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28/03/2024 | FRANCE | N°22/00095

France | France, Tribunal judiciaire de Bordeaux, Expropriations, 28 mars 2024, 22/00095


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX

JURIDICTION DE L’EXPROPRIATION DE LA GIRONDE


JUGEMENT FIXANT INDEMNITES D’EXPROPRIATION.

le JEUDI VINGT HUIT MARS DEUX MIL VINGT QUATRE


N° RG 22/00095 - N° Portalis DBX6-W-B7G-XLAQ
NUMERO MIN: 24/00030

Nous, Madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente au Tribunal judiciaire de BORDEAUX, désignée spécialement en qualité de juge de l’Expropriation par ordonnance de Madame la Première Présidente de la Cour d’appel de BORDEAUX en date du 31 août 2023, pour exercer dans le département de la Gironde les foncti

ons prévues aux articles L.211 et R 211-1 et suivants du Code de l’expropriation, assistée de Mme Céline ...

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX

JURIDICTION DE L’EXPROPRIATION DE LA GIRONDE

JUGEMENT FIXANT INDEMNITES D’EXPROPRIATION.

le JEUDI VINGT HUIT MARS DEUX MIL VINGT QUATRE

N° RG 22/00095 - N° Portalis DBX6-W-B7G-XLAQ
NUMERO MIN: 24/00030

Nous, Madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente au Tribunal judiciaire de BORDEAUX, désignée spécialement en qualité de juge de l’Expropriation par ordonnance de Madame la Première Présidente de la Cour d’appel de BORDEAUX en date du 31 août 2023, pour exercer dans le département de la Gironde les fonctions prévues aux articles L.211 et R 211-1 et suivants du Code de l’expropriation, assistée de Mme Céline DONET, Greffier

A l’audience publique tenue le 15 Février 2024 les parties présentes ou régulièrement représentées ont été entendues et l’affaire a été mise en délibéré au 28 Mars 2024, et la décision prononcée par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile

ENTRE :

BORDEAUX METROPOLE
[Adresse 15]
[Localité 6]
représentée par Maître Clotilde GAUCI de la SCP COULOMBIE - GRAS - CRETIN - BECQUEVORT - ROSIER, avocats au barreau de BORDEAUX

ET

S.C.I DOUGADOS IMMO
[Adresse 3]
[Localité 7]
représentée par Maître Guillaume ACHOU-LEPAGE de la SELARL GUILLAUME ACHOU-LEPAGE, avocats au barreau de BORDEAUX

En présence de Madame [F] [O], Commissaire du Gouvernement

-------------------------------------------
Grosse délivrée le:
à :
Expédition le :
à :

FAITS ET PROCÉDURE
La SCI DOUGADOS IMMO est propriétaire de la parcelle cadastrée section AV n°[Cadastre 2] d’une contenance de 178 m², située [Adresse 9], sur le territoire de la commune du [Localité 16].

Par arrêté du 15 septembre 2021, la préfète de la Gironde a déclaré d’utilité publique au bénéfice de [Localité 6] Métropole, les travaux d’aménagement de la portion [Adresse 19] située entre l’[Adresse 11] et l’intersection de l’[Adresse 14] et de l’[Adresse 13] sur les communes du [Localité 16] et d’[Localité 7].

Le 10 février 2022, un arrêté de cessibilité a été pris par la préfète de la Gironde.

Par ordonnance du 10 juin 2022, le juge de l’expropriation de la Gironde a déclaré immédiatement expropriée la parcelle précitée au profit de Bordeaux Métropole.

Bordeaux Métropole a saisi la juridiction de l’expropriation de la Gironde en adressant un mémoire par lettre recommandée avec accusé de réception reçue au greffe le 20 décembre 2022 aux fins de voir fixer l’indemnisation pour la dépossession du bien appartenant à la SCI DOUGADOS IMMOpour un montant de 8 847 euros.

Le transport sur les lieux fixé par ordonnance du juge de l’expropriation du 24 juillet 2023 s’est déroulé le 23 octobre 2023, en présence du représentant de la SCI DOUGADOS IMMO, de son conseil, des représentants de Bordeaux Métropole, de son conseil et du commissaire du gouvernement.

Le commissaire du Gouvernement a transmis son mémoire au greffe du juge de l’expropriation le 10 octobre 2023.

