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28/03/2024 | FRANCE | N°23/00017

France | France, Tribunal judiciaire de Bordeaux, Expropriations, 28 mars 2024, 23/00017


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX

JURIDICTION DE L’EXPROPRIATION DE LA GIRONDE


JUGEMENT FIXANT INDEMNITES D’EXPROPRIATION.

le JEUDI VINGT HUIT MARS DEUX MIL VINGT QUATRE


N° RG 23/00017 - N° Portalis DBX6-W-B7H-XZHY
NUMERO MIN: 24/00034

Nous, Madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente au Tribunal judiciaire de BORDEAUX, désignée spécialement en qualité de juge de l’Expropriation par ordonnance de Madame la Première Présidente de la Cour d’appel de BORDEAUX en date du 31 août 2023, pour exercer dans le département de la Gironde les foncti

ons prévues aux articles L.211 et R 211-1 et suivants du Code de l’expropriation, assistée de Mme Céline ...

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX

JURIDICTION DE L’EXPROPRIATION DE LA GIRONDE

JUGEMENT FIXANT INDEMNITES D’EXPROPRIATION.

le JEUDI VINGT HUIT MARS DEUX MIL VINGT QUATRE

N° RG 23/00017 - N° Portalis DBX6-W-B7H-XZHY
NUMERO MIN: 24/00034

Nous, Madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente au Tribunal judiciaire de BORDEAUX, désignée spécialement en qualité de juge de l’Expropriation par ordonnance de Madame la Première Présidente de la Cour d’appel de BORDEAUX en date du 31 août 2023, pour exercer dans le département de la Gironde les fonctions prévues aux articles L.211 et R 211-1 et suivants du Code de l’expropriation, assistée de Mme Céline DONET, Greffier

A l’audience publique tenue le 15 Février 2024 les parties présentes ou régulièrement représentées ont été entendues et l’affaire a été mise en délibéré au 28 Mars 2024, et la décision prononcée par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile

ENTRE :

LE CONSERVATOIRE DE L’ESPACE LITTORAL ET DES RIVAGES LACUSTRES
représenté par Mme [U] [A]
[Adresse 21]
[Adresse 21]
[Localité 8]
représenté par M. [R] [N] sur délégation de Madame la Directrice du Conservatoire

ET

Monsieur [J] [C] [F] [E]
né le 19 Août 1951 à [Localité 22]
[Adresse 2]
[Localité 14]

Monsieur [B] [X] [O] [E]
né le 28 Janvier 1953 à [Localité 22]
[Adresse 16]
[Localité 11]

Monsieur [W] [C] [M] [E]
né le 28 Avril 1954 à [Localité 22]
[Adresse 9]
[Localité 14]

Monsieur [D] [C] [E]
né le 18 Avril 1956 à [Localité 27]
[Adresse 15]
[Localité 25]

Madame [Y] [C] [K] [E] épouse de Monsieur [S] [G]
née le 05 Mars 1958 à [Localité 30]
[Adresse 10]
[Localité 12]

Monsieur [P] [C] [V] [E]
né le 28 Octobre 1959 à [Localité 30]
[Adresse 19]
[Localité 13]

représentés par Maître Alice GREZILLIER, avocat au barreau de SAINTES

En présence de Madame [H] [L], Commissaire du Gouvernement

-------------------------------------------
Grosse délivrée le:
à :
Expédition le :
à :

