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26/03/2024 | FRANCE | N°21/02181

France | France, Tribunal judiciaire de Bordeaux, 1ère chambre civile, 26 mars 2024, 21/02181


N° RG 21/02181 - N° Portalis DBX6-W-B7F-VJQG
PREMIÈRE CHAMBRE
CIVILE







28A

N° RG 21/02181 - N° Portalis DBX6-W-B7F-VJQG

Minute n° 2024/00



AFFAIRE :


[C] [O]

C/

[P] [D] veuve [O]







Exécutoires délivrées
le
à
Avocats : Me Sara BELDENT
Me Mathilde GALTIER





TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 26 MARS 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats et du délibéré :

Madame Car

oline RAFFRAY, Vice-Présidente,
Madame Patricia COLOMBET, Vice-Présidente
Madame Delphine DUPUIS-DOMINGUEZ, Juge

Madame Ophélie CARDIN, greffier lors des débats, et Madame [G] [K], Adjoint administratif faisant fon...

N° RG 21/02181 - N° Portalis DBX6-W-B7F-VJQG
PREMIÈRE CHAMBRE
CIVILE

28A

N° RG 21/02181 - N° Portalis DBX6-W-B7F-VJQG

Minute n° 2024/00

AFFAIRE :

[C] [O]

C/

[P] [D] veuve [O]

Exécutoires délivrées
le
à
Avocats : Me Sara BELDENT
Me Mathilde GALTIER

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 26 MARS 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats et du délibéré :

Madame Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente,
Madame Patricia COLOMBET, Vice-Présidente
Madame Delphine DUPUIS-DOMINGUEZ, Juge

Madame Ophélie CARDIN, greffier lors des débats, et Madame [G] [K], Adjoint administratif faisant fonction de greffier lors du délibéré

DEBATS :

A l’audience publique du 13 Février 2024 sur rapport de Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente, conformément aux dispositions de l’article 785 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT:

Contradictoire
Premier ressort,
Par mise à disposition au greffe,

DEMANDERESSE :

Madame [C] [O]
née le 08 Juin 1969 à BOURG-LA-REINE (92)
de nationalité Française
9 chemin Goya
Appt 923
31100 TOULOUSE

représentée par Me Sara BELDENT, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat postulant, et par Me Camille MAYZOUE, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant

DEFENDERESSE :

Madame [P] [D] veuve [O]
née le 15 Février 1946 à PARIS (75000)
de nationalité Française
30 rue de l’Aiguillon
Résidence Marie Morgane
33260 LA-TESTE-DE-BUCH
N° RG 21/02181 - N° Portalis DBX6-W-B7F-VJQG

représentée par Me Mathilde GALTIER, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant

EXPOSE DU LITIGE

[Y]-[X] [O] est décédé le 21 septembre 2017 à Bordeaux en laissant pour lui succéder :

- Mme [P] [D] veuve [O], son conjoint survivant, avec laquelle elle était mariée sous le régime de la communauté légale,

- Mme [C] [O], sa fille issue d’un premier mariage.

Par testament du 24 décembre 1997, [Y]-[X] [O] a légué à son épouse “l’usufruit de (son) immeuble situé à la TESTE, 30 rue de l’Aiguillon, ainsi que tous les biens, meubles, qui composeront (sa) succession”.

Dans un courrier adressé au notaire chargé de la succession, lequel a été annexé à l’attestation immobilière après décès en date du 28 octobre 2019, Mme [P] [D] veuve [O] indique “Maître, Par cette lettre, je vous confirme ma décision d’opter pour l’usufruit de l’ensemble de la succession. Je garde la jouissance du bien immobilier et conserve les comptes bancaires à charge pour moi de régler les droits de succession de ma belle-fille [C] [O]”.

La succession de [Y]-[X] [O] est composé d’un bien immobilier à la Teste de Buch et de liquidités.

Mme [C] [O] a fait assigner Mme [P] [D] veuve [O] devant le tribunal judiciaire de Bordeaux par exploit du 15 mars 2021 aux fins notamment d’obtenir le remboursement d’une somme de 26.807 euros qu’elle a acquittée au titre des frais de succession, et l’emploi des liquidités sur un support financier non soumis au quasi-usufruit chez un dépositaire agréé.

