAN MEDOC

représentée par Maître Jonathan CITTONE de la SCP DACHARRY & ASSOCIES, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats plaidant

N° RG 22/07240 - N° Portalis DBX6-W-B7G-XBFF

Monsieur [O] [J]
né le 06 Juin 1987 à COUTANCES (50200)
de nationalité Française
104, Chemin des Mésanges
33290 LE PIAN MEDOC

représenté par Maître Jonathan CITTONE de la SCP DACHARRY & ASSOCIES, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats plaidant

EXPOSE DU LITIGE

Se plaignant d’actes de concurrence déloyale de la part de son ancien salarié, M. [O] [J], licencié pour faute grave le 7 janvier 2020, et de la société qu’il a créé, la SARL ETIQ-PRINT, la SARL PRINTEKNOLOGIES a saisi le tribunal judiciaire de Bordeaux par exploit du 26 septembre 2022 d’une action indemnitaire.

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 16 mai 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé complet des moyens développés, la SARL PRINTEKNOLOGIES demande au tribunal de:

- Juger l’action de la SARL PRINTEKNOLOGIES recevable et bien fondée
- Condamner in solidum M. [J] et la SARL ETIQ-PRINT à payer à la SARL PRINTEKNOLOGIES la somme de 325.023,17 € en réparation de son préjudice, lequel se décompose comme suit :

1. Préjudice économique et commercial : 302.773,17 €.
2. Préjudices liés aux conséquences sociales des agissements illicites : 12.250,00 €.
3. Préjudices moraux : 10.000,00 €.

- Juger qu’il sera fait application des articles 1231-6 et 1231-7 du Code Civil et ce à compter de l’assignation et de l’article 1343-2 du même code, un an après la délivrance de celle-ci.


SUR LES DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE M. [J] et la SARL ETIQ-PRINT.

- Juger irrecevables et mal fondées les demandes reconventionnelles de M. [J] et la SARL ETIQ-PRINT et les en débouter.

- Ecarter des débats le constat d’huissier produit par M. [J] et par la SARL ETIQ-PRINT en pièce 12 et les attestations produites par cette dernière.

- Juger mal fondées les demandes de M. [J] et la SARL ETIQ-PRINT de voir condamner la SARL PRINTEKNOLOGIES à leur payer une somme de 1 euro à faire valoir sur l’indemnisation du préjudice résultant de propos dénigrants tenus à leur encontre

- Juger mal fondées les demandes de M. [J] et la SARL ETIQ-PRINT de voir condamner la SARL PRINTEKNOLOGIES à cesser tout dénigrement sous astreinte de 1.000 € par infraction constatée.

- Juger mal fondées les demandes de M. [J] et la SARL ETIQ-PRINT de voir condamner la SARL PRINTEKNOLOGIES la SARL PRINTEKNOLOGIES à publier sur le site internet de la SARL PRINTEKNOLOGIES le dispositif de l’ordonnance à intervenir.


EN TOUT ETAT DE CAUSE :

- Condamner in solidum M. [J] et la SARL ETIQ-PRINT à payer à la SARL PRINTEKNOLOGIES une indemnité de 18.317,62 € sur le fondement de l’article 700 CPC.

- Juger que les demandes de M. [J] et la SARL ETIQ-PRINT ayant pour objet de voir condamnée la SARL PRINTEKNOLOGIES à leur payer une indemnité de 18.000 € sur le fondement de l’article 700 CPC sont mal fondées et l’en débouter.

- Condamner in solidum M. [J] et la SARL ETIQ-PRINT aux entiers dépens, lesquels comprendront les frais d’huissier rendus nécessaires en exécution des Ordonnances des 8 juillet 2020 et du 22 novembre 2021.