L’affaire a été fixée à l’audience du 7 décembre 2023, renvoyée aux 11 janvier et 15 février 2024.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

A l’audience, Bordeaux Métropole, représentée par son conseil, a repris oralement les éléments de son dernier mémoire du 13 février 2024 et demande, à titre principal de fixer à la somme de 8 847 euros, toutes indemnités confondues ou, à titre subsidiaire, à la somme de 78 847 euros toutes indemnités confondues ou, à titre infiniment subsidiaire, à la somme de 94 853,20 euros, toutes indemnités confondues, les indemnités d’expropriation revenant à la SCI DOUGADOS IMMO, étant souligné que le montant proposé au titre de l’indemnité principale et de l’indemnité de remploi est toujours le même, les demandes subsidiaires et infiniment subsidiaires ne portant que sur le montant des indemnités accessoires.

Au soutien de sa demande de fixation des indemnités d’expropriation, principale et de remploi,, Bordeaux Métropole soutient que l’emprise à exproprier est en nature de trottoir et de surface goudronnée occupée partiellement en tant que parking. Elle indique que la parcelle AV [Cadastre 2] est située en zone US 7 du PLU, est incluse dans le périmètre du droit de préemption urbain et est grevée d’un emplacement réservé P501 en vue de l’élargissement de l’[Adresse 12]. En conséquence, Bordeaux Métropole fixe la date de référence à la date du 24 février 2017, date à laquelle le PLU de [Localité 6], qui délimite la zone US 7, dans laquelle est située le bien en cause, a été rendu opposable. La collectivité publique estime que le bien en cause revêt la qualité de terrain à bâtir au sens de l’article L. 322-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

Elle estime son offre d’indemnisation de 7 476 euros au titre de l’indemnité principale et 1 371 euros au titre de l’indemnité de remploi, satisfactoire dès lors qu’elle est conforme à l’estimation de la DIE réalisée le 6 avril 2022, (42 euros par m²), qu’en matière de voirie, comme des trottoirs ou une voie de circulation, le juge considère que le bien est en réalité inconstructible, et qu’en l’espèce, le PLU prévoit une règle de recul de 3 mètres ; la parcelle étant peu large, elle doit être considérée comme inconstructible. Elle souligne qu’avant le détachement des 178 m² expropriés, l’emprise était d’ores et déjà en nature pour l’essentiel de trottoir ouvert au public comme ceci apparaît sur les photographies Google-Earth. Elle en déduit que l’inconstructibilité de la parcelle ne résulte pas des agissements de Bordeaux Métropole mais existait déjà préalablement au prononcé de la DUP.Elle ajoute que toutes les cessions menées dans le secteur ont abouti à une somme de 42 euros le m², que ce soit à l’amiable ou judiciairement.

Concernant la demande d’indemnité principale présentée par la SCI DOUGADOS IMMO, elle estime que les termes de comparaison produits en soutien ne peuvent être retenus faute de préciser les références de la publication des actes ou de produire ces actes et que les références au site ETALAB ne peuvent pas davantage être prises en compte sans production de l’acte en cause. En tout état de cause, les références retenues correspondent à des terrains constructibles à superficies incomparables, alors qu’à la date de référence, l’emprise expropriée était déjà pour l’essentiel en nature de trottoir ouvert à la circulation du public.

S’agissant des indemnités accessoires, elle souligne qu’en application de l’article L. 322-1 du code de l’expropriation, les améliorations de toute nature faites postérieurement à l’arrêté prescrivant l’ouverture de la déclaration d’utilité publique ne peuvent donner lieu à aucune indemnisation. Elle expose qu’en l’espèce, les améliorations intervenues après le 23 février 2021 sont concernées. Or, il n’est pas démontré que la clôture a été érigée avant cette date et s’appuie sur des vues aériennes Google-Earth. Elle ajoute que les travaux de construction de clôture et d’installation d’un portail ont été fait sans autorisation d’urbanisme, dès lors que la non-opposition à la déclaration préalable de travaux relatifs à cette clôture a été retirée le 16 décembre 2020. Elle en déduit que s’agissant de travaux irréguliers, ils ne peuvent donner lieu à indemnisation. Elle ajoute que l’étude des plans déposés à l’appui de la demande de permis de construire ne prévoient pas de place PMR au droit d’accès, ni de local poubelle, ni de boîte aux lettres, ni de clôture. Elle en déduit qu’aucune indemnisation ne peut être allouée au titre d’une place PMR, d’un panneau de signalisation PMR, du déplacement du collecteur d’eau pluviale, du déplacement du portail automatisé, des ouvrages maçonnés et de la clôture, ou 6 boîtes aux lettres au nouvel alignement. Concernant l’indemnisation des 7 places de stationnement, elle souligne que les jugements les plus récents de la juridiction de l’expropriation fixent à 10 000 euros non à 13000 euros la perte d’une telle place, de sorte qu’à titre subsidiaire, elle souligne que l’indemnité accessoire du fait de la perte de ces 7 places de stationnement ne saurait excéder 70 000 euros
.
A titre infiniment subsidiaire, au cas où il serait fait droit à la demande d’indemnités accessoires, il conviendrait de les réduire à l’évaluation faite par ses soins au regard du marché public qu’elle applique pour ses opérations.