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 30 août 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé complet des moyens développés, Mme [C] [O] demande au tribunal, au visa des articles 589, 600, 601, 602, 1094-3, 1100, 1240, 1376, 1362, 1221, 2295, 2296 du code civil et 70 du code de procédure civile:

▪ DECLARER irrecevable la demande de partage judiciaire formée par Madame [D] ;

▪ CONDAMNER Madame [P] [D] au paiement de la somme de 26.807 € à Madame [C] [O] ;

▪ CONDAMNER Madame [P] [D] au paiement de la somme de 2.500 € à titre de dommages et intérêts à Madame [C] [O] pour le préjudice moral subi ;

▪ CONDAMNER Madame [P] [D] à la somme de 2.500 € à titre de dommages et intérêts à Madame [C] [O] pour le préjudice économique subi ;
▪ CONSTATER l’absence de garantie offerte par Madame [P] [O] sur la créance de restitution de [C] [O] ;

▪ ORDONNER qu’il soit fait emploi de l’ensemble des sommes et capitaux détenues dans le cadre de l’usufruit à la date d’ouverture de la succession, et que ces sommes soient employées sur un support financier non soumis au quasi-usufruit chez un dépositaire agréé ;

▪ DESIGNER tel établissement dépositaire qu’il plaira aux fins d’ouvrir un portefeuille de valeurs mobilières et de recevoir et placer les capitaux et valeurs mobilières, et à défaut désigner la Caisse des dépôts et consignations ;

▪ PRECISER que seuls les intérêts mensuels des sommes placées seront perçus par l’usufruitier durant la vie de l’usufruitier ;

▪ CONDAMNER Madame [D] à verser à Madame [C] [O] la somme de 4.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile, avec distraction au profit de son Maître [L] [E], ainsi qu’aux entiers dépens d’instance.

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 24 janvier 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé complet des moyens développés, Mme [P] [O] demande au tribunal, au visa de l’article 815 etsuivants du code civil et 1360 et suivants du code de procédure civile, de :

- ORDONNER l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la communauté [O]/[D],

- DESIGNER tel Notaire de son choix pour y procéder sous la surveillance d’un juge commis,

- DIRE ET JUGER que Madame [P] [D] a bénéficié d’une donation d’un montant de 100.000€ aux termes d’un virement en date du 23 mai 2017,

- CONDAMNER la communauté au règlement d’une récompense d’un montant de 100.000€ au profit de Madame [P] [D], et à titre subsidiaire, dire et juger qu’il convient qu’elle procède à une reprise de cette somme dans le cadre de la liquidation de la communauté,

- DIRE ET JUGER que Madame [P] [D] veuve [O] bénéficie des legs suivants :

* L’usufruit du bien immobilier sis 30 route de l’Aiguillon, Résidence Marie Morgane,
33260 LA TESTE DE BUCH,

* La pleine propriété des biens meubles de la succession de Monsieur [Y]-[X] [O],

- DIRE ET JUGER que Madame [P] [D] veuve [O] bénéficie des droits légaux dans la succession de son époux, à hauteur d’un quart en pleine propriété,

- ORDONNER le partage de la succession de Monsieur [Z] [O], au besoin sur la seule nue-propriété,

- DEBOUTER Madame [C] [O] de l’ensemble de ses demandes,

- LA CONDAMNER au règlement des entiers dépens de l’instance.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 30 janvier 2024.

A l’audience du 13 février 2024, le tribunal a mis dans le débat l’irrecevabilité devant la présente juridiction de jugement de la fin de non recevoir soulevée par Mme [C] [O] de la demande en partage tirée d’un défaut de lien suffisant avec les demandes initiales et a invité les parties, si elles le souhaitaient à faire parvenir leurs observations sur ce moyen soulevé d’office par une note en délibéré sous 8 jours.