Dans ses conclusions notifiées par RPVA 14 novembre 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé complet des moyens développés, la SARL ETIQ PRINT et M. [O] [J] demandent au tribunal, au visa des articles 1240 et 514-1 alinéa 1 du code civil, L 131-1 du code des procédures civiles d’exécution de:

A TITRE PRINCIPAL,

- Débouter la Société PRINTEKNOLOGIES de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

Et, à titre reconventionnel,

- Condamner la Société PRINTEKNOLOGIES à payer à Monsieur [J] et à la Société ETIQ PRINT la somme d’un euro symbolique en réparation du préjudice résultant des propos dénigrants tenus par la Société PRINTEKNOLOGIES à l’encontre des codéfendeurs ;

- Ordonner la cessation de tout dénigrement de Monsieur [J] ou de la Société ETIQ PRINT par la Société PRINTEKNOLOGIES sous astreinte de 1.000 € par infraction constatée;

- Ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir en tête de la page d’accueil du site Internet de la Société PRINTEKNOLOGIES(https://www.printeknologies.com/) pendant un mois à compter de la signification de la décision à intervenir.

A TITRE SUBSIDIAIRE,

- Réduire à de plus justes proportions l’indemnité sollicitée par la Société PRINTEKNOLOGIES en réparation de son préjudice économique et commercial constitué par la perte de chance de la possibilité de conclure des contrats, de profiter des fruits de son travail et d’accroître sa notoriété.

- Débouter la Société PRINTEKNOLOGIES du surplus de ses demandes, fins et conclusions;

- Écarter l’exécution provisoire de droit.


EN TOUT ETAT DE CAUSE,

- Condamner la Société PRINTEKNOLOGIES à verser à Monsieur [J] et à la Société ETIQ PRINT la somme de 18.000,00 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner la Société PRINTEKNOLOGIES aux entiers dépens de la présente instance, en ce compris les frais d’expertise et d’huissier résultant de l’ordonnance sur requête en date du 13 mars 2021.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 février 2024.

MOTIVATION

sur l’action en concurrence déloyale

sur les actes de concurrence déloyale

moyens des parties

La SARL PRINTEKNOLOGIES fait valoir que tant M. [J] , qui a mis à la disposition de la SARL ETIQ-PRINT des données commerciales sensibles qu’il s’était illicitement approprié, que cette dernière qui a accepté d’en prendre possession, de les détenir et de les utiliser et ce afin de démarcher sa clientèle, se sont rendus coupables d’actes de concurrence déloyale.

La SARL PRINTEKNOLOGIES reproche ainsi à M. [J] des comportements déloyaux et fautifs caractérisés, selon elle, en premier lieu, par la copie illicite de fichiers et de données sensibles la veille de son abandon de poste qui a provoqué son licenciement pour les mettre à disposition de la SARL ETIQ-PRINT. Elle liste un certain nombre de courriels adressés par M. [J] contenant des coordonnées de clients/fournisseurs, des devis, commandes, factures, grilles tarifaires et maquettes. Elle fait, par ailleurs, grief à M. [J] d’avoir procédé à l’enregistrement de plusieurs répertoires à contenus sensibles, de gestion commerciale, de documents comptables et enfin, d’avoir supprimer l’intégralité des mails qu’il avait envoyés entre 2017 et 2019.

Contestant l’existence d’un arrangement pour un licenciement pour faute grave, la SARL PRINTEKNOLOGIES conclut que M. [J] avait décidé de créer son entreprise concurrente avant son abandon de poste, sa nouvelle société la SARL ETIQ-PRINT ayant été créée le 18 novembre 2019, si bien que la présence de ses données sur l’ordinateur de la société ETIQ’PRINT s’inscrit dans la perspective de commettre des actes de concurrence déloyale.

S’appuyant sur une jurisprudence de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, ( Com 7 décembre 2022 n°21-19860), elle considère que la réalité du détournement de fichier clientèle établit des actes de concurrence déloyale. Elle rétorque à l’argumentation adverse relative à des attestations de clients, qu’il est difficile de croire que la qualité de ses prestations aient pu baisser suite au départ de M. [J] au point que ses clients se soient spontanément tournés vers la nouvelle société sans que ce dernier ne les aient préalablement démarchés ou se soient appropriés leurs appels et ce alors qu’ils pensaient qu’il faisait toujours partie de l’effectif de son précédent employeur.