Concernant l’évaluation faite par le commissaire du gouvernement, Bordeaux Métropole formule les mêmes critiques concernant les termes de comparaison relatifs à des terrains à bâtir d’emprise plus importante. Elle estime que l’évaluation faite par le commissaire du gouvernement à 63 euros le mètre carré est surévaluée dès lors que de nombreuses cessions ont été enregistrées à 42 euros le mètre carré, qu’elles ont fait suite à des traités d’adhésion.

La SCI DOUGADOS IMMO a repris oralement ses dernières conclusions du 13 février 2024 et sollicite une indemnité principale de 146 316 euros, une indemnité de remploi de 17 130 euros, 98 000 euros au titre des pertes de places de stationnement, 4560 euros au titre du déplacement de la clôture, 17 400 euros au titre de la reconstitution du portail/muret/boîtes aux lettres et 15 900 euros au titre du déplacement du collecteur d’eau pluviale, de la fosse à compteur et des compteurs électriques. Elle sollicite en outre une somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle s’accorde avec Bordeaux Métropole sur la date de référence et sur la qualification de terrain à bâtir. En revanche, la SCI DOUGADOS IMMO s’oppose à la position de Bordeaux Métropole consistant à retenir que s’agissant d’un trottoir et d’un parking, il faudrait considérer le bien comme inconstructible. Elle soutient qu’elle est propriétaire d’une parcelle de 5017 m² comprenant un bâtiment à usage commercial, entrepôts et que les 178 m² objets de la présente instance ont été détachés à la demande de Bordeaux Métropole pour les seuls besoins de l’expropriation. Elle expose qu’il importe de tenir compte des caractéristiques de la parcelle à la date de référence soit avant la division parcellaire imposée par la procédure d’expropriation et de retenir une évaluation à 178 euros du mètre carré en application de ses termes de comparaison.
Concernant la pertinence de ces termes, elle rappelle que tous les termes présentés par Bordeaux Métropole ont un acquéreur unique : Bordeaux Métropole et que les accords passés dont se prévaut la collectivité ne s’imposent pas au juge dès lors qu’ils n’ont pas été passés avec la moitié des propriétaires et ne portent pas sur les deux tiers au moins des superficies concernées comme l’impose l’article L. 322-8 du code de l’expropriation. Elle demande également à écarter les termes présentés par le commissaire du gouvernement concernant des cessions auxquelles est partie Bordeaux Métropole. Elle ajoute que si Bordeaux Métropole se fonde sur 3 jugements rendus par le juge de l’expropriation de Céans retenant une indemnité de 42 euros le m² sur le même secteur, ceux-ci ne peuvent être retenus comme pertinents dès lors que les expropriés étaient non représentés dans ces procédures. Elle soutient que pour réparer son entier préjudice, il convient de retenir comme élément de comparaison des cessions de terrain à bâtir implantés dans le même zonage US7 et d’une surface d’environ 5000 m² et propose 3 termes de comparaison issus du site internet gouvernemental ETALAB dont les données peuvent être vérifiables par le commissaire du gouvernement.