MOTIVATION

Ainsi que mis dans les débats et en application de l’article 789 du code de procédure civile dans sa version applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020 comme en l’espèce, Mme [C] [O] n’ayant pas soumis au juge de la mise en état les fins de non recevoir dont elle se prévaut et qui ont été révélées antérieurement au dessaisissement de celui-ci, n’est plus recevable à les soulever devant la présente juridiction de jugement.

sur la demande de partage de la communauté [O]/[D] et de la succession de [Z] [O] et la qualification du virement de 100 000 euros :

Moyens des parties

Mme [P] [D] veuve [O] demande que soit ordonné le partage de la communauté en ce qu’elle constitue, selon elle, un préalable nécessaire au partage de la succession de [Z] [O].

Elle considère que les opérations devant le notaire chargé du règlement de la succession n’ont pas reçu les bonnes qualifications et elle revendique, d’une part, des droits quant à une somme de 100 000 euros qui a été encaissée sur son compte personnel le 29 juillet 2017 et d’autre part, des droits supérieurs à ceux qui ont été retenus dans la succession de son mari.

En premier lieu, elle fait valoir qu’elle a bénéficié d’une donation de la part de son époux d’une somme de 100 000 euros qu’elle a encaissée sur son compte personnel le 29 juillet 2017 puis qu’elle a répartie sur deux livrets à son nom, le solde restant sur son compte courant. Elle fait valoir que cette somme provenait du rachat d’une assurance-vie souscrite par son époux à son bénéfice avec les fonds provenant de la succession de sa mère, le défunt ayant l’intention de la protéger.

Elle demande que soit jugé qu’elle est titulaire d’une récompense de ce montant à l’encontre de la communauté et à titre subsidiaire qu’elle peut effectuer la reprise de cette somme dans le cadre de la liquidation de la communauté.

En second lieu, elle fait plaider que ses droits issus du testament sont constitués de l’usufruit de l’immeuble de la Teste et de la pleine propriété des biens meubles et qu’ils se cumulent avec ses droits légaux de l’article 757 du code civil à hauteur d’1/4 en pleine propriété.

Elle conteste, d’une part, que le courrier qu’elle a adressé au notaire puisse s’interpréter comme une renonciation au bénéfice de ses droits légaux alors qu’elle n’y précise pas qu’elle ne conserve que l’usufruit des sommes mais propose un partage via le règlement des droits de sa belle-fille et qu’il existe une incompréhension sur ses droits.

Pour s’opposer, d’autre part, à l’analyse de sa belle-fille, qui s’appuie sur une consultation du CRIDON, aux termes de laquelle elle ne pourrait cumuler ses vocations légales et testamentaires, elle oppose des jurisprudences relatives aux modalités d’imputation d’un legs en usufruit aux termes desquelles, selon elle, l’imputation d’une libéralité en usufruit doit être réalisée en assiette sans qu’il y ait à opérer une capitalisation (civ 1er 22 juin 2022, n° 20-23.215).

Elle considère donc qu’elle est pleine propriétaire de l’ensemble des biens meubles de la succession, en ce compris l’ensemble des liquidités de la succession.

Elle conclut, enfin, qu’il y a lieu de procéder au partage de la succession de [Y]-[X] [O] afin de liquider ses droits, de vérifier le respect des quotités disponibles spéciales entre époux et de la réserve héréditaire. Elle conteste l’existence d’un partage amiable. Elle rétorque à l’argumentation sur l’absence d’indivision, qu’il y a nécessairement une indivision, a minima en nue-propriété, puisqu’elle est titulaire de droits à hauteur d’1/4 en pleine propriété dans la succession de son époux.

Mme [C] [O] conclut au rejet de la demande de partage judiciaire de la succession de son père en ce qu’un partage amiable a déjà été effectué et alors qu’il n’existe aucune indivision entre les parties puisque sa belle-mère a accepté l’usufruit de la totalité de la succession.

S’agissant de la somme de 100 000 euros, elle conclut que le seul virement de cette somme provenant de l’héritage de sa grand-mère paternelle sur le compte commun du couple ne permet pas de déduire une intention libérale du défunt, ajoutant qu’il n’a été procédé à aucune déclaration de don manuel à l’administration fiscale, contrairement au don dont elle a bénéficié à la même période. Elle conteste donc que cette somme puisse être décomptée en qualité de donation et non dans l’actif successoral.

