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21/03/2024 | FRANCE | N°22/06513

France | France, Tribunal judiciaire de Bordeaux, 5ème chambre civile, 21 mars 2024, 22/06513


N° RG 22/06513 - N° Portalis DBX6-W-B7G-W2N4
5ème CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND





63D

N° RG 22/06513 - N° Portalis DBX6-W-B7G-W2N4

Minute n° 2024/00



AFFAIRE :


[Y] [N]

C/

BANQUE POPULAIRE AQUITAINE CENTRE ATLANTIQUE











Grosses délivrées
le

à
Avocats : la SELARL ABR & ASSOCIES
Me Morgane VIGNAUD



TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
5ème CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 21 MARS 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des

débats et du délibéré :

Marie WALAZYC, Vice-Présidente
Jean-Noël SCHMIDT, Vice-Président
Myriam SAUNIER, Vice-Présidente

Greffier, lors des débats et du prononcé
Pascale BUSATO, Greffier

DÉBATS :

A l’audien...

N° RG 22/06513 - N° Portalis DBX6-W-B7G-W2N4
5ème CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND

63D

N° RG 22/06513 - N° Portalis DBX6-W-B7G-W2N4

Minute n° 2024/00

AFFAIRE :

[Y] [N]

C/

BANQUE POPULAIRE AQUITAINE CENTRE ATLANTIQUE

Grosses délivrées
le

à
Avocats : la SELARL ABR & ASSOCIES
Me Morgane VIGNAUD

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
5ème CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 21 MARS 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats et du délibéré :

Marie WALAZYC, Vice-Présidente
Jean-Noël SCHMIDT, Vice-Président
Myriam SAUNIER, Vice-Présidente

Greffier, lors des débats et du prononcé
Pascale BUSATO, Greffier

DÉBATS :

A l’audience publique du 11 Janvier 2024
Délibéré au 21 mars 2024
Sur rapport conformément aux dispositions de l’article 785 du code de procédure civile

JUGEMENT:

Contradictoire
Premier ressort
Prononcé publiquement par mise à disposition du jugement au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile

DEMANDEUR :

Monsieur [Y] [N]
de nationalité Française
9 Rue Jean Macé
87400 SAINT LEONARD DE NOBLAT

représenté par Me Morgane VIGNAUD, avocat au barreau de LIBOURNE, avocat postulant, Me Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant

DÉFENDERESSE :

BANQUE POPULAIRE AQUITAINE CENTRE ATLANTIQUE
10 quai des Queyries
33072 BORDEAUX

représentée par Maître Laurent BABIN de la SELARL ABR & ASSOCIES, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats plaidant
N° RG 22/06513 - N° Portalis DBX6-W-B7G-W2N4

FAITS ET PROCEDURE

Monsieur [Y] [N] est client de la société BANQUE POPULAIRE AQUITAINE CENTRE ATLANTIQUE (ci-après la société BPACA).

Après avoir été contacté par une personne se présentant comme un conseiller financier de la société anglaise OPTIMUS CAPITAL qui lui aurait proposé d’investir dans des livrets d’épargne à haut rendement, monsieur [N] a décidé d’investir dans un livret d’épargne par son intermédiaire. Il a ainsi procédé à partir de son compte ouvert dans les livres de la BPACA durant les mois d’octobre, de décembre 2020 et janvier 2021 à 5 virements pour un montant total de 30 468 euros sur les coordonnées bancaires transmises par le conseiller financier de cette société anglaise.

Ne pouvant récupérer les fonds investis, monsieur [N] a déposé plainte le 14 janvier 2021 auprès du Commissariat de LIMOGES. Une enquête serait actuellement en cours auprès de la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (JUNALCO).

En parallèle, le conseil de monsieur [N] a mis en demeure la société BPACA d’avoir à restituer le montant total de son investissement, soit la somme de 30 468 euros. Par courrier en réponse du 8 mars 2022, la société BPACA a refusé de faire droit à la demande de remboursement de monsieur [N] au motif qu’il lui est interdit de s’immiscer dans la gestion des comptes de ses clients.

