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21/03/2024 | FRANCE | N°21/07195

France | France, Tribunal judiciaire de Bordeaux, 5ème chambre civile, 21 mars 2024, 21/07195


N° RG 21/07195 - N° Portalis DBX6-W-B7F-V25S
5ème CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND





30Z

N° RG 21/07195 - N° Portalis DBX6-W-B7F-V25S

Minute n° 2024/00



AFFAIRE :


[S] [B]

C/

S.A.R.L. GESTOCEANIDES











Grosses délivrées
le

à
Avocats : Me Yoann DELHAYE
Me Elodie VERDEUN



TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
5ème CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 21 MARS 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats et du délibéré :>

Marie WALAZYC, Vice-Présidente
Jean-Noël SCHMIDIT, Vice-Président
Angélique QUESNEL, Juge

Isabelle SANCHEZ greffier lors des débats et Pascale BUSATO, greffier lors du délibéré

DÉBATS :

A l’audience publique du 25 ...

N° RG 21/07195 - N° Portalis DBX6-W-B7F-V25S
5ème CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND

30Z

N° RG 21/07195 - N° Portalis DBX6-W-B7F-V25S

Minute n° 2024/00

AFFAIRE :

[S] [B]

C/

S.A.R.L. GESTOCEANIDES

Grosses délivrées
le

à
Avocats : Me Yoann DELHAYE
Me Elodie VERDEUN

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
5ème CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 21 MARS 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats et du délibéré :

Marie WALAZYC, Vice-Présidente
Jean-Noël SCHMIDIT, Vice-Président
Angélique QUESNEL, Juge

Isabelle SANCHEZ greffier lors des débats et Pascale BUSATO, greffier lors du délibéré

DÉBATS :

A l’audience publique du 25 Janvier 2024
Délibéré au 21 mars 2024
Sur rapport conformément aux dispositions de l’article 785 du code de procédure civile

JUGEMENT:

Contradictoire
Premier ressort
Prononcé publiquement par mise à disposition du jugement au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile

DEMANDEUR :

Monsieur [S] [B]
né le 12 Avril 1966 à Rouen
de nationalité Française
Bâteau Bambou - Port de Plaisance Boulevard Anatole France
13600 LA CIOTAT

représenté par Me Yoann DELHAYE, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant

DÉFENDERESSE :

S.A.R.L. GESTOCEANIDES
20-24, avenue de la Canteranne
33608 PESSAC Cedex

N° RG 21/07195 - N° Portalis DBX6-W-B7F-V25S

représentée par Me Elodie VERDEUN, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat postulant, Me Philippe RIGLET, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, avocat plaidant

******

EXPOSE DU LITIGE

Selon acte sous signature privée en date du 22 novembre 2010 Monsieur [S] [B] (ci-après le bailleur) a donné bail commercial d’un appartement F2 d’une surface de 33m2 à la SARL GESTOCEANIDES (ci-après, le preneur) pour une période de 9 ans, pour un loyer annuel hors-taxes de 4 127 €, prix payable trimestriellement à terme échu. Cet appartement se situe au sein d’une résidence exploitée en résidence de tourisme dénommée “ALL SUITES APPART HOTEL OCEANIDES” sur la commune de la TESTE DE BUCH (33260).

Par courrier d’information du 31 mars 2020, la SARL GESTOCEANIDES a sollicité de l’ensemble des bailleurs de la résidence de la Teste de Buch d’accepter un décalage de versement des loyers du 1er trimestre 2020 afin de tenir compte de la crise sanitaire.

Par courrier en date du 26 mai 2020 doublé d’un courriel du 3 juillet 2020, la SARL GESTOCEANIDES a informé Monsieur [S] [B] qu’elle ne serait pas en mesure de payer son loyer et a demandé une suspension temporaire et partielle de règlement des loyers.

Par courrier du 30 juin 2021, la SARL GESTOCEANIDES a proposé un avenant visant à régler les loyers selon une variabilisation partielle desdits loyers en fonction de l’activité impactée par la crise sanitaire.

Le 1er juillet 2020, la SARL GESTOCEANIDES a versé la somme totale de 1 167,35 € sur les 2 360,64 € dus au titre des 1er et 2ème trimestre 2020.

Le 4 septembre 2020, Monsieur [S] [B] a délivré une mise en demeure par courrier recommandé demandant la régularisation des loyers impayés, correspondant à la somme de 1 234,94€ conformément aux stipulations du contrat de bail commercial.

Par courrier du 28 septembre 2020, la SARL GESTOCEANIDES a informé Monsieur [S] [B] qu’elle ne pouvait pas régulariser les arriérés des loyers en se prévalant de l’exception d’inexécution de l’article 1219 du code civil. Elle indique que le bailleur a manqué à son obligation de délivrance en raison de la fermeture administrative de la résidence durant le 1er confinement.