En second lieu, elle conteste l’interprétation du testament de sa belle-mère et relève que le notaire a indiqué dès l’acte de notoriété qu’il s’agissait du legs de l’usufruit des biens meubles et immeubles composant la succession.

Enfin, elle conteste le cumul de droits revendiqués par sa belle-mère et se prévaut de l’analyse du CRIDON aux termes de laquelle Mme [D] ne pouvait prétendre à un quart en propriété. Elle oppose qu’il ne ressort pas des jurisprudences produites que la Cour de cassation se prononce sur un cumul ni sur une répartition de droit.

Sur ce

* sur la situation d’indivision et les droits du conjoint survivant

La demande tendant à voir ordonner le partage de la succession suppose de déterminer si, d’une part, il existe une indivision entre Mme [D] et sa belle-fille, cette question étant la première devant être résolue, avant de s’interroger sur la prétendue existence d’un partage amiable de cette indivision si elle existe.

S’agissant de l’existence ou non d’une situation d’indivision, les parties s’opposent sur les droits du conjoint survivant dans la succession de [Y]-[X] [O] résultant de la situation de cumul d’une vocation légale et testamentaire.

Il est constant que l’article 757 du code civil donne une vocation légale au conjoint survivant en présence d’un enfant d’un autre lit, comme en l’espèce, à hauteur d’un quart en pleine propriété.

Par ailleurs, le défunt a rédigé un testament le 24 décembre 1997 sur lequel les parties s’opposent sur l’interprétation.

Dans ce testament, le défunt déclare léguer à Mme [D] “l’usufruit de mon immeuble situé à la TESTE, 30 rue de l’Aiguillon, ainsi que tous les biens, meubles, qui composeront ma succession”.

Mme [D] soutient que le testateur a voulu lui léguer la pleine propriété des biens meubles alors que Mme [O] soutient que le legs porte sur l’usufruit des meubles.

Selon l’article 1010 du même code, le legs à titre universel est celui par lequel le testateur lègue une quote-part des biens dont la loi lui permet de disposer, telle qu'une moitié, un tiers, ou tous ses immeubles, ou tout son mobilier, ou une quotité fixe de tous ses immeubles ou de tout son mobilier.

L’article 1014 du même code dispose , s’agissant des legs particuliers, que tout legs pur et simple donnera au légataire, du jour du décès du testateur, un droit à la chose léguée, droit transmissible à ses héritiers ou ayants cause.

Il appartient aux juges du fond, pour qualifier un legs, de tenir compte de son objet, d'après la volonté du testateur, questions qui relèvent de leur appréciation souveraine (Civ. 1ère , 25 mars 1981: JCP 1982. II. 19787).

En l’espèce, il est certain que le legs porte sur l’usufruit d’un bien immobilier précisément défini. Il doit être qualifié de legs particulier.

Le litige sur l’interprétation du testament porte sur la qualification du legs portant sur “tous les biens, meubles, qui composeront ma succession”.

Jusqu’à présent, le testament a été interprété dans le cadre de l’attestation immobilière et de la déclaration de succession, dressés par la notaire saisi suite au décès, comme instituant un legs portant “sur l’usufruit des biens meubles (et immeubles) composant la succession”.

Si aucun élément ne laisse penser que le défunt a été propriétaire de plusieurs biens immobiliers à l’époque de la rédaction du testament, il est constant qu’il a expressément visé le legs de l’usufruit du seul immeuble en sa possession, précisément désigné comme celui de la TESTE DE BUCH. Le testament institue donc un legs particulier de l’usufruit de l’immeuble.

En revanche, le legs des meubles s’analyse comme un legs à titre universel portant sur tous les meubles composant sa succession, et non pas uniquement ceux meublants l’immeuble de la TESTE DE BUCH. L’usage du qualificatif “composant ma succession” ne prête à aucune interprétation.

Compte tenu de la rédaction du testament, il doit être déduit de la conjonction “ainsi que” une analogie qui doit conduire à une interprétation dans le sens où le démembrement de propriété légué (soit l’usufruit) s’applique de manière distributive tant au legs particulier de l’immeuble qu’au legs à titre universel des meubles.