FAITS ET PROCÉDURE
Par arrêté du 30 mai 2016, le préfet de la Gironde a, dans le respect des droits d’usage forestiers tels qu’ils résultent des “Baillettes et Transactions” régissant le statut de la forêt usagère depuis 1468, déclaré d’utilité publique les acquisitions des parcelles constitutives des espaces dunaires et forestiers de la [Localité 23] sur la commune de [Localité 25], au profit du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres (ci-après Conservatoire du Littoral).
Par ordonnance du 14 mai 2021, le juge de l’expropriation de la Gironde a déclaré immédiatement exproprié, pour cause d’utilité publique, le lot 9 de la parcelle cadastrée section CE n°[Cadastre 17] (Bien Non Délimité) d’une superficie de 14 107m², Lieu-dit “[Localité 28]” propriété en indivision des consorts [E].
Le Conservatoire du Littoral a notifié son offre par lettre recommandée avec avis de réception du 3 mars 2022.
A défaut d’accord, le Conservatoire du Littoral a saisi le juge de l'expropriation par mémoire du 19 avril 2023 reçu au greffe le 25 avril 2023 aux fins de voir fixer à la somme totale de 8 361,53 euros pour un bien libre de toute occupation les indemnités d’expropriation pour l’acquisition de la parcelle précitée.
Le 6 novembre 2023, maître Alice Grézillier, avocat au barreau de Saintes, a indiqué se constituer dans l’intérêt des consorts [E].
Le commissaire du gouvernement a communiqué ses conclusions le 9 novembre 2023.
Le transport sur les lieux, fixée par ordonnance du juge de l’expropriation du 25 juillet 2023, s’est déroulé le 20 novembre 2023 en présence du conseil des consorts [E], de madame [Y] [E], messieurs [J], [G], et [P] [E], et des représentants du Conservatoire du Littoral.
L’affaire a été fixée à l’audience du 30 novembre 2023 puis renvoyée à l’audience du 15 février 2024.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans son dernier mémoire enregistré au greffe le 30 novembre 2023, le Conservatoire du Littoral maintient sa proposition d’indemnisation à hauteur de 8 361,53 euros pour l’acquisition de la parcelle expropriée.
Il indique que la parcelle litigieuse, en nature boisée non bâtie, est libre de toute occupation. S’agissant de la date de référence, le Conservatoire la fixe au 3 septembre 2021 en application de l’article L. 215-18 du code de l’urbanisme dès lors que la parcelle est située dans le périmètre du droit de préemption au titre des espaces naturels sensibles du département. Il soutient qu’à cette date, la parcelle ne peut être qualifiée de terrain à bâtir, car située en zone NRFU du PLU de [Localité 25], qui correspond à une zone naturelle de protection des espaces remarquables et à un secteur de forêt usagère. Toutes les occupations et utilisations du sol y sont en principe interdites, sauf celle limitativement autorisées par le règlement de la zone. La parcelle est également soumise à plusieurs restrictions environnementales réduisant l’usage possible de la parcelle.
Pour justifier son évaluation, le Conservatoire a utilisé la méthode par comparaison et produit 8 termes de comparaison relatifs à des cessions de parcelles boisées et 3 termes de comparaison relatifs à des cessions de parcelle en nature de dune. Ces termes de comparaison portent tous sur des actes amiables réalisés dans le cadre du projet de la [Localité 23], à proximité de la parcelle litigieuse.
Le Conservatoire conteste l’amalgame fait par les expropriés entre la présente opération, issue d’une déclaration d’utilité publique ayant pour objectif de mettre en valeur d’un point de vue environnemental, tous les abords de la [Localité 23], et la procédure menée par le syndicat mixte de la Dune qui a conduit à l’expropriation de parcelles en vue de la création de l’aire d’accueil de la Dune, qui avait pour principal objectif d’encadrer l’accès à la [Localité 23] (parcelles CE [Cadastre 5],[Cadastre 6],[Cadastre 7]).
Il conteste dès lors le montant de l’indemnité demandé par les expropriés à hauteur de 5 euros le mètre carré, prix fixé par le juge de l’expropriation en 2018 pour acquérir les parcelles d’assiette de l’aire d’accueil, soumise à un autre zonage du PLU. Il précise que l’aire d’accueil est située dans la zone NLA (Nature Loisir Aménageable) du PLU qui autorise, sous condition, la construction et l’aménagement de certains équipements. Il soutient que si la parcelle litigieuse est bien mitoyenne de l’aire d’accueil du camping de [24], elle n’en fait pas partie, de sorte que le jugement de 2018 sur lequel se fondent les consorts [E] ne peut servir de base d’évaluation.
Dans ses conclusions enregistrées au greffe le 9 novembre 2023, le commissaire du gouvernement propose de fixer l’indemnité d’expropriation à la somme de 8361,53 euros.
Au soutien de sa proposition, il expose que la date de référence doit être fixée au 27 avril 2014 (un an avant l’ouverture de l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique), dès lors que la parcelle CE n°[Cadastre 17] n’est pas située en zone de préemption au titre des espaces naturels.
Il explique avoir fixé le montant de son indemnité au regard de 7 termes de comparaisons.