Par exploit de commissaire de justice du 22 juillet 2022, monsieur [N] [Y] a assigné la société BPACA devant le tribunal judiciaire de Bordeaux en vue d’obtenir réparation de son préjudice.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 20 décembre 2023. L’affaire a été plaidée à l’audience collégiale du 11 janvier 2024.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 20 juin 2023, monsieur [N] demande au tribunal, sur le fondement des 5 directives de l’Union européenne relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme (directives n°91/308/CEE du Conseil du 10 juin 1991, n°2011/97/CE du Parlement et du Conseil du 4 décembre 2001, n°2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005, n°2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 et n°2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018), des articles 1240, 1241, 1231-1, 1104 et 112-1 du code civil, de juger, à titre principal, que la société BPACA n’a pas respecté son obligation légale de vigilance au titre du dispositif LCB-FT (lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme) et de juger qu’elle est responsable de ses préjudices. A titre subsidiaire, de juger qu’elle a manqué à son devoir général de vigilance et est responsable de ses préjudices. A titre infiniment subsidiaire, de juger qu’elle n’a pas respecté son obligation d’information et qu’elle est responsable de ses préjudices. En tout état de cause, il demande la condamnation de la société BPACA à lui rembourser la somme de 30 468 euros correspondant à la totalité de son investissement en réparation de son préjudice matériel, sa condamnation à lui verser une somme de 6 093,60 euros correspondant à 20% du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral, sa condamnation aux dépens et à lui verser une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, monsieur [N] expose à titre principal que l’établissement bancaire a manqué à son obligation de vigilance « au titre du dispositif LCB-FT ». Il expose que cette obligation de vigilance pour la banque résulte des dispositions du 1° de l’article L. 561-2 du code monétaire et financier et qu’il peut en sa qualité de consommateur se prévaloir de ces dispositions qui protègent les intérêts des consommateurs. Il soutient que la société BPACA a non seulement une obligation de déclaration de soupçon mais aussi une obligation de vigilance et de surveillance, et se fondant sur deux arrêts de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 26 février 2008 et 27 mai 2014 relatifs à la responsabilité des prestataires de services d’investissement.

S’agissant du contenu de l’obligation de vigilance, il soutient qu’il appartient à la banque de mettre en place plusieurs mesures concrètes et de contrôle, en application de l’article L. 561-4-1 alinéas 1 et 2 du code monétaire et financier. Il estime qu’en vertu de l’article L. 561-10 de ce code, l’établissement bancaire devait réaliser un contrôle renforcé et se rapprocher de son client pour lui demander l’origine des fonds et la destination des sommes ainsi que l’objet de l‘opération et l’identité de la personne qui en bénéficie, ce qui n’a pas été fait. L’anomalie qui aurait dû alerter la banque résulte de la nature des placements atypiques qu’il a entendu faire avec ses virements. Il ajoute que le site www.opticpl.com, exploité par les escrocs, a été inscrit sur la liste noire de l’AMF dans la catégorie usurpation le 11 mai 2021, de sorte qu’au moment de son placement, il ne pouvait lui-même avoir connaissance de l’illégalité de ce placement, alors que la banque dispose de compétences professionnelles et d’outils internes d’alerte dont ne disposent pas ses clients, lui permettant d’avoir une connaissance parfaite des produits d’investissements suspects. Il souligne que la banque a d’ailleurs fait état de cette connaissance de la nature suspecte des placements dès le début du mois de décembre 2020, ce même avant l’inscription par l’AMF du site internet de sa liste noire.