Par courrier du 6 novembre 2020, Monsieur [S] [B] a fait signifier par commissaire de justice, un commandement de payer visant la clause résolutoire et le refus de renouvellement sans indemnité en cas de motif grave et légitime du preneur.

Par courrier du 30 novembre 2020, la SARL GESTOCEANIDES a maintenu son refus de régularisation des arriérés de loyers. Elle a indiqué également que Monsieur [S] [B] n’a jamais donné suite à sa proposition d’avenant portant sur la modification des modalités de calcul du loyer commercial.

Par courrier recommandé avec accusé réception du 30 décembre 2020, le conseil de Monsieur [S] [B] rappelait qu’aucun avenant contractuel au bail commercial ne lui a été adressé par la société et prenait acte de l’absence de régularisation du commandement de payer dans le délai d’un mois permettant d’activer le jeu de la clause résolutoire.

La SARL GESTOCEANIDES a versé la somme de 826,23 € sur les 1 180,32 € dus au titre du 4ème trimestre 2020.

Par virement du 1er juillet 2021, la SARL GESTOCEANIDES a réglé la somme de 1 547,38 € au titre des arriérés locatifs.

C’est dans ce contexte que Monsieur [B] [S] a fait assigner la SARL GESTOCEANIDES le 21 septembre 2021 devant le tribunal judiciaire de BORDEAUX aux fins de résiliation du bail commercial.

Aux termes de ses dernières conclusions régulièrement notifiées le 3 mai 2023, par voie électronique, Monsieur [B] [S] demande sur le fondement des articles L. 145-41 du code de commerce et 1103 et 1104 du code civil au tribunal de :
Déclarer Monsieur [S] [B] recevable l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions et bien fondé,Constater l’acquisition de la clause résolutoire au contrat de bail,Constater la résiliation du bail commercial conclu le 22 novembre 2010 à compter du 6 décembre 2020 au plus tard, Ordonner en conséquence l’expulsion de la SARL GESTOCEANIDES et de tous occupants de son chef du local commercial constituant le lot C210 de la résidence située 1246, avenue Gustave Eiffel 33260 LA TESTE DE BUCH, sous astreinte de 500€ par jour de retard à compter du huitième jour suivant la signification de la décision à intervenir et au besoin avec le concours de la force publique et l’assistance d’un serrurier,Condamner la SARL GESTOCEANIDES à verser à Monsieur [S] [B] la somme de 194,56 € au titre du solde du loyer restant dû, Condamner la SARL GESTOCEANIDES à verser à Monsieur [S] [B] une indemnité d’occupation d’un montant égal au loyer, soit la somme actuelle de 1 180,32 € jusqu’à son parfait départ des lieux, Dire que l’indemnité d’occupation sera indexée au même titre que les loyers commerciaux suivant les stipulations du contrat de bail, Dire que l’ensemble des sommes dues par la SARL GESTOCEANIDES produiront intérêt au taux légal, Débouter la SARL GESTOCEANIDES de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions formées à titre reconventionnel, Condamner la SARL GESTOCEANIDES à verser à Monsieur [S] [B] la somme de 3 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, Condamner la SARL GESTOCEANIDES aux entiers dépens d’instance, en ce compris le coût du commandement de payer du 6 novembre 2020.Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 8 novembre 2022 par voie électronique, la SARL GESTOCEANIDES demande au tribunal de sur le fondement des articles 1104, 1343-5, 1719 et 1722 du code civil, et l’article L145-41 du code de commerce :
A titre principal:
Constater que le commandement de payer en date du 6 novembre 2020 (et non 8 novembre 2021 comme indiqué) a été délivré de mauvaise foi et n’a pu produire aucun effet en application de l’article 14 des lois n°2020-1379 du 14 novembre 2020 et n°2020-1766 du 30 décembre 2020, Constater que la société GESTOCEANIDES a réglé l’intégralité de son arriéré locatif le 1er juillet 2021, moins de deux mois après la fin de la période pendant laquelle son activité a été affectée par les mesures prises pour lutter contre le Covid, En conséquence :
Débouter le demandeur de l’ensemble de ses demandes de paiement, de constatation de l’acquisition de la clause résolutoire et de résiliation du bail, de paiement d’une indemnité d’occupation et d’expulsion, compte-tenu du parfait règlement des loyers litigieux, A titre subsidiaire :
Constater que la totalité des sommes réclamées par Monsieur [B] lui ont été réglées préalablement à l’assignation et par conséquent, Accorder à la société GESTOCEANIDES les plus larges délais de paiement à titre rétroactif et, Suspendre les effets de la clause résolutoire du bail litigieux, Débouter le demandeur de l’ensemble de ses demandes de paiement de constatation de l’acquisition de la clause résolutoire et de résiliation du bail, de paiement d’une indemnité d’occupation et d’expulsion, compte-tenu du parfait règlement des loyers litigieux, En tout état de cause,
Condamner le demandeur aux entiers dépens, le Condamner à payer à la société GESTOCEANIDES la somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

La mise en état a été clôturée par ordonnance en date du 10 janvier 2024 et l’affaire fixée à plaider à l’audience collégiale du 25 janvier 2024, puis mise en délibéré au 21 mars 2024, par mise à disposition du greffe.