Compte tenu de l’existence de cette libéralité testamentaire portant sur l’usufruit de l’immeuble de la TESTE et des meubles, s’est posé la question de savoir si le conjoint survivant pouvait prétendre à des droits complémentaires compte tenu de la vocation légale prévu à l’article 757 du code civil portant sur le quart de la succession en présence d’un enfant qui n’est pas issu des deux époux, comme en l’espèce. C’est le sens de la question posée par le notaire au CRIDON.

Il convient de rappeler, à ce titre, les dispositions de l’article 758-6 du code civil qui dispose: “ les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s’imputent sur les droits de celui-ci dans la succession. Lorsque les libéralités ainsi reçues sont inférieures aux droits définis aux articles 757 et 757-1, le conjoint survivant peut en réclamer le complément, sans jamais recevoir une portion de biens supérieure à la quotité définie à l’article 1094-1".

L’article 1094-1 du code civil dispose que “ Pour le cas où l'époux laisserait des enfants ou descendants, issus ou non du mariage, il pourra disposer en faveur de l'autre époux, soit de la propriété de ce dont il pourrait disposer en faveur d'un étranger, soit d'un quart de ses biens en propriété et des trois autres quarts en usufruit, soit encore de la totalité de ses biens en usufruit seulement.
Sauf stipulation contraire du disposant, le conjoint survivant peut cantonner son émolument sur une partie des biens dont il a été disposé en sa faveur. Cette limitation ne peut être considérée comme une libéralité faite aux autres successibles.”

En l’espèce, la libéralité n’excède pas la quotité disponible spécial entre époux puisqu’elle porte in fine sur tous les biens en usufruit, ce qui est autorisé par l’article 1094-1.

Mme [D] ne peut, comme elle le prétend, cumuler (au sens ajouter et non compléter), les droits légaux de l’article 757 du code civil (1/4 en pleine propriété) avec l’usufruit de l’immeuble et des meubles en se fondant sur une interprétation erronée de la jurisprudence qu’elle cite de la 1er chambre civile de la Cour de cassation du 25 octobre 2017 (n° 17-10.644) ou encore en visant une jurisprudence de la 1er chambre civile de la Cour de cassation du 22 juin 2022 (n°20-23.215). Ces jurisprudences concernent les modalités d’appréciation de l’atteinte à la réserve d’un héritier réservataire par une libéralité en usufruit et non les modalités d’appréciation de l’étendue des droits du conjoint survivant en situation de cumul de droits légaux et testamentaires. Elles sont donc inopérantes à fonder la prétention de cumul/ajout des droits légaux et testamentaires.

Elle doit donc être déboutée de sa demande tendant à se voir reconnaître des droits à hauteur d’un quart en pleine propriété en plus de ses droits testamentaires.

Aucun élément technique ne remet, par ailleurs, en cause l’argumentation détaillée du CRIDON aux termes de laquelle, en l’espèce, vu la consistance de la succession, il n’y a pas lieu à complément de la vocation testamentaire pour le conjoint survivant pour la remplir à hauteur de la vocation légale.

En conséquence des solutions apportées par le tribunal aux points du litige portant sur l’interprétation du testament et sur le prétendu cumul de droits légaux en pleine propriété, il apparaît que les parties ne sont pas en indivision puisque Mme [D] a droit à l’usufruit du bien immobilier et des meubles.

Ainsi, la demande de partage de la succession doit être rejetée, de même que les demandes tendant à voir reconnaître l’existence d’un legs en pleine propriété des meubles et l’existence de droits à hauteur d’un quart en pleine propriété.

* sur la demande au titre d’une récompense de 100 000 euros de la communauté au profit de Mme [D].

La demande de récompense formée par Mme [D] suppose que soit retenue l’existence d’un don manuel de son époux à son profit à hauteur de 100 000 euros.

La preuve de l'existence d'un don manuel consenti à l'un des héritiers d'une succession par leur auteur peut être faite par tous moyens.