Il ajoute que la banque aurait dû être d’autant plus vigilante qu’il existe des communiqués réguliers d’autorités (TRACFIN, Commission européenne, AMF,etc) attirant l’attention du grand public sur les escroqueries en ligne et relatifs aux produits financiers dits « atypiques ».
Il souligne que les virements réalisés à 5 reprises, qui ne correspondent pas à des opérations habituelles et qui apparaissent sans rapport avec ses revenus mensuels, auraient dû alerter la banque, d’autant que le destinataire était localisé à l’étranger. Il estime que la BPACA aurait dû agir avec suffisamment de discernement en refusant de prêter son concours aux opérations ordonnées par son client sauf à lui réparer son entier préjudice en application de l’article L. 561-8 du CMF.

Il ajoute que si la société BPACA se prévaut d’un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 28 avril 2004 pour soutenir que sa responsabilité ne saurait être engagée par un client sur le fondement du devoir de vigilance, cet arrêt est désormais ancien et le contexte dans lequel il a été rendu n’est plus le même, dès lors que le développement colossal d’escroqueries internationales complexes portant sur des produits atypiques a fait naître depuis des années un nouveau contexte justifiant l’établissement d’un ordre de protection des consommateurs victimes sur l’ensemble du territoire français. Il en déduit que cela doit conduire à un changement de jurisprudence. Il souligne qu’une telle immunité serait totalement injustifiée au vu des termes et de l’esprit des 4e et 5e directives européennes qu’il vise.

A titre subsidiaire, il soutient que la banque a manqué à son devoir général de vigilance consacré par la Cour de cassation au visa des articles anciens articles 1147 et 1134 du code civil, devenus 1231-1 et 1104 du code civil, qui impose au banquier de ne pas exécuter sans réagir une opération présentant une anomalie apparente, que celle-ci soit matérielle ou intellectuelle, ou une opération manifestement irrégulière ou inhabituelle dans la pratique commerciale ou dans les habitudes de ses clients. Il souligne que le devoir de non-ingérence du banquier trouve sa limite dans le devoir de vigilance et de surveillance qui lui incombe pour déceler les anomalies apparentes. Il expose que le banquier doit tout mettre en œuvre pour que le préjudice de son client ne se réalise pas, au besoin en refusant d’exécuter l’ordre. Il ajoute que la position la plus récente de la cour d’appel de Paris considère que les dispositions du code monétaire et financier sur la bonne et prompte exécution du virement dans les délais prescrits n’exonèrent pas les banques prestataires de services de paiement des conséquences de leur abstention fautive à leurs obligations de vigilance quant aux anomalies apparentes.

Il souligne qu’en l’espèce ses virements apparaissaient atypiques en ce qu’ils mentionnaient expressément « achat action », qu’ils étaient faits au profit de trois sociétés étrangères pour un montant de 30 000 euros en deux mois alors que son salaire mensuel est de 2500 euros, le tout dans un contexte national marqué par de nombreuses alertes des autorités nationales sur les offres d’investissement dans des produits de placement atypiques non-régulés.

A titre infiniment subsidiaire, il estime que la société BPACA a manqué à son devoir d’information, en méconnaissance des articles 1112-1 et 1231-1 du code civil. Il estime que la banque a non seulement un devoir d’information général à l’égard de son client mais aussi un devoir d’information spéciale en matière d’investissements financiers lorsque les biens acquis peuvent faire l’objet d’actes de blanchiment ou sont liés au financement du terrorisme.

Il conteste la position de la société BPACA s’estimant déliée de son devoir d’information dès lors qu’elle n’est pas à l’origine de l’investissement, soulignant qu’elle dispose des compétences et connaissances professionnelles lui permettant d’informer les clients quant aux risques de survenance d’un préjudice. Il produit différentes pièces pour justifier de l’attitude d’autres établissements bancaires dans des situations identiques d’acquisition/ventes de diamants et de cryptomonnaies.

S’agissant des préjudices subis, il soutient en premier lieu avoir procédé au versement total de 30 468 euros, sans que cela ait été empêché par la banque. Il soutient avoir perdu cette somme et ne pas en avoir été remboursé dans le cadre de la procédure pénale toujours en cours. S’agissant du préjudice moral et de jouissance, il soutient que celui-ci est important dès lors qu’il a été victime d’une escroquerie internationale orchestrée de manière précise par les escrocs, il n’a pu bénéficier d’aucun soutien ni d’aucune aide par la banque, alors que cette escroquerie s’inscrit dans un mouvement global. Alors que ses placements devaient générer des profits, il a perdu entièrement son investissement.