Dans leurs dernières conclusions enregistrées au greffe le 7 février 2024, les consorts [E] demandent au juge de l’expropriation de fixer à la somme de 70 535 euros le montant de l’indemnité principale outre 8 053, 50 euros au titre de l’indemnité de remploi, soit une indemnité totale de 78 588,50 euros. Ils demandent en outre une indemnité de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Ils exposent que la parcelle cadastrée CE [Cadastre 17], Bien Non Délimité en nature boisée, jouxte au sud le parking d’accès à la [Localité 23]. Ils soutiennent que les photographies aériennes de la zone montrent que plusieurs chemins partent du restaurant “[20]” situé sur la parcelle CE[Cadastre 1], enclavée au sein de la parcelle CE[Cadastre 17]: un premier chemin part du restaurant pour rejoindre la [Adresse 29] au niveau du parking, un deuxième permet d’accéder au “[Adresse 31]”, un troisième permet d’accéder à la partie dunaire de la parcelle CE[Cadastre 17]. Ils ajoutent que plusieurs constructions du “[Adresse 31]” (partie commerciale du site de la [Localité 23]) empiètent sur la parcelle CE[Cadastre 17], qu’une partie du chemin d’accès à l’escalier de la Dune se situe sur la parcelle CE[Cadastre 17] et que 4 parcelles (CE[Cadastre 18],CE[Cadastre 1],CE[Cadastre 3],CE[Cadastre 4]) avec une cabane (CE[Cadastre 18]) et un restaurant (CE[Cadastre 1]) sont enclavées dans la parcelle CE[Cadastre 17], de sorte que pour y accéder toute personne est contrainte de passer par la parcelle CE[Cadastre 17].
Ils ajoutent qu’il ressort du plan de zonage du PLU de [Localité 25] que la parcelle considérée se situe pour partie en zone NLA et en zone NRFU, correspondant à la forêt usagère de la commune de [Localité 25] et en zone rouge du PPRN. Ils s’opposent à l’offre d’indemnité faite par le Conservatoire au motif que la parcelle CE[Cadastre 17] participe à la valorisation de l’espace d’accueil de la Dune, celle-ci étant jalonnée de sentiers permettant d’aller au parking de la Dune, du parking de la Dune au restaurant “[20]” et du restaurant “[20]” à la Dune. Ils en déduisent que d’un point de vue financier, elle est indispensable à la “vie commerciale” du site. Les parcelles cadastrées CE [Cadastre 5], [Cadastre 6] et [Cadastre 7], en nature boisée, qui comprennent une partie aménagée avec des voies de circulation, un parking, des sanitaires publics, des locaux administratifs et des locaux commerciaux, qui jouxtent la parcelle CE [Cadastre 17], ont été valorisées à 5 euros du mètre carré par jugement du juge de l’expropriation du 18 février 2018. Ils soulignent que la parcelle CE [Cadastre 17] jouxte en grande partie les trois parcelles qui jouissent d’une attractivité liée à leur situation géographique en bordure de la Dune, qu’elles sont situées dans le site communautaire Natura 2000 et en zone écologique, floristique, faunistique de type II, qui est un des plus visités au niveau national et premier site touristique d’Aquitaine. Son emplacement privilégié eu égard à l’attractivité de ce site est un atout incontestable. Ils soutiennent que les termes de référence produits par le Conservatoire ne concernent pas des parcelles jouissant des mêmes avantages que la parcelle CE[Cadastre 17]. Ils ajoutent que sa localisation dans la réserve foncière de la [Localité 23] constitue un élément important dans les possibilités offertes d’exploitation et d’amélioration du site en vue de l’obtention du “Label Grand Site de France” comprenant notamment l’extension ou le réaménagement des parkings dans le respect de l’environnement, le développement du [Adresse 31] et des espaces touristiques, reconstruction voire agrandissement du restaurant “[20]”. Ils en déduisent que les retombées économiques pourraient être très importantes. De plus, la valeur de la parcelle doit être également évaluée en tenant compte de l’empiètement de plusieurs constructions du [Adresse 31].
Ils fondent leur demande d’indemnité sur le jugement de 2018 précité.
Ils soutiennent que contrairement à ce que soutient le Conservatoire, le fait que l’expropriation ait été menée par le Syndicat Mixte dans le cadre de la procédure ayant abouti au jugement de 2018 est sans incidence sur la valeur du bien, alors même que les acquisitions faites par le Conservatoire et le Syndicat Mixte participent du même objectif: sauvegarder et mettre en valeur d’un point de vue environnemental la [Localité 23]. Ils ajoutent que contrairement à ce qui est soutenu, environ 40% de la parcelle CE[Cadastre 17] classée en zone NRFU n’est soumise à aucune prescription au titre du Plan de Prévention des Risques d’Avancée dunaire et du recul du trait de côte. Elle est également classée, dans une moindre mesure, en zone NLA, notamment la partie qui se situe dans le prolongement du [Adresse 31] en direction du chemin d’accès à l’escalier de la Dune, de sorte que la parcelle CE [Cadastre 17] pourrait bénéficier des mêmes conditions de constructibilité et d’aménagement que les parcelles cadastrées CE [Cadastre 5], [Cadastre 6] et [Cadastre 7].
Ils soulignent que l’estimation vénale du bien dépend de son usage effectif. Ils soutiennent à cet égard qu’un espace de stationnement jouxtant le restaurant “[20]” est situé sur la parcelle CE [Cadastre 17], et en déduisent que cette parcelle est accessoire à l’activité de ce restaurant. Ils en déduisent que les capacités potentielles de constructions et d’aménagement futurs sont bien réelles.