En second lieu, la SARL PRINTEKNOLOGIES reproche à la SARL ETIQ-PRINT d’avoir utilisé ces données en démarchant systématiquement ses clients et à M. [J], alors qu’il était encore salarié, d’avoir indiqué à ses clients garder leurs coordonnées pour continuer les relations commerciales au titre de sa nouvelle société. Elle produit les attestations de deux clients, la société ADTM et la société LD VINS pour établir les procédés illicites employés pour capter sa clientèle et des mails d’anciens clients qui ont traité avec la nouvelle société de M. [J].

La SARL ETIQ-PRINT et M. [O] [J] concluent au rejet des demandes.
S’agissant de la possession illicite et du détournement de fichiers, ils concluent que si M. [J] a procédé à une copie de la sauvegarde de sa boîte mail professionnelle de la société PRINTEKNOLOGIES sur une clé USB, c’est pour se ménager une preuve en cas de difficultés ultérieures, compte tenu des conditions cavalières dans lesquelles son départ est intervenu.
Il est objecté que le contenu de cette boîte mail n’avait pas de caractère confidentiel pour M. [J] puisque le contenu lui était destiné et alors qu’il en avait une connaissance évidente, si bien que la seule possession de ces fichiers non confidentiels concernant des informations relatives à la clientèle ne caractérise pas un détournement de fichiers ou de clientèle.
Ils concluent par ailleurs qu’il n’est pas rapporté la preuve que l’utilisation des fichiers non confidentiel en possession de M. [J] ont permis à la société de détourner de la clientèle, ajoutant que le détournement doit être avéré et massif. Ils contestent la portée de la jurisprudence citée par la demanderesse ( Com, 7 décembre 2022 n° 21-19.860) en concluant que le caractère confidentiel des informations est déterminant dans le choix de la Cour de cassation d’assimiler leur détention à la concurrence déloyale.
Faisant valoir qu’il demeurait libre de préparer une future activité concurrente, il est dénié le caractère fautif du dépôt d’un nom de domaine par M. [J] avant son départ.
M. [J] conteste avoir supprimé des mails, ce qui n’est pas démontré selon lui par le rapport d’analyses informatiques.
Il conteste également avoir procédé à l’enregistrement des répertoires allégués par la SARL PRINTEKNOLOGIES dans ses écritures, et soutient que le rapport d’analyse produit ne démontre pas qu’il se serait accaparé des données et fichiers commerciaux sensibles qui n’ont pas été retrouvés sur son ordinateur.

S’agissant du démarchage de la clientèle, les défendeurs font valoir que M. [J] a simplement informé les clients de la société PRINTEKNOLOGIES de son départ de l’entreprise sans mentionner la création de sa propre société. Ils soutiennent que les clients mécontents ou simplement attachés à la personnalité de M. [J] se sont naturellement tournés vers lui sans qu’il n’y ait eu d’opération de démarchage systèmatique. Ils contestent la teneur de l’attestation de M. [S], gérant de la société ADTM, et produisent une attestation contraire de Mme [C] ainsi que de celle de Mme [F] de la société LD VINS, en faisant valoir que c’est elle qui a prix l’initiative de contacter M. [J] téléphoniquement et ajoutant que ce client ne figure pas dans son outil de gestion commerciale. Par ailleurs, si les mails versés aux débats par la Société PRINTEKNOLOGIES justifient que certains de ses clients sont désormais clients d’ETIQ PRINT, ils ne portent aucune trace d’un procédé déloyal d’attirance. Ils ajoutent que même à considérer un démarchage de 20 clients ainsi qu’il est allégué, il ne peut être considéré qu’il s’agisse d’un démarchage massif ou systématique et donc déloyal. Ils font ainsi valoir que si une faible partie des clients de la société demanderesse l’ont quitté pour des raisons plurifactorielles, il n’est caractérisé aucun comportement déloyal.

Sur ce

Selon la jurisprudence, la détention ou l’appropriation d’informations confidentielles appartenant à une société concurrente apportées par un ancien salarié, ne serait-il pas tenu par une clause de non-concurrence, constitue un acte de concurrence déloyale. ( Com 17 mai 2023 n° 22-16.031).