S’agissant des travaux réalisés conduisant à ses demandes d’indemnités accessoires, il est soutenu qu’à la suite d’un sinistre, la SCI DOUGADOS IMMO a obtenu un permis de construire accordé par le maire du [Localité 16] le 19 septembre 2019. La clôture a fait l’objet d’une déclaration préalable et un arrêté de non opposition à déclaration préalable a été rendu le 9 novembre 2020. Si elle ne conteste pas que cet arrêté a été retiré, elle souligne que les travaux ont donné lieu à un nouvel arrêté du 17 février 2021, de sorte qu’elle conteste les allégations de Bordeaux Métropole selon lesquelles les travaux ainsi réalisés seraient irréguliers car réalisés sans autorisation. Elle ajoute que le dossier de demande d’autorisation d’implantation de la clôture reprend expressément les demandes de Bordeaux Métropole quant à l’implantation du nouvel alignement, et que les travaux ont été déclarés conformes aux autorisations selon DAACT du 13 septembre 2022 à laquelle la collectivité ne s’est pas opposée.
S’agissant des prises de vue aériennes Google-Earth, elle demande de les écarter en raison de leur absence de fiabilité dès lors qu’il n’est pas démontré que les photographies d’écran respectent la norme AFNOR NF Z67-147 relative au « mode opératoire des procès-verbaux de constat sur internet ».
Concernant l’évaluation des indemnités accessoires, elle valorise les places de parking à 13 000 euros la place et 20 000 euros la place PMR au motif qu’il existe une raréfaction des places de stationnement à l’échelle de la métropole avec comme conséquence une envolée des prix. Elle ajoute avoir fait chiffrer les autres postes sollicités par devis.

Dans ses dernières conclusions du 14 février 2022, le commissaire du gouvernement propose de fixer à 17 800 euros le montant de l’indemnité principale et à 2 780 euros l’indemnité de remploi, outre 10 000 euros par place de stationnement perdue et des indemnités de déplacement et de reconstruction chiffrées sur la base des différents devis.
Le commissaire du Gouvernement rejoint Bordeaux Métropole et l’exproprié quant à la date de référence. Il estime par ailleurs que le bien exproprié est un terrain à bâtir mais retient un encombrement de constructions au regard des caractéristiques de l’unité foncière dont elle est détachée. Il propose donc de retenir qu’il s’agit d’un terrain à bâtir encombré, avec application d’un abattement pour encombrement.
Il estime que les termes de comparaison produits par l’exproprié ne sont pas pertinents car concernent non pas des transactions de terrains à bâtir mais des cessions d’ensembles immobiliers vendus en tant que tel pour un usage conservé. S’agissant des termes de comparaison de l’expropriant, il souligne que les termes sont anciens et que deux d’entre eux n’ont pas encore été finalisés. Pour la valorisation de la parcelle, il est proposé de prendre en compte les caractéristiques de la parcelle d’origine avant sa division cadastrale diligentée par l’expropriant et de rechercher la valeur vénale de terrains à bâtir de moyenne et grande superficie, dans la même zone, avec abattement de 40% pour encombrement. Il retient à cet effet 5 termes de comparaison aboutissant à retenir une indemnisation de 100 euros par m².

MOTIVATION

Par application des articles L. 322-1 et L. 322-2 du code de l’expropriation, l’indemnité de dépossession est fixée d’après la valeur du bien au jour du jugement, en tenant compte de sa consistance à la date de l’ordonnance portant transfert de propriété et de sa qualification de terrain à bâtir ou de son usage effectif à la date de référence.

Sur la consistance du bien exproprié
Aux termes du premier alinéa de l’article L. 322-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique: “Le juge fixe le montant des indemnités d'après la consistance des biens à la date de l'ordonnance portant transfert de propriété.”
En l’espèce, l’ordonnance d’expropriation est intervenue le 10 juin 2022. A cette date, la consistance du bien était identique à celle qui a pu être constatée sur place lors du transport sur les lieux, à savoir un terrain affecté pour partie à l’usage du public (trottoir) et pour partie à usage de stationnement, des blocs de béton délimitant les deux espaces sur quelques mètres. Une murette en crépi est présente en début d’emprise. La parcelle expropriée comporte un compteur d’eau et une fosse de collecte des eaux pluviales. Une clôture et un portail d’accès au parking sont également présents. Le parking supporte 6 places de stationnement outre 2 places PMR matérialisées par un marquage au sol et par des panneaux de signalisation. Il y a en outre un local poubelle.
La parcelle AV [Cadastre 2] est issue d’une division parcellaire réalisée sur demande de Bordeaux Métropole pour les besoins de l’expropriation.
Sur la date de référence
Les parties et le commissaire du gouvernement s’entendent sur la date de référence.

La parcelle expropriée est incluse dans le périmètre du droit de préemption urbain.

Par application des dispositions combinées des articles L. 322-2 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique et L. 213-4 du code de l’urbanisme, auquel renvoie l’article L. 213-6 du même code, la date de référence est celle à laquelle la dernière révision du PLU modifiant la zone dans laquelle est située le bien en cause a été rendue opposable aux tiers.