MOTIVATION

Sur la consistance du bien exproprié
Aux termes du premier alinéa de l’article L. 322-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique: “Le juge fixe le montant des indemnités d'après la consistance des biens à la date de l'ordonnance portant transfert de propriété.”
En l’espèce, l’ordonnance d’expropriation est intervenue le 14 mai 2021. A cette date, les incendies de l’été 2022 n’avaient pas ravagé la forêt usagère.
La parcelle cadastrée section CE [Cadastre 17] est un “Bien Non Délimité” (BND). Ainsi, en l’absence de partage, les limites du lot 9, d’une superficie de 14 107 m² ne sont pas matérialisées sur le terrain.
Lors du transport sur les lieux, il a été constaté que les constructions édifiées sur la parcelle CE[Cadastre 17] appartenaient à un autre propriétaire du BND et n’étaient pas attribuées au lot n°9.
Il y a donc lieu de considérer, qu’à la date de cette ordonnance, le lot n°9 du BND était un terrain nu en en nature boisée, la circonstance alléguée que la parcelle est jalonnée de sentiers desservant le restaurant “[20]”, la [Localité 23] ou encore permette d’accéder au parking de la Dune n’est pas de nature à modifier la consistance du bien, étant souligné qu’il s’agit en tout état de cause de sentiers forestiers non spécialement aménagés.
En outre, si les consorts [E] soutiennent dans leurs dernières conclusions que plusieurs constructions du [Adresse 31] empiéteraient sur la parcelle CE[Cadastre 17], de sorte que la consistance du bien en serait affectée, force est de constater que cet empiètement allégué n’est pas étayé par un bornage ou un document d’arpentage de sorte que cette allégation ne peut qu’être écartée.