MOTIVATION

1 - Sur la validité du commandement de payer visant la clause résolutoire délivré le 6 novembre 2020 :

La SARL GESTOCEANIDES conclut à la nullité du commandement de payer délivré le 6 novembre 2020 aux motifs essentiels que :

- le commandement a été délivré pendant la période juridiquement protégée prévue par l’article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 et n°2020-1766 du 30 décembre 2020 et porte sur des loyers échus pendant les périodes visées par les dispositions précitées,

- le commandement a été délivré de mauvaise foi par le bailleur. En effet, il a refusé d’adapter les modalités d’exécution du bail malgré le contexte sanitaire.

La SARL GESTOCEANIDES soutient que le commandement de payer visant la clause résolutoire délivré par le bailleur vise des échéances des loyers des 1er et 2ème trimestre 2020 ; que le bailleur a violé l’article 14 de la loi n°2020-1379 prévoyant un dispositif d’interdiction d’exécution de la clause résolutoire pour le défaut de paiement des loyers et charges dus au cours de cette période.

Elle fait valoir qu’en application de cette disposition susvisée, elle bénéficie d’une mesure de protection qui lui empêche notamment d’encourir toute action, sanction ou voie d’exécution forcée pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives afférents à ses locaux commerciaux jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle son activité a cessé d’être affectée par une mesure de police administrative sur la demande de résiliation du bail et de sa demande de condamnation au règlement d’une indemnité d’occupation. Elle rappelle que son activité a été affectée jusqu’au 9 juin 2021, de sorte qu’elle ne pouvait encourir aucune sanction jusqu’au 9 août 2021. Elle fait observer qu’elle a intégralement réglé sa dette au 1er juillet 2021 et que Monsieur [S] [B] a fait signifier un commandement de payer visant la clause résolutoire en date du 6 novembre 2020.
La SARL GESTOCEANIDES en conclut que le commandement de payer délivré le 6 novembre 2020 visant la clause résolutoire du bail est sans effet.

Monsieur [S] [B] conteste la nullité du commandement de payer. Il réplique en soutenant que la clause résolutoire figurant au bail commercial est acquise dans la mesure où la SARL GESTOCEANIDES a payé ses loyers en retard, voire les a réglés partiellement. En effet, il fait valoir que le 6 novembre 2020, il a fait signifier au locataire un commandement d’avoir à payer l’arriéré locatif et qu’elle ne s’est pas acquittée de sa dette dans le délai d’un mois prévu par le commandement, de sorte que la clause résolutoire a été acquise dès le 6 décembre 2020.

Par ailleurs, il soutient que les divers textes votés en urgence pour faire face à la Covid-19 n’ont pas eu pour conséquence de remettre en cause les obligations financières du locataire qui reste redevable des loyers et charges pendant cette période. Il expose que la société GESTOCEANIDES est membre du groupe PICHET, groupe qui affiche un volume d’affaires de 1,3 milliards d’euros en 2020.

Il ajoute que la locataire a décidé unilatéralement et sans aucune concertation de suspendre le paiement des loyers à compter du 12 mars 2020. Il rappelle que le premier confinement a commencé le 17 mars 2020, ce qui concerne seulement 14 jours d’exploitation pour le 1er trimestre 2020. S’il confirme qu’il y a une régularisation partielle de la locataire le 1er juillet 2021, il n’en demeure pas moins qu’elle n’a jamais adressé une proposition d’échelonnement des échéances dues en application du bail à réception des différentes mises en demeure et commandement de payer adressés dès 2020.

Il soutient que la SARL GESTOCEANIDES n’a jamais eu l’intention de négocier avec les propriétaires sur les échéances litigieuses, mais bien d’imposer ses propres conditions sans tenir compte des intérêts de ses cocontractants. Il maintient le solde restant à hauteur de 194,56 € et non 0€ comme l’indique la locataire. Dès lors, il conclut que le commandement de payer visant la clause résolutoire délivré le 6 novembre 2020 est valable et doit produire ses effets.

Sur ce,

Selon les articles 1103 et 1728 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et le preneur est tenu de deux obligations principales, soit d’user de la chose louée raisonnablement, et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail et de payer le prix du bail aux termes convenus.