En réplique, selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 avril 2023, la société BPACA conclut au rejet des demandes de monsieur [N] et à sa condamnation à lui verser une somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens. Elle demande en outre d’écarter l’exécution provisoire.

Au soutien de sa position, elle expose en premier lieu que si les articles L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier visés par l’article L. 561-4-1 de ce code imposent aux établissements bancaires de mettre en place un système de contrôle des opérations inhabituelles ou suspectes, dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, la Cour de cassation rappelle de manière claire que ces obligations de vigilance ou de vérification, indépendantes des obligations de la banque à l’égard de ses clients, ne peuvent donner lieu à des actions en responsabilité civile de ces derniers à l’égard de la banque. Elle soutient que ce dispositif n’a pas pour objet de protéger les intérêts privés

mais relève de la protection de l’intérêt général. Elle souligne que cette position a été réitérée par la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 21 septembre 2022. Elle en déduit qu’aucun manquement ne lui est imputable au visa des articles L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier.

S’agissant des obligations civiles du banquier, elle soutient qu’en application des articles L. 133-6 et suivants du code monétaire et financier, dès lors que l’opération est autorisée, à savoir que le payeur y a donné consentement sous la forme convenue avec son prestataire de services de paiement, l’ordre de paiement est irrévocable et doit être exécuté par le banquier au plus tard le premier jour ouvrable suivant sa réception. Elle soutient que la banque n’a pas à contrôler l’objet et le bien fondé du virement ordonné et n’a pas non plus à vérifier l’opportunité des investissements réalisés par son client par des paiements opérés depuis son compte courant vers le compte d’un tiers chargé de ces investissements. Elle expose que s’agissant d’un investissement proposé par un tiers, comme en l’espèce, elle n’a pas d’obligation de conseil ou de mise en garde, alors que le virement a été expressément ordonné par le client. Elle ajoute qu’en application du principe de non-immixtion du banquier dans les affaires de son client, le banquier n’est tenu au principe de vigilance qu’en cas d’anomalies apparentes, formelles ou intellectuelles, impliquant un caractère inhabituel de l’opération, ou d’irrégularités apparentes. Elle souligne qu’en l’espèce, sa volonté de procéder aux virements n’est pas discutable et que les virements en cause ne présentaient aucune anomalie apparente, le compte étant suffisamment approvisionné. Elle ajoute que la destination bancaire des règlements était le Portugal et l’Allemagne, soit deux pays de l’Union européenne. Elle estime ne pas avoir d’obligation particulière de surveillance des investissements de son client et cite à cet effet plusieurs jurisprudences.

S’agissant du manquement à son devoir d’information, elle réplique que cette obligation d’information n’incombe au banquier que lorsqu’il agit en qualité d’organe d’investissement ; il doit alors informer et conseiller sur les investissements qu’il propose à ses clients. Elle expose qu’en l’espèce, elle n’est intervenue qu’en tant que simple dépositaire de fonds et non en tant que prestataire de services d’investissements, de sorte qu’aucune faute ne lui est imputable.