Sur la date de référence
Aux termes de l’article L. 322-2 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique (ci-après, code de l’expropriation) : “Les biens sont estimés à la date de la décision de première instance./ Toutefois, et sous réserve de l'application des dispositions des articles L. 322-3 à L. 322-6, est seul pris en considération l'usage effectif des immeubles et droits réels immobiliers un an avant l'ouverture de l'enquête prévue à l'article L. 1 [enquête préalable à la déclaration d’utilité publique] (...) » à moins que le bien exproprié soit, notamment, soumis au droit de préemption au titre des espaces naturels ainsi que le prévoit l’article L. 215-18 du code de l’urbanisme, auquel cas la date de référence est la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes approuvant, modifiant ou révisant le plan local d'urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le terrain.
En l’espèce, il ressort des données publiées sur le site internet consacré aux zones de préemption au titre des espaces naturels situées en Gironde que la parcelle cadastrée section CE[Cadastre 17] n’est pas située dans une zone de préemption au titre des espaces naturels, ainsi que le souligne le commissaire du gouvernement.
En conséquence, la date de référence doit être fixée au 27 avril 2014, soit un an avant l’ouverture de l’enquête publique qui s’est déroulée du 27 avril 2015 au 2 juin inclus.
En application des articles L. 322-2 à L. 322-4 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, le terrain est qualifié de terrain à bâtir, au sens du code de l’expropriation, dès lors qu’il remplit deux conditions cumulatives, qui doivent être remplies un an avant la déclaration d’utilité publique: être situés dans un secteur désigné comme constructible par le plan local d’urbanisme et être effectivement desservi par une voie d’accès, un réseau électrique, un réseau d’eau potable, etc.. Les terrains qui ne répondent pas, à la date de référence, à ces conditions cumulatives, sont évalués en fonction de leur seul usage effectif.
En l’espèce, le Conservatoire du Littoral et le commissaire du gouvernement s’accordent pour considérer que la parcelle litigieuse est située en zone NRFU du PLU de [Localité 25], tandis que les consorts [E] soutiennent que cette parcelle est située principalement dans cette zone mais également en zone NLA.
La zone NRFU correspond à une zone naturelle de protection des espaces remarquables de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme. Elle correspond à la forêt usagère. Toutes les occupations et utilisations du sol y sont en principe interdites, sauf celles limitativement énumérées à l’article 2 du règlement de zone: il ne s’agit donc pas d’un secteur désigné comme constructible dans le PLU.
S’agissant de la zone NLA, le règlement du PLU de la commune de [Localité 25] liste les types de constructions interdites, les occupations et utilisations du sol soumises à des conditions particulières.
Les restrictions apportées aux possibilités et de construction et d’occupation des sols dans cette zone sont telles que les parcelles situées dans cette zone ne peuvent être considérées comme des terrains à bâtir.
Ainsi, quelque soit le zonage retenu, NRFU ou NLA, le bien non délimité CE [Cadastre 17], comprenant le lot n°9, ne peut être qualifié de terrain à bâtir au sens de l’article L.322-3 du code de l’expropriation.
Dès lors, il y a lieu de rechercher l’usage effectif du lot n°9 à la date de référence, à savoir le 27 avril 2014.

Sur l’usage effectif du terrain exproprié à la date de référence
L’usage effectif du bien exproprié s’entend à la date de référence. Le juge ne doit pas tenir compte dans ce cadre des aménagements futurs possibles.
Les consorts [E] se prévalent de l’activité économique générée par l’espace d’accueil aménagé de la [Localité 23], qui jouxte la parcelle CE8, considérant que cette parcelle contribue économiquement au site, en ce qu’elle permettrait un accès au parking de la Dune, au parking du restaurant “[20]” ou encore à l’escalier de la Dune.
Néanmoins, aucun élément n’est versé aux débats pour démontrer ces allégations.
A supposer même que les sentiers de la parcelle CE[Cadastre 17] soient utilisés à ces fins, force est de constater que les consorts [E] ne démontrent pas avoir valorisé ces utilisations, que ce soit auprès du restaurant “[20]” ou auprès du Syndicat Mixte de la [Localité 23].
Dès lors, il y a lieu de considérer qu’à la date de référence, le bien exproprié était utilisé en forêt usagère.