En l’espèce, il ressort du Procès verbal de constat d’huissier en date du 9 septembre 2020 autorisé par requête du Président du tribunal judiciaire de Bordeaux en date du 8 juillet 2020 que l’huissier s’est rendu dans les locaux de la société ETIQ PRINT avec un expert informatique qui a effectué les recherches sur l’ordinateur présenté par M [J].

Il ressort de ce constat que l’expert informatique a extrait deux sous dossiers intitulés “ backup achats V3.pst” et “backup mpatrix V3.pst” trouvés dans le dossier répertoire “backup mails printek outlook”.

Lors de ce constat, M. [J] a indiqué à l’huissier qu’il avait bien copié ses backup de la société PRINTEKNOLOGIES sur son ordinateur personnel à l’aide d’une clé usb.

Il est également mentionné que l’expert a trouvé des copies de mails envoyés depuis l’adresse professsionnelle de M. [J] au sein de la société PRINTEKNOLOGIES sur une boîte gmail personnelle de M. [J].

M. [J] reconnaît qu’il a téléchargé le contenu de sa boîte mail professionnelle sur une clé USB.

Il est vain pour M. [J] de soutenir que ce contenu ne présente pas de caractère confidentiel alors qu’il est évident que les échanges qu’il a entretenu avec les clients lors de son activité d’agent technico-commercial présentent ce caractère puisqu’ils sont en rapport avec l’activité commerciale de la société PRINTEKNOLOGIES.

Il est également établi et non sérieusement contesté que M. [J] a transféré des courriels de sa boîte professionnelle vers sa boite personnelle (pièce 17-1 à 17-19) contenant des échanges relatifs à l’activité commerciale de la société PRINTEKNOLOGIES et présentant un caractère confidentiel, nonobstant les dénégations de M. [J], sa connaissance personnelle de ces informations au cours de l’exécution de son contrat du fait même de ses fonctions, ne retirant pas le caractère confidentiel des informations transférées.

Le tribunal relève simplement que la société demanderesse affirme dans ses conclusions (Page 5) que M. [J] a illicitement copié 13.737 mails en visant sa pièce 16. L’étude de cette pièce intitulé “capture d’écran mails”, provenant certainement de l’extraction papier du contenu des clés USB séquestrées par l’huissier, ne permet pas de comprendre l’origine de ce chiffre pourtant très précise. La note en délibéré produite par le demandeur, suite à l’interrogation du tribunal, sur l’origine de cette information, n’a pas plus permis de comprendre cette affirmation.

De même, la lecture des conclusions du rapport d’analyses informatiques produit en pièce 13 et 14 ne permet pas au tribunal de valider les affirmations selon lesquelles M. [J] a procédé à l’enregistrement “des logos et étiquettes de la SARL PRINTEKNOLOGIES, de la base de gestion, des documents de gestion commerciale et comptables de la société”, ni celles relatives à la suppression des mails envoyés entre 2017 et 2019. Les commentaires techniques de ce rapport n’établissent pas de manière explicite ces affirmations qui ne peuvent donc être retenues.

Pour autant, la seule détention des informations à caractère confidentiel issu des échanges entretenus par courriel professionnel sur des supports personnels à M. [J] (clé USB ou mail personnel) et retrouvé dans le matériel informatique utilisé par la Société ETIQ-PRINT suffit à caractériser un acte de concurrence déloyale.

Il est donc indifférent de savoir si le détournement de la clientèle, qui n’est pas contesté, résulte d’un démarchage massif et systématique de la part de la société ETIQ-PRINT, condition indifférente à la caractérisation d’un comportement de concurrence déloyale ( Com 12 mai 2021, n° 19-17.714) ou si elle résulte d’une simple insatisfaction des clients des prestations de la société PRINTEKNOLOGIES.

En l’espèce, il est donc suffisamment démontré l’existence d’actes de concurrence déloyale tant de la part de M. [J] que de sa société ETIQ-PRINT qu’il a créé puisque les informations confidentielles ont été retrouvé sur l’ordinateur professionnel de ce dernier dans les locaux de sa société.