Le don manuel est une donation effectuée par la remise matérielle du bien donné au donataire, ce dans des conditions telles qu'elle assure la dépossession irrévocable et définitive du donateur.

En l’espèce, Mme [D] produit la copie d’un chèque de 100 000 euros daté du 15 juin 2017 émis du compte joint des époux établi à son nom et qui a manifestement été encaissé sur un compte chèque ouvert à son nom au Crédit Agricole sur lequel un encaissement de 100.150 euros est enregistré le 29 juillet 2017.

Toutefois, les fonds qui sont sur ce compte sont présumés être des fonds de la communauté si bien que la circonstance de l’encaissement d’un chèque sur ce compte est insuffisante pour caractériser l’intention libérale alléguée en faveur de son épouse.

L’existence d’un don manuel n’est pas démontré et la demande au titre d’une récompense au profit de Mme [D] doit être rejetée.

Sur la demande de remboursement des frais de succession à hauteur de 26.807 euros et la demande indemnitaire au titre d’un préjudice moral et économique:

Moyens des parties

Mme [C] [O] demande la condamnation de sa belle-mère, Mme [P] [D] veuve [O], à lui payer la somme de 26 807 euros en remboursement des frais de succession qu’elle a déboursée en faisant valoir, en premier lieu, sur le fondement de l’article 1100 du code civil, que le courrier adressé par Mme [D] au notaire par lequel elle écrivait “Je garde la jouissance du bien immobilier et conserve les comptes bancaires, à charge pour moi de régler les droits de succession de ma belle-fille [C] [O]” constitue une promesse d’assurer l’exécution de cette obligation, faisant passer cette obligation naturelle en obligation civile qui repose sur un engagement unilatéral de volonté, obligeant sa belle- mère.

A titre subsidiaire, si la qualification d’obligation civile unilatérale n’était pas retenue, elle plaide, au visa des articles 1362 et 1376 du code civil que l’engagement de remboursement des droits de succession par courrier adressé au notaire, qui a été annexé à l’attestation de propriété, constitue un commencement de preuve par écrit d’une reconnaissance de dette. Elle ajoute que cet écrit et promesse a été confirmé par un un mail du 20 mai 2019 d’un juriste de l’office notarial chargé du règlement de la succession. Elle fait plaider que sa belle-mère a désigné ce paiement comme la contrepartie directe du quasi-usufruit qui était constitué sur les comptes bancaires.

Elle demande, en outre, la condamnation de sa belle-mère à lui payer la somme de 2500 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral engendré par les démarches pour le règlement des frais que sa belle-mère s’était engagée à régler outre la somme de 2500 euros au titre d’un préjudice économique lié au règlement de ces frais alors qu’elle ne disposait pas de ressources financières très importantes.

Mme [D] conclut au rejet de la demande en faisant valoir qu’aucune obligation ne peut être tirée de son courrier au notaire en l’absence de régularisation d’un accord correspondant à cette proposition dans les mois suivants. Elle conteste l’existence d’une reconnaissance de dette dans un contexte d’échanges amiables non aboutis.

Mme [D] conclut au rejet de la demande au titre des préjudices économiques et moraux en faisant valoir qu’ils sont d’autant moins réalistes qu’elle a proposé différentes solutions qui n’ont pu aboutir à l’accord amiable espéré, ajoutant qu’elle a supporté sur des deniers lui appartenant une part importante des frais incombant à Mme [C] [O]. Elle considère qu’elle a été mal conseillée à l’époque de l’ouverture de la succession et qu’elle n’a commis aucune faute en lien avec les prétendus préjudices invoqués.

Sur ce

Il est constant que Mme [D] a rédigé un courrier à l’attention du notaire chargé des opérations de succession aux termes duquel elle indiquait qu’elle gardait la jouissance du bien immobilier et conservait les comptes bancaires à “charge pour (elle) de régler les droits de succession de sa belle-fille Mme [C] [O].”

L’article 1100 du code civil dispose que “les obligations naissent d’actes juridiques, de faits juridiques ou de l’autorité seule de la loi. Elles peuvent naître de l’exécution volontaire ou de la promesse d’exécution d’un devoir de conscience envers autrui.”