S’agissant des demandes indemnitaires, elle soutient qu’elles ne sont pas fondées dès lors que monsieur [N] s’est constitué partie civile dans le cadre de l’information judiciaire ouverte contre la société OPTIMUS CAPITAL. Au terme de cette procédure, il pourra prétendre à une indemnisation de la part de cette société et il ne saurait être indemnisé deux fois. Elle ajoute que le manquement du banquier à son obligation de vigilance ou d’information est sanctionné au titre de la perte de chance et que seule constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable et que le préjudice au titre de la perte de chance doit être mesuré à la chance perdue. Elle en déduit que la demande indemnitaire formulée qui tend à réparer l’entier préjudice subi n’est pas fondée. Elle ajoute que la demande formée au titre du préjudice moral tend à réparer un préjudice exclusivement économique de sorte qu’elle est mal fondée.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande en remboursement de la somme de 30 648 euros en réparation du préjudice matériel et en paiement de la somme de 6 093,60 euros en réparation de son préjudice moral
Sur la responsabilité de la banque au titre de son obligation de vigilance dans le cadre de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme
En application de l’article L. 561-4-1 du code monétaire et financier, les établissements bancaires, mentionnés à l’article L. 562-1 du code monétaire et financier, sont soumis à une obligation de vigilance afin de lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

La mise en œuvre des mécanismes de vigilance est déclinée par les articles L. 561-1 à L. 564-2 du code monétaire et financier et aux articles R. 561-1 à R. 565-4 pour ce qui concerne les dispositions réglementaires.

Si monsieur [N] tente de s’appuyer sur le titre de la section 3 du chapitre 1 du titre VI du code monétaire et financier, intitulé « obligations de vigilance à l’égard de la clientèle, » regroupant les articles L. 561-4-1 à L. 561-14-2 du code, pour en déduire que ces règles ne concernent que la banque dans sa relation avec son client, de sorte qu’un client qui estimerait que celle-ci aurait été défaillante dans la mise en œuvre de ses obligations de vigilance pourrait s’en prévaloir, force est de constater que ces dispositions énoncent un ensemble de mesures ou de précautions à prendre par, notamment, l’établissement bancaire, et que celui-ci doit être en mesure de justifier auprès de l’autorité mentionnée à l'article L. 561-36 du même code de la mise en œuvre de ces mesures et de leur adéquation au risque de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme présenté par la relation d'affaires.

Ainsi, l’article L. 531-36 du code monétaire et financier liste expressément les autorités de contrôle amenées à sanctionner des manquements de ce chef, telles notamment la commission des sanctions de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolutions (ACPR), l’autorité des marchés financiers mais aussi diverses instances disciplinaires des professions concernées par ces obligations de vigilance particulières.

La jurisprudence, constante en la matière, et encore réaffirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 21 septembre 2022 (Cass. Com 21 sept. 2022, n° 21-12.335), qu’il n’y a pas lieu de remettre en cause du fait de l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016 renforçant le dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, interdit aux victimes d'agissements frauduleux de se prévaloir de l'obligation spécifique de vigilance, dès lors que ce dispositif a pour finalité unique la prévention du blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.
Si monsieur [N] s’appuie sur des décisions rendues par la Chambre commerciale de la Cour de cassation 26 février 2008 et le 27 mai 2014 pour considérer que la mise en œuvre de la responsabilité de l’établissement bancaire du fait de la méconnaissance de ses obligations de vigilances résultant des articles L. 561-4-1 et suivants du code monétaire et financier peut être invoquée par un client, force est de constater que ces décisions, relatives à la mise en œuvre de la responsabilité d’un prestataire de services d’investissement manquant à ses obligations à l’égard de ses clients, sont étrangères à l’obligation de vigilance en matière de blanchiment, et sont en conséquence inopérantes.
Enfin, si monsieur [N] entend démontrer que les dispositions de lutte contre le blanchiment telles que transposées en droit français doivent s’interpréter à la lumière de l’article 12 du TFUE suivant lequel « les exigences de la protection des consommateurs sont prises en considération dans la définition et la mise en œuvre des autres politiques et actions de l’Union » et du considérant 61 de la 4e directive UE du 20 mai 2015 selon lequel « l’adoption de normes techniques de règlementation dans le domaines des services et financiers devrait garantir une harmonisation cohérente et une protection adéquate des déposants, des investisseurs et des consommateurs dans l’ensemble de l’Union », pour en déduire que l’intérêt protégé par ces dispositions est l’intérêt particulier de chaque consommateur, non l’intérêt général, il convient de souligner que ces objectifs généraux n’imposent pas au législateur les moyens d’y parvenir. En l’espèce, le législateur français a choisi de mettre en œuvre ces objectifs en confiant aux autorités de l’article L. 561-36 du code monétaire et financier la charge d’assurer le contrôle des obligations de vigilance et de déclaration. Le dispositif existant ne crée pas d’obligation civile spécifique invocable par le client de la banque.
Il suit de là que monsieur [N] n’es pas fondé à se prévaloir de l’inobservation des obligations de vigilance au titre de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