Sur l’indemnisation

moyens des parties

La SARL PRINTEKNOLOGIES conclut qu’elle a subi différents chefs de préjudices du fait des actes de concurrence déloyale.

Faisant valoir que la SARL ETIQ PRINT a capté 20 de ses principaux clients, elle se prévaut d’une perte de marge d’un montant de 302.773,17 euros, d’un préjudice lié à l’augmentation du salaire du commercial M. [V] à hauteur de 12 250 euros pour compenser la baisse des rémunérations perçues au titre de la partie variable de son salaire, et d’un préjudice moral lié aux conséquences sur la réorganisation du travail et la dégradation de l’image de marque de la société évalué à 10 000 euros.

Les défendeurs rétorquent qu’il est impossible d’imputer le préjudice allégué par la société PRINTEKNOLOGIES aux agissements reprochés en produisant des attestations démontrant l’insatisfaction de la clientèle sur les prestations proposées par la société PRINTEKNOLOGIES. Ils ajoutent que faute de connaître le chiffre d’affaires global de la société demanderesse et l’impact qu’auraient eus sur celui-ci d’éventuels démarchage, l’existence d’un préjudice ne peut être établi. Ils critiquent par ailleurs la méthode d’évaluation s’agissant de la détermination des taux de marge pour 2020 et 2021, de la période d’indemnisation qui ne saurait excéder une année de perte de marge brute. Ils font valoir que la société demanderesse n’est pas fondée à solliciter une indemnisation à hauteur de la totalité de la perte de marge brute s’agissant d’une perte de chance. Ils contestent l’existence d’une perte de chance de profiter des fruits de son travail, et d’accroître sa notoriété.
Ils concluent au rejet de la demande au titre de l’augmentation de salaire de M. [V] faute de preuve d’un lien de causalité direct et certain avec les agissements reprochés.
Ils contestent également le préjudice moral allégué faute de preuve d’un préjudice lié à la dégradation de l’image de marque de l’entreprise.

Sur ce

Les défendeurs ne contestent pas que les 20 clients dont la liste a été annexée à l’attestation de l’expert comptable de la société PRINTEKNOLOGIES soient devenus clients de la société ETIQ-PRINT.

Le préjudice commercial en lien avec le comportement fautif lié aux actes de concurrence déloyale s’apprécie par rapport à la perte de clientèle enregistrée par la société PRINTEKNOLOGIES. Il est constitué par la perte de chance de maintenir un chiffre d’affaire et partant une marge compte tenu de l’arrêt des relations commerciales au profit de la société défenderesse. Cette perte de chance sera évaluée à 50 % et sera justement indemnisée à hauteur de 150 000 euros eu égard aux éléments comptables produits par la société demanderesse.

En revanche, le préjudice lié à une augmentation de salaire de M. [V] n’est pas fondé, le lien de causalité entre la perte d’une variable de son salaire et l’augmentation consentie n’étant pas établi par les pièces produites aux débats.

La dégradation de l’image de l’entreprise est suffisamment établie par les pièces versées au débat et résulte des propres pièces des défendeurs. De même, la désorganisation de la vie de l’entreprise est démontrée par les attestations circonstanciées des salariés de la demanderesse. Il y a lieu d’indemniser ce préjudice moral à hauteur de 8000 euros.

Sur la demande reconventionnelle au titre du dénigrement

moyens des parties

Les défendeurs soutiennent que la société PRINTEKNOLOGIES a adopté une attitude agressive vis à vis de sa clientèle et tenu des propos dénigrants et diffamatoires en citant les échanges de mails cités dans le procès verbal de constat d’huissier du 1er avril 2021 et des courriels de clients. Ils sollicitent une indemnisation à hauteur d’un euro symbolique et par une interdiction sous astreinte et une mesure de publication.