En outre, en application de l’article L. 322-6 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique et de l’article L. 151-41 du code de l’urbanisme, lorsque l’expropriation porte sur terrain compris dans un emplacement réservé par un plan local d’urbanisme, la date de référence prévue à l’article L. 322-3 du code de l’expropriation est celle de l’acte le plus récent rendant opposable le plan local d’urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est située l’emplacement réservé.
La parcelle en cause étant à la fois située en partie sur un emplacement réservé et soumise au droit de préemption urbain, la date de référence à retenir pour l’ensemble de la parcelle considérée est celle de l’acte le plus récent rendant opposable le plan local d’urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est située la parcelle en cause, sur laquelle est par ailleurs situé l’emplacement réservé, soit en l’espèce le 24 février 2017, date à laquelle le PLU de [Localité 6], qui délimite la zone US 7, dans laquelle est située le bien en cause, a été rendu opposable.
Sur la qualification de terrain à bâtir à la date de référence
Aux termes de l’article L. 322-3 du code de l’expropriation : « La qualification de terrains à bâtir, au sens du présent code, est réservée aux terrains qui, un an avant l'ouverture de l'enquête prévue à l'article L. 1 ou, dans le cas prévu à l'article L. 122-4, un an avant la déclaration d'utilité publique, sont, quelle que soit leur utilisation, à la fois :/1° Situés dans un secteur désigné comme constructible par un plan d'occupation des sols, un plan local d'urbanisme, un document d'urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, ou bien, en l'absence d'un tel document, situés dans une partie actuellement urbanisée d'une commune ;/2° Effectivement desservis par une voie d'accès, un réseau électrique, un réseau d'eau potable et, dans la mesure où les règles relatives à l'urbanisme et à la santé publique l'exigent pour construire sur ces terrains, un réseau d'assainissement, à condition que ces divers réseaux soient situés à proximité immédiate des terrains en cause et soient de dimensions adaptées à la capacité de construction de ces terrains. Lorsqu'il s'agit de terrains situés dans une zone désignée par un plan d'occupation des sols, un plan local d'urbanisme, un document d'urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, comme devant faire l'objet d'une opération d'aménagement d'ensemble, la dimension de ces réseaux est appréciée au regard de l'ensemble de la zone./Les terrains qui, à la date de référence indiquée au premier alinéa, ne répondent pas à ces conditions sont évalués en fonction de leur seul usage effectif, conformément à l'article L. 322-2. »
Les deux critères posés au 1° et 2° de l’article L. 322-3 précité sont cumulatifs.
L’article L. 322-4 du même code prévoit toutefois que l’indemnisation doit tenir compte des possibilités effectives de construction et des servitudes.
En l’espèce, la parcelle cadastrée AV [Cadastre 2] est située en zone US du PLU de Bordeaux Métropole, correspondant à une zone de services aux salariés et aux entreprises, un secteur désigné comme constructible par le PLU. Le terrain est desservi par les réseaux publics.
Le terrain doit en conséquence être qualifié de terrain à bâtir.
Il ressort du plan cadastral produit par la SCI DOUGADOS IMMO, qu’au 17 février 2021, la parcelle AV [Cadastre 5] n’avait pas encore fait l’objet d’une division. A fortiori donc, elle ne l’avait pas été à la date de référence du 24 février 2017. Ainsi, comme le soutient à juste titre la SCI DOUGADOS IMMO, la division parcellaire dont est issue l’emprise expropriée est intervenue en raison de la procédure d’expropriation.
Dès lors, il n’y a pas lieu de retenir, comme le demande Bordeaux Métropole, une impossibilité effective de construction en raison de l’application de la règle de recul de 3 mètres du fait de la configuration de la parcelle expropriée puisqu’à la date de référence, la parcelle expropriée n’existait pas en tant que telle ; la parcelle AV [Cadastre 5], dont elle est issue, avait à l’époque une superficie de 5017 m². Dès lors, peu importe qu’à cette date une partie était utilisée en trottoir ou non, les possibilités de construction existaient.
En revanche, il n’est pas contesté à la date de référence, la parcelle était bâtie, supportant un immeuble à usage commercial et des entrepôts, qui ont été par la suite détruits et reconstruits à neuf.
Au regard des caractéristiques de la parcelle d’origine, il y a lieu d’appliquer, comme le propose le commissaire du gouvernement, un abattement pour encombrement de 40%.