Sur la responsabilité de la banque au titre de son obligation générale de vigilanceIl résulte des articles 1217 et 1231-1 du code civil, dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016 applicable compte tenu de la date des faits litigieux, que la banque, en sa qualité de teneur de compte, est tenue d'une obligation de vigilance la contraignant à vérifier les anomalies apparentes, matérielles ou intellectuelles, notamment d'un ordre de virement.
Si le banquier est tenu d'un devoir de non-immixtion, ce devoir ne le dispense pas de l'obligation d'exercer une surveillance sur le fonctionnement du compte de ses clients, notamment afin de déceler toutes anomalies matérielles ou intellectuelles apparentes.
En l’espèce, il résulte des pièces du dossier que monsieur [N] a, le 28 octobre 2020, procédé à un virement de 2 000 euros en faveur de MIDRA MARKETING CONSULTING GMBH, l’objet du virement mentionnant « Optimus CPL »
Le 10 décembre 2020, il a viré une somme de 5000 euros au bénéfice de LEXICO INEDITO UNIPESSOAL LDA, l’objet du virement mentionnant « Achat d’actions »
Le lendemain, soit le 11 décembre 2020, il a procédé à un virement de 15 000 euros en faveur de la même société.
Le 5 janvier 2021, il a procédé à un virement de 3000 euros pour MACQUER MATTI GMBH au titre d’un « achat d’actions ».
Il indique en outre avoir procédé à un dernier virement de 5 468 euros le 8 janvier 2021 également vers cette société. Si ce dernier virement n’est pas justifié, il n’est pas contesté par la banque.
A total, monsieur [N] a viré la somme de 30 468 euros en 5 virements entre le 28 octobre 2020 et le 8 janvier 2021, soit en deux mois et demi.
Le premier virement a été réalisé depuis son espace personnel Cyberplus. Les deuxième et troisième virements ont été précédés d’un message adressé le 9 décembre 2020 par monsieur [N] à sa conseillère bancaire lui indiquant, « Ne soyez pas surpris, je vais réaliser 2 virements consécutifs vers le Portugal, c’est voulu, pour l’achat d’actions dont la facture est en pièce jointe. 15 000 euros aujourd’hui puis 5000 euros demain ». Puis le 11 décembre, constatant que seul le virement de 5000 euros avait été effectif, il a constaté sa conseillère en ces termes : « Merci de faire un virement de 15 000 euros car cela n’a pas marché la première fois et maintenant je suis au plafond. Le Rib est celui envoyé hier dans la facture ». L’ordre de virement a ainsi été donné. Il a ensuite demandé de procéder à un virement complémentaire de 3 000 euros le 16 décembre et à ce moment signé un document présenté par son conseiller financier attestant de l’information donnée concernant un « risque potentiel de fraude liée à cette opération ». Le virement sera effectué le 5 janvier.
Il résulte de ces éléments que monsieur [N] a procédé à l’achat d’actions sans autres précisions auprès d’établissements situés au Portugal et en Allemagne. Contrairement aux longs développements consacrés dans ses conclusions, il n’est donc aucunement établi qu’il s’agit de placements « atypiques » tels des diamants d’investissement, de la cryptomonnaie, etc.
Les trois établissements concernés sont : MACQUER MATTI GMBH, LEXICO INEDITO UNIOESSOAL LDA et MIDRA MARKETING CONSULTING GMBH.
Il n’est pas contesté qu’à la date des virements litigieux, ces sociétés ou le site Opticl.com exploité par les personnes entrées en relation avec monsieur [N], n’étaient pas inscrites sur la liste noire de l’AMF.
Aussi, dès lors que monsieur [N] a informé préalablement la banque de son intention de procéder à l’achat d’actions auprès d’établissements situés à l’étranger, qu’il a confirmé sa volonté deux jours plus tard en demandant à sa conseillère bancaire de procéder au virement qu’il ne pouvait faire depuis son espace Cyber plus en raison du plafond, qu’il a ensuite procédé à un virement de 3 000 euros depuis son espace Cyber plus en dépit de l’alerte donnée par sa conseillère s’agissant du risque de fraude et qu’il a encore procédé à un virement le 8 janvier, il ne saurait être reproché à la banque d’avoir exécuté ces virements, lesquels ne sont entachés d’aucune anomalie apparente justifiant d’aller au-delà de la remise d’un formulaire d’alerte sur le risque de fraude.
Si monsieur [N] soutient que la BPCA aurait dû considérer que ces virements, répétés, pour une somme importante au regard de sa situation de salarié percevant 2 500 euros par mois, constituaient en eux-mêmes une anomalie apparente, il y a lieu de rappeler que la banque a un devoir de non-immixtion dans la conduite des affaires de son client, que les virements sont intervenus sur un compte créditeur de monsieur [N] et qu’en dépit d’une alerte à la fraude concernant le 4e virement, monsieur [N] a encore procédé à deux virements de 3 000 et 5 468 euros.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, aucun manquement de la BPCA à son obligation générale de vigilance n’est démontré.