Sur l’indemnité principale
Par application des articles L. 322-1 à L. 322-3 du code de l’expropriation, l’indemnité de dépossession doit être fixée d’après la valeur du bien au jour du présent jugement, en tenant compte de sa consistance à la date de l’ordonnance d’expropriation et de son usage effectif ou de sa qualification de terrain à bâtir à la date de référence.
Au soutien de sa proposition de fixation de l’indemnité principale à hauteur de 0,50 euros par m² pour des espaces en nature boisée, l’expropriant utilise une méthode par comparaison s’appuyant sur huit cessions relatives à des espaces boisés et trois cessions de parcelles de Dune. L’incendie étant survenu après l’ordonnance d’expropriation, aucune décote n’est appliquée. Il est proposé une indemnisation à hauteur de 0.50 euros le mètre carré pour la surface boisée, correspondant à la moyenne des transactions recensées portant sur des parcelles boisées libres de toute occupation.
Cette proposition est identique à l’estimation faite par le commissaire du Gouvernement, qui se fonde pour sa part sur sept termes de comparaison pour des parcelles boisées.
Les expropriés sollicitent une indemnisation à hauteur de 5 euros le mètre carré, montant retenu par le juge de l’expropriation de Céans dans un jugement du 19 février 2018.
Or, l’examen de ce jugement révèle qu’il s’agissait d’indemniser des parcelles situées en zone NLA, sur l’aire d’accueil de la [Localité 23], dont l’usage effectif retenu était: “pour la partie aménagée, un usage de parc de stationnement, d’accueil de locaux administratifs et de commerces, pour la partie non aménagée: de terrains en nature de sol et de forêt, le tout en situation privilégiée considérant l’attraction exercée par ce site très touristique”.
Si la parcelle CE[Cadastre 17] est évidemment située dans ce site très touristique et est en nature de forêt, elle n’est manifestement pas aménagée.
Dès lors, ce terme de comparaison ne peut être retenu comme pertinent.
Les termes de comparaison produits par le Conservatoire du Littoral concernent des transactions portant sur des parcelles boisées situées à [Localité 25], dans le périmètre de la déclaration d’utilité publique.
Toutes les transactions concernant des parcelles boisées libres affichent un prix de 0,50 euros le m².
Six des termes de comparaison produits par le commissaire du gouvernement concernent des parcelles boisées dont deux acquisitions par le Conservatoire concernant des lots du BND cadastré CE[Cadastre 17]. Elles affichent toutes un prix au mètre carré de 0,50 euros. Le septième terme de comparaison proposé, affichant un prix de 0,40 euros le mètre carré, doit être écarté s’agissant d’une transaction portant sur un terrain non constructible de 126 130 m², la superficie étant bien plus importante que celle du lot n°9 litigieux.
Ainsi, pour le lot n°9 de la parcelle CE [Cadastre 17] en nature boisée, l’indemnité principale sera fixée à :
14 107x 0,50= 7 053,50 euros.

Sur l’indemnité de remploi
L’indemnité de remploi, prévue à l’article R. 322-5 du code de l’expropriation, destinée à compenser les frais de tous ordres exposés pour l’acquisition d’un bien comparable, est habituellement fixée à 20 % pour la fraction de l’indemnité principale inférieure à 5 000 euros, à 15 % pour la fraction comprise entre 5 000 et 15 000 euros et à 10 % pour le surplus.
L’indemnité de remploi sera donc fixée en l’espèce à la somme de 1 308,03 euros (5 000x 20 % + 2053,5x 15%).
Sur les dépens
Conformément à l’article L. 312-1 du code de l’expropriation, le Conservatoire du Littoral supportera les dépens.
Sur l’indemnité au titre des frais irrépétibles
Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile: “Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :/1° A l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;/2° Et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991./Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. Néanmoins, s'il alloue une somme au titre du 2° du présent article, celle-ci ne peut être inférieure à la part contributive de l'Etat.”
En l’espèce, il sera fait droit à la demande de 2000 euros au titre des frais irrépétibles formulée par les consorts [E] qui ont engagé des frais d’avocat pour faire valoir leurs droits dans le cadre de la procédure d’expropriation et qui étaient présents, en compagnie de leur conseil, lors du transport sur les lieux.

PAR CES MOTIFS
Le juge de l’expropriation,
FIXE la date de référence au 27 avril 2014,
FIXE les indemnités de dépossession revenant à monsieur [E] [J] [C] [F], monsieur [E] [B] [X] [O], monsieur [E] [W] [C] [M], monsieur [E] [D] [C], madame [E] [Y] [C] [K], monsieur [E] [P] [C] [V], pour l’expropriation du lot n°9 de la parcelle cadastrée section CE n°[Cadastre 17] située à [Adresse 26] d’une contenance de 14 107 m² , aux sommes suivantes :
7 053,50 euros au titre de l’indemnité principale,
1 308,03 euros au titre de l’indemnité de remploi,

Condamne le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres aux dépens.
Condamne le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres à payer aux consorts [E] sus identifiés la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La présente décision a été signée par, Madame Marie WALAZYC Juge de l’Expropriation, et par Mme Céline DONET, greffier présent lors du prononcé.

Le GreffierLe Juge de l’Expropriation


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bordeaux
Formation : Expropriations
Numéro d'arrêt : 23/00017
Date de la décision : 28/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 03/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-28;23.00017 ?
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