Sur l’indemnité principale

La méthode par comparaison est retenue par les parties et le commissaire du gouvernement. Il y a lieu de faire application de cette méthode pertinente pour l’évaluation du bien en cause.
La portion expropriée est un terrain nu à bâtir issu d’une parcelle encombrée.
A titre liminaire, il convient de souligner que les trois termes de référence produits par Bordeaux métropole résultant des jugements rendus par le juge de l’expropriation dans le cadre de la même opération doivent être écartés comme non pertinents, les expropriés, non représentés dans ces trois procédures, n’ayant pas fait valoir utilement leurs droits, de sorte que le juge, tenu par les demandes des parties, ne pouvait aller au-delà de la demande de l’expropriant.
Les accords amiables passés par Bordeaux Métropole ne peuvent être considérés comme pertinent dès lors que Bordeaux Métropole a appliqué le même raisonnement que celui soumis à la juridiction à savoir qu’elle a considéré que ces parcelles devaient être considérées comme étant en réalité inconstructibles.
Les trois termes de comparaison produits par l’exproprié, issus du site internet ETALAB, ont été vérifiés par le commissaire du gouvernement.
Le commissaire du gouvernement indique que le premier terme sis [Adresse 1] consiste en un ensemble immobilier comprenant un bâtiment R+1 à usage exclusif de bureaux, 58 places de stationnements et espaces verts. Ce premier terme doit être écarté comme non pertinent dès lors qu’il ne porte pas sur un terrain nu.
Le deuxième terme est un bien sis [Adresse 4], consistant en un bâtiment industriel : il sera écarté pour les mêmes raisons.
Le troisième terme est un bien sis [Adresse 8] et consiste en un ensemble immobilier composé de deux bâtiments : il y a également lieu de l’écarter.
Les 5 termes de comparaison présentés par le commissaire du gouvernement portent sur des terrains à bâtir et d’un apport en société d’une parcelle de terrain à bâtir à proximité des réseaux.
4 termes de comparaison sont relatifs à des transactions réalisées sur le secteur de [Localité 17] et du [Localité 16], en zone US, le cinquième est en secteur AU. Les 5 transactions ont eu lieu entre le mois de février 2018 et le mois de mars 2022.
Le terme de 2018 sera écarté au regard de son ancienneté. Le terme de comparaison portant sur un zonage non strictement identique également.
Au total, il y a lieu de retenir les prix au m² suivants : 174, 150, 166, soit une moyenne de 163,33 euros, issus des trois termes de comparaison retenus du commissaire du gouvernement.
Après application d’un abattement de 40% pour encombrement, le prix au m² sera fixé à 98 euros.
Ainsi, pour une parcelle de 178 m², l’indemnité principale est de (178x98) 17 444 euros.

Sur l’indemnité de remploi
L’indemnité de remploi, prévue à l’article R. 322-5 du code de l’expropriation, destinée à compenser les frais de tous ordres exposés pour l’acquisition d’un bien comparable, est habituellement fixée à 20 % pour la fraction de l’indemnité principale inférieure à 5 000 euros, à 15 % pour la fraction comprise entre 5 000 et 15 000 euros et à 10 % pour le surplus.
L’indemnité de remploi sera donc fixée en l’espèce à la somme de 2744,40 euros (5 000x 20 % + 10000x 15% + 2444x10%).