Sur la responsabilité de la banque au titre de son obligation d’information Il découle de l’article 1112-1 du code civil une obligation d’information, potentielle source d’engagement de la responsabilité contractuelle et professionnelle de la banque teneur d’un compte quand elle exécute le mandat du client d’effectuer un virement au bénéfice d’un tiers.

Il est constant que la BPCA est intervenue en tant que simple teneur d’un compte à partir duquel sont intervenus les virements. Il ne ressort pas des pièces du dossier que monsieur [N] aurait sollicité sa conseillère financière concernant ses projets d’achat d’action à l’étranger.

La BPCA n’étant pas à l’origine des placements réalisés par monsieur [N] et étant parfaitement étrangère à ces opérations sauf à avoir exécuté les virements litigieux dont il a été dit plus haut qu’ils ne revêtaient aucune anomalie apparente justifiant de pousser plus avant son devoir de vigilance, le demandeur échoue à démontrer une quelconque faute dans son obligation de conseil et d’information.

En conséquence, monsieur [N] sera débouté de sa demande de remboursement de son préjudice matériel.

Sur la demande indemnitaire

En vertu de l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.

En l’absence de manquement de la banque à ses obligations de vigilance et d’information, la demande de dommages et intérêts formée au titre du préjudice moral par monsieur [N] doit également être rejetée.

Sur les frais du procès

- Dépens
En vertu de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
En l’espèce, monsieur [Y] [N] perdant la présente instance, il convient de le condamner au paiement des dépens.

- Frais irrépétibles
En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.[...]. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent.
En l’espèce, Monsieur [N], qui perd la présente instance, sera condamné à verser au défendeur une somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles. Il sera en conséquence débouté de sa demande formée de ce chef.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

REJETTE la demande de remboursement de la somme de 30 468 euros formée par monsieur [Y] [N],

REJETTE la demande indemnitaire formée par monsieur [Y] [N],

CONDAMNE monsieur [Y] [N] au paiement des dépens de l’instance,

CONDAMNE monsieur [Y] [N] à verser à la société BANQUE POPULAIRE ACQUITAINE CENTRE ATLANTIQUE la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

REJETTE la demande formée par monsieur [Y] [N] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le présent jugement a été signé par Madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente et par Madame Pascale BUSATO, Greffière.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bordeaux
Formation : 5ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 22/06513
Date de la décision : 21/03/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-21;22.06513 ?
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