L’article L.145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

Les juges saisis d’une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l’article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n’est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l’autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

Ces dispositions sont d’ordre public et les parties ne peuvent y déroger.

En application de l’ancien article 1315, devenu l’article 1353 du code civil, il appartient au bailleur d’apporter la preuve des obligations auxquelles il reproche au preneur d’avoir manqué tandis qu’il incombe à celui-ci de démontrer qu’il les a exécutées.

En l’espèce, le bail du 22 novembre 2010 liant les parties contient une clause résolutoire en son article 12 stipulant : “il est expressément convenu qu’en cas de non - exécution par le preneur de l’un quelconque de ses engagements dans le bail à intervenir, notamment ne ce qui concerne les charges et conditions, ou en cas de non-paiement à son échéance de l’un quelconque des termes du loyer convenu, ou des charges et impôts récupérables par le bailleur ou de non paiement des frais de poursuite, ce dernier aura la faculté de résilier de plein droit le présent contrat après avoir mis en demeure le preneur de régulariser sa situation par une mise en demeure ou sommation de payer restée sans effet pendant une durée d’un mois sans qu’il soit besoin de former une demande en justice”.

Cette clause résolutoire prévoit la résiliation de plein droit du bail dans le délai d’un mois après la délivrance d’un commandement de payer en cas d’inexécution totale ou partielle du paiement à son échéance de l’un des termes du loyer. Le commandement de payer délivré à la société GESTOCEANIDES le 6 novembre 2020 reproduit intégralement cette clause résolutoire et l’article L. 145-17 du code de commerce.

Le commandement de payer comporte le décompte détaillé des sommes dues de 1 337,74 €, qui concernent les loyers impayés des 1er et 2ème trimestres 2020 (1 234,94€) et l’application du coût de l’acte (102,80 €).

La SARL GESTOCEANIDES reconnaît ne pas avoir réglé les causes du commandement de payer avant l’expiration du délai qui lui était imparti. Néanmoins, pour s’opposer aux demandes de Monsieur [S] [B], la société GESTOCEANIDES invoque les règles mises en place lors de la crise sanitaire liées à l’épidémie de la Covid-19, excipe la mauvaise foi du bailleur, et expose en outre que l’intégralité des loyers a été payée le 1er juillet 2021.

Sur l’incidence du cadre juridique de l’urgence sanitaire :
La société GESTOCEANIDES fait valoir qu’aucune action ne peut être mise en oeuvre à son encontre par application de l’article 14 de la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020, dont selon ses dires elle remplit les conditions.

Cet article dispose que :
“'I. – Le présent article est applicable aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique affectée par une mesure de police administrative prise en application des 2° ou 3° du I de l’article 1er de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire ou du 5° du I de l’article L3131-15 du code de la santé publique, y compris lorsqu’elle est prise par le représentant de l’Etat dans le département en application du second alinéa du I de l’article L3131-17 du même code. Les critères d’éligibilité sont précisés par décret, lequel détermine les seuils d’effectifs et de chiffre d’affaires des personnes concernées ainsi que le seuil de perte de chiffre d’affaires constatée du fait de la mesure de police administrative.
II. – Jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d’être affectée par une mesure de police mentionnée au I, les personnes mentionnées au même I ne peuvent encourir d’intérêts, de pénalités ou toute mesure financière ou encourir toute action, sanction ou voie d’exécution forcée à leur encontre pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives afférents aux locaux professionnels ou commerciaux où leur activité est ou était ainsi affectée.
Pendant cette même période, les sûretés réelles et personnelles garantissant le paiement des loyers et charges locatives concernés ne peuvent être mises en oeuvre et le bailleur ne peut pas pratiquer de mesures conservatoires.
Toute stipulation contraire, notamment toute clause résolutoire ou prévoyant une déchéance en raison du non-paiement ou retard de paiement de loyers ou charges, est réputée non écrite.
III. – Le II ne fait pas obstacle à la compensation au sens de l’article 1347 du code civil.
IV. – Le II s’applique aux loyers et charges locatives dus pour la période au cours de laquelle l’activité de l’entreprise est affectée par une mesure de police mentionnée au I.
Les intérêts ou pénalités financières ne peuvent être dus et calculés qu’à compter de l’expiration du délai mentionné au premier alinéa du II.

En outre, les procédures d’exécution qui auraient été engagées par le bailleur à l’encontre du locataire pour non-paiement de loyers ou de charges locatives exigibles sont suspendues jusqu’à la date mentionnée au même premier alinéa […].
VII. – Le présent article s’applique à compter du 17 octobre 2020 […]”.

Le décret n°2020-1766 pris le 30 décembre 2020