Sur les indemnités accessoires
Aux termes de l'article L 321-1 du code de l'expropriation, les indemnités allouées couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.
Aux termes de l’article L. 322-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique : « Le juge fixe le montant des indemnités d'après la consistance des biens à la date de l'ordonnance portant transfert de propriété./ Toutefois, les améliorations de toute nature, telles que constructions, plantations, installations diverses, acquisitions de marchandises, qui auraient été faites à l'immeuble, à l'industrie ou au fonds de commerce, même antérieurement à l'ordonnance d'expropriation, ne donnent lieu à aucune indemnité si, en raison de l'époque à laquelle ces améliorations ont eu lieu ou de toutes autres circonstances, il apparaît qu'elles ont été faites dans le but d'obtenir une indemnité plus élevée. Sont présumées faites dans ce but, sauf preuve contraire, les améliorations postérieures à l'ouverture de l'enquête prévue à l'article L. 1. (…)», cette enquête étant l’enquête préalable à l’utilité publique, non l’enquête parcellaire.
Bordeaux Métropole contestant la régularité des travaux réalisés par la SCI DOUGADOS IMMO postérieurement à son sinistre et contestant en conséquence les demandes d’indemnités accessoires, il a lieu d’examiner au préalable la régularité des travaux.
En l’espèce, l’arrêté portant ouverture de l’enquête publique date du 23 février 2021.
Il ressort des pièces du dossier que par arrêté du 9 novembre 2020, la SCI DOUGADOS IMMO a obtenu l’autorisation de réaliser une clôture et un portail sur sa propriété sise [Adresse 10] au [Localité 16]. Par arrêté du 16 décembre 2020, notifié le 22 décembre 2020, le maire du [Localité 16] a retiré cette autorisation au motif que les travaux ne respectaient pas le futur alignement devant respecter l’emplacement réservé P501 pour l’élargissement de la [Adresse 18].
Une nouvelle demande a été déposée le 2 février 2021 et par arrêté du 17 février 2021, le maire du [Localité 16] a indiqué qu’il ne s’opposait pas « à la réalisation du projet décrit dans la demande », à savoir : « Clôture et portail ».
Les photographies accompagnant le dossier de demande d’autorisation administrative montrent que les travaux de clôture étaient bien avancés au mois de janvier 2021.
Il est ainsi démontré que le projet de la SCI DOUGADOS IMMO d’installer une clôture et un portail est antérieur à l’ouverture de l’enquête publique prise par arrêté du 23 février 2021.
De plus, il y a lieu de souligner que l’arrêté du maire précité indique : « Emplacement réservé : P501 Parcelle frappée d’alignement au droit de l’[Adresse 12] pour l’élargissement à 16m d’emprise publique, opération P 501 du PLU, le projet en tient compte ».
Ainsi à supposer même que les travaux n’aient pas été achevés à la date de l’ouverture de l’enquête publique, la présomption de mauvaise foi posée par le deuxième alinéa de l’article L. 322-1 précité est écartée par les éléments rappelés ci-avant.
Par ailleurs, Bordeaux Métropole ne rapporte pas la preuve que ces travaux d’amélioration ont été réalisés dans l’unique but d’obtenir une indemnité plus élevée. Au contraire, l’expropriation va contraindre la SCI DOUGADOS IMMO à détruire ses installations récentes pour les reculer de quelques mètres. Surtout, à la date du 17 février 2021, les informations données à la SCI DOUGADOS IMMO lui permettaient de croire que l’installation de la clôture et du portail était conforme à l’alignement défini par Bordeaux Métropole pour respecter l’emplacement réservé P501.
Il y a lieu en conséquence de statuer sur les demandes d’indemnités accessoires au regard de la consistance du bien à la date de l’ordonnance d’expropriation, sans qu’il soit besoin d’examiner les photographies aériennes produites et les contestations portées sur leur force probante,.
Sur l’indemnité au titre de la perte de 7 places de stationnement
Bordeaux métropole ne conteste pas, à titre subsidiaire, le principe de l’indemnisation de 7 places de stationnement mais conteste l’indemnisation au titre d’une place de stationnement PMR non prévue dans les plans déposés à l’appui de la demande de permis de construire.
En l’espèce, le transport sur les lieux a permis de constater la réalité des 6 places de stationnement concernées par l’expropriation ainsi que celle de la place PMR. La circonstance que cette place de stationnement réservée, à la supposer établie, n’ait pas été déclarée dans le permis de construire comme étant une place réservée aux personnes à mobilité réduite (place PMR), est indifférente, s’agissant de la réparation du préjudice lié à la suppression de ce stationnement effectivement utilisé et répondant au demeurant à la réglementation d’accès aux établissements recevant du public, ce qui est le cas du local commercial édifié sur la parcelle jouxtant la parcelle AV[Cadastre 2].