Il y a obligation naturelle chaque fois qu’une personne s’oblige envers une autre ou lui verse une somme d’argent, non sous l’impulsion d’une intention libérale, mais afin de remplir un devoir impérieux de conscience et d’honneur.

L’engagement unilatéral pris en connaissance de cause d’exécuter une obligation naturelle transforme celle-ci en obligation civile.

En l’espèce, le courrier manuscrit et signé de Mme [D] adressé au notaire chargé de la succession, par lequel cette dernière s’est engagée à prendre en charge le paiement des frais de succession de sa belle- fille suite au décès de son père, en ce qu’il procède non d’une intention libérale mais d’une volonté de remplir un devoir moral ou de conscience envers la fille de son époux, caractérise l’obligation alléguée.

Cet écrit adressé au notaire chargé de la succession révèle en effet une volonté réelle de s’engager et il résulte des échanges produits aux débats que cet engagement n’a pas été établi dans la précipitation mais après de nombreuses discussions.

En conséquence, l’engagement unilatéral pris en connaissance de cause d’exécuter une obligation naturelle transforme celle-ci en obligation civile valable et susceptible d’exécution.

De plus, il y a lieu de relever que Mme [D], confirmant cet engagement, a commencé à exécuter cette obligation puisqu’il ressort des pièces produites que les droits de succession de [C] [O] s’élèvent à 60 037 euros et que Maître [N] a procédé au versement d’une somme de 33 230 euros pour le compte de cette dernière. (Pièce 6 formulaire CERFA intitulé “Succession. Paiement de droits sans déclaration de succession). Or cette somme de 33 230 euros a manifestement été payée avec les fonds issus de la succession, donc avec des fonds faisant partie de l’assiette de l’usufruit de Mme [D], ainsi qu’elle le conclut elle-même dans ses écritures devant le tribunal. Ce paiement procède donc d’un commencement d’exécution de l’obligation civile à laquelle Mme [D] s’est engagée.

Dès lors, la demande de remboursement formée à l’encontre de Mme [D] apparaît bien fondée et elle sera condamnée à payer à Mme [O] la somme de 26.807 euros.

En revanche, le préjudice financier allégué par Mme [C] [O], qui a finalement du payer l’imposition liée à la succession n’est pas caractérisé, le seule fait d’avoir payé ces frais ne constituant pas un préjudice imputable à Mme [D]. Un préjudice moral sera en revanche retenu et Mme [D] sera condamnée à payer à Mme [C] [O] la somme de 500 euros en répararation de ce préjudice.

Sur l’emploi des sommes soumises au quasi usufruit :

Moyens des parties

Mme [C] [O] fait valoir que Mme [D], par l’effet du testament, a le quasi-usufruit du solde des comptes bancaires s’élevant à 137 384 euros au jour du décès. Exposant qu’aucune convention de quasi-usufruit n’a été conclue, elle fait valoir qu’elle ne dispose d’aucun moyen conventionnel de prévoir le sort de sa futur créance de restitution. Se prévalant de l’article 1094-3 du code civil, elle demande que les sommes comprises dans l’usufruit soient placées et que seuls les intérêts mensuels soient versés au conjoint survivant.

Mme [D] conclut que Mme [C] [O] ne chiffre pas les sommes sur lesquelles un usufruit serait exercé par le conjoint survivant. Elle considère que la déclaration de succession, établie dans un but purement fiscal, ne peut servir de référence alors même que le passif déductible est limité (notamment pour les frais funéraires).
Elle ajoute, que dans le cas où il conviendrait de fixer une créance de restitution et d’ordonner le remploi des sommes, il y aurait lieu non seulement de liquider la communauté mais également de tenir compte des sommes effectivement perçues par elle. Sur ce point, elle indique que l’ensemble des sommes présentes sur les comptes bancaires de [Y]-[X] [O] ont été affectées par le notaire au règlement des droits de successions de Mme [C] [O] pour 38.346,11 euros selon le décompte de Maître [N]. Elle demande donc de désigner un notaire aux fins de procéder aux opérations de compte, liquidation et partage de la communauté.