La société PRINTEKNOLOGIES conclut au rejet de la demande en faisant valoir, qu’eu égard au détournement de données confidentielles, il serait particulièrement injuste qu’il soit interdit de tenter de récupérer ses clients. Il est contesté les propos qui lui sont imputés à son dirigeant. Les témoignages produits sont contestés, étant relevés qu’ils ne sont pas réguliers au sens de l’article 2002 du code de procédure civile, n’étant pas probant de ce fait. Elle demande également que le procès verbal de constat d’huissier du 1er avril 2021 soit écarté en ce qu’il reproduit illicitement des mails en méconnaissance de l’obligation de séquestre et en ce qu’il reproduit des photos relevant de la vie privée.

Sur ce

Selon une jurisprudence constante, le dénigrement est la divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent, peu important qu’elle soit exacte. Le dénigrement doit être distingué de la simple critique, conforme aux usages commerciaux, car toute critique est légitime et doit pouvoir être librement exprimée dès lors qu’elle ne cherche pas à nuire. Pour constituer un dénigrement, il faut en outre que la critique malveillante soit diffusée dans le public: il n’y a pas de dénigrement quand le document est destiné à un usage interne, car alors les propos ne sont pas destinés directement à détourner la clientèle.

En l’espèce, les critiques du procès verbal de constat d’huissier relative à la reproduction de photographie indifférentes à l’objet du litige, et qui concernent la description du travail de recherche réalisé par l’huissier n’apparaît pas contraire à l’autorisation par ordonnance ne sont pas de nature à faire écarter cette pièce.

En revanche, la retranscription des courriels avec des clients de la société demanderesse dont il ressort que ces clients indiquent ne pas travailler avec M. [J] ne contiennent aucun propos dénigrant.

Les courriers ou courriels produits par les défendeurs, s’ils ne constituent pas des attestations soumises aux règles de l’article 202 du code civil, et par conséquent des témoignages destinés à être produit en justice, doivent être en conséquence appréciés avec une particulière circonspection.

La divulgation orale de propos dénigrant qui est rapportée dans ces courriers ou courriel n’est étayée par aucun élément objectif. Ces éléments apparaissent ainsi insuffisants pour caractériser la faute imputée à la société demanderesse.

Les demandes formées par les défendeurs au titre du dénigrement sont donc rejetées.

Sur les demandes annexes

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société demanderesse l’intégralité de ses frais irrépétibles. Les défendeurs seront condamnés à lui payer la somme de 8000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Les défendeurs seront condamnés aux dépens qui comprennent les frais de constat d’huissier autorisé par ordonnance du 13 mars 2021. En revanche, les frais d’expertise non judiciaire sont exclus des dépens.

               L’article 514 du code de procédure civile, dans sa version applicable depuis le 1er janvier 2020, dispose que les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire. Aux termes de l’article 514-1 du code de procédure civile, le juge peut écarter l’exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s’il estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire en statuant d’office ou à la demande d’une partie, par décision spécialement motivée. Compte tenu de l’importance de la condamnation, il y a lieu d’écarter l’exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

- CONDAMNE in solidum M. [O] [J] et la SARL ETIQ-PRINT à payer à la SARL PRINTEKNOLOGIES la somme de 150 000 euros au titre du préjudice économique et la somme de 8 000 euros au titre du préjudice moral consécutif aux actes de concurrence déloyale imputables à M. [O] [J] et la SARL ETIQ-PRINT;

- REJETTE le surplus des demandes indemnitaires au titre des actes de concurrence déloyale,

- REJETTE les demandes au titre du dénigrement,

- CONDAMNE in solidum M. [O] [J] et la SARL ETIQ-PRINT à payer à la SARL PRINTEKNOLOGIES la somme de 8000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

- CONDAMNE in solidum M. [O] [J] et la SARL ETIQ-PRINT aux dépens en ce compris les frais de constat d’huissier dressé suite à l’ordonnance sur requête du 8 juillet 2020 et 22 novembre 2021,

- ECARTE l’exécution provisoire.

La présente décision est signée par Madame Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente, et Madame Hassna AHMAR-ERRAS, adjoint administratif faisant fonction de Greffier.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bordeaux
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 22/07240
Date de la décision : 23/04/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 29/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-23;22.07240 ?
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