Pour justifier sa demande d’indemnisation à hauteur de 13 000 euros la perte de la place de stationnement, la SCI DOUGADOS IMMO ne produit aucun élément portant sur des transactions constatées s’agissant de places de stationnement ou autre élément plus concret qu’un sentiment de raréfaction des places de stationnement devant conduire à une indemnisation plus élevée. En l’absence d’élément pertinent apportés, il n’y a pas lieu d’aller au-delà de l’indemnisation allouée habituellement par le juge de l’expropriation de Gironde, soit 10 000 euros par place, qui correspond à l’offre subsidiaire de l’expropriant.
Pour justifier sa demande d’indemnisation à hauteur de 20 000 euros la perte de l’emplacement PMR, la SCI DOUGADOS IMMO se borne à renvoyer à un jugement du juge de l’expropriation du 16 juin 2022. Or, il n’est aucunement fait état dans la présente instance d’un préjudice distinct de la perte d’une place de stationnement classique qui devrait justifier une indemnisation complémentaire. Tout au plus il y aura lieu de déplacer la signalétique afférente (au sol et panneaux) ce qui n’est toutefois pas précisément chiffrée. Il y a lieu d’allouer à ce titre une somme de 500 euros
Dès lors, la perte des 7 places de stationnements sera indemnisée à hauteur de 70 500 euros.
Sur l’indemnité au titre du déplacement des plots de béton (clôture) au nouvel alignement, de la dépose et repose du portail coulissant, de la démolition et reconstruction du muret,
L’expropriation va contraindre la SCI DOUGADOS IMMO à déplacer les plots de béton au nouvel alignement.
Le devis produit, daté du 8 janvier 2024, mentionne un coût de 3800 HT pour le déplacement des plots de béton et de 14 500 euros HT pour les opérations portant sur le portail et le muret en béton outre la TVA de 20%.
Si Bordeaux Métropole évalue le coût pour ce poste à environ 16 000 euros TTC, ce chiffrage provient des prix pratiqués dans le cadre de ses marchés publics et ne peut être considéré comme une base pertinente pour un particulier ou une société devant faire appel à des artisans.
Il y a lieu d’allouer en conséquence une somme de 21 960 euros en réparation du préjudice subi de ce chef.
Si le déplacement des boîtes aux lettres est évoqué par les parties dans leurs écritures, le devis n’en fait pas état spécifiquement. Il en va de même s’agissant du déplacement du local poubelle qui ne fait pas l’objet d’un chiffrage distinct. Ces déplacements n’apparaissent en conséquence pas devoir être distingués au titre de l’indemnisation.
Sur l’indemnité au titre du déplacement du collecteur d’eaux pluviales, de la fosse à compteur et des compteurs électriques
L’expropriation va contraindre la SCI DOUGADOS IMMO à déplacer le collecteur d’eaux pluviales, la fosse à compteur et les compteurs électriques.
Les devis des entreprises sollicitées ne sont pas produits, ils sont simplement évoqués dans une correspondance entre la SCI DOUGADOS et M. [Y], architecte DPLG.
Bordeaux Métropole, qui contestait le principe du bien fondé de cette évaluation, n’a pas fourni de devis proposant une autre évaluation. Dès lors, il y a lieu de faire droit à la demande formée de ce chef et d’allouer à la SCI DOUGADOS une indemnité de 15 900 euros TTC.
Sur les dépens
Conformément à l’article L. 312-1 du code de l’expropriation, Bordeaux Métropole supportera les dépens.
Sur l’indemnité au titre des frais irrépétibles
Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile: “Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :/1° A l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;/2° Et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991./Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. Néanmoins, s'il alloue une somme au titre du 2° du présent article, celle-ci ne peut être inférieure à la part contributive de l'Etat.”
En l’espèce, il ne paraît pas inéquitable d’allouer à la SCI DOUGADOS IMMO une somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Le juge de l’expropriation,
FIXE la date de référence au 24 février 2017,
FIXE les indemnités de dépossession revenant à la SCI DOUGADOS IMMO représentée par son gérant, pour l’expropriation de la parcelle cadastrée section AV [Cadastre 2], sise [Adresse 9], d’une contenance de 178 m² , aux sommes suivantes :
Indemnité principale : 17 444 euros
Indemnité de remploi : 2 744,40 euros
Indemnités accessoires : 70 500 euros au titre de la perte de 7 places de stationnement en ce compris la place réservée aux personnes à mobilité réduite (PMR),
21 960 euros au titre du déplacement des plots de béton, de la dépose et repose du portail coulissant, de la démolition et reconstruction du muret,
15 900 euros au titre du déplacement du collecteur d’eaux pluviales, de la fosse à compteur et des compteurs électriques
Condamne Bordeaux Métropole aux dépens.
Condamne Bordeaux Métropole à payer à la SCI DOUGADOS IMMO la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La présente décision a été signée par, Madame Marie WALAZYC Juge de l’Expropriation, et par Mme Céline DONET, greffier présent lors du prononcé.
Le GreffierLe Juge de l’Expropriation


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bordeaux
Formation : Expropriations
Numéro d'arrêt : 22/00095
Date de la décision : 28/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 03/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-28;22.00095 ?
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