Sur ce

Il ressort de la lecture de la déclaration de succession, qui contient les opérations de liquidation de la communauté, que l’actif de la succession de [Y]-[X] [O] se compose :

- d’une récompense due par la communauté d’un montant de 137.384 euros
- de la moitié du boni de la communauté à hauteur de 16 598,95 euros.

Il ressort de la lecture de cette déclaration et des explications des parties que cette récompense due par la communauté est induite par les liquidités perçues par le défunt de la succession de sa propre mère et qui ont été versées sur les comptes des époux communs en bien, générant ainsi cette récompense.

Il n’y a pas lieu d’ordonner la liquidation et partage de la communauté puisque cette liquidation a déjà eu lieu et qu’il n’y a pas de partage à opérer compte tenu des droits en usufruit du conjoint survivant qui s’étend à l’actif de la succession provenant de la part du boni de la communauté.

S’agissant de la garantie sollicitée par Mme [C] [O], il y a lieu de tenir compte des sommes déjà payées pour son compte au titre des frais de succession (soit 33 230 euros pièce 6) et du montant de la condamnation de Mme [D] au titre du remboursement des frais de succession restant (soit 26.807 euros). Ces sommes impactent l’assiette des liquidités soumises à usufruit, en opérant in fine un partage malgré la situation d’usufruit.

En conséquence, il y a lieu de retenir pour l’assiette du quasi usufruit, la somme de 137.384 euros (récompense due par la communauté) - 33 230 - 26 807 = 77.347 euros.

L’article 1094-3 du code civil dispose que “ Les enfants ou descendants pourront, nonobstant toute stipulation contraire du disposant, exiger, quant aux biens soumis à l'usufruit, qu'il soit dressé inventaire des meubles ainsi qu'état des immeubles, qu'il soit fait emploi des sommes et que les titres au porteur soient, au choix de l'usufruitier, convertis en titres nominatifs ou déposés chez un dépositaire agréé.”

L’obligation d’emploi du quasi-usufruitier prévue par l’article 1094 -3 du code civil doit conduire à faire droit à la demande de Mme [C] [O] en ordonnant à Mme [D] de procéder au placement de la somme de 77.347 euros sur un compte bloqué, dont elle ne pourra prélever que les intérêts mensuels.

Sur les demandes annexes

Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [C] [O] l’intégralité de ses frais irrépétibles. Mme [P] [D] veuve [O] sera condamnée à lui payer la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

- DIT que le testament du 24 décembre 1997 établi par [Y]-[X] [O] institue son épouse Mme [P] [D] veuve [O] légataire à titre particulier de l’usufruit de l’immeuble situé à la TESTE DE BUCH et légataire à titre universel de l’usufruit des meubles composant la succession,

- REJETTE la demande de Mme [P] [D] veuve [O] tendant à se voir octroyer des droits à hauteur d’un quart en pleine propriété sur la succession de [Y] [X] [O],

- REJETTE la demande de partage judiciaire de la succession de [Y]-[X] [O] et de la communauté [O]/[D],

- REJETTE la demande de récompense au profit de Mme [P] [D] veuve [O] d’un montant de 100 000 euros,

- CONDAMNE Mme [P] [D] veuve [O] à payer à Mme [C] [O] la somme de 26 807 euros en remboursement des droits de succession,

- CONDAMNE Mme [P] [D] veuve [O] à payer à Mme [C] [O] la somme de 500 euros à titre de préjudice moral,

- REJETTE la demande de Mme [C] [O] au titre d’un préjudice financier,

- ORDONNE à Mme [P] [D] veuve [O] de procéder au placement de la somme de 77.347 euros sur un compte bloqué, dont elle ne pourra prélever que les intérêts mensuels,

- CONDAMNE Mme [P] [D] veuve [O] à payer à Mme [C] [O] la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

- CONDAMNE Mme [P] [D] veuve [O] aux dépens.

La présente décision est signée par Madame Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente, et Madame [G] [K], Adjoint administratif faisant fonction de greffier.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bordeaux
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/02181
Date de la décision : 26/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 01/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-26;21.02181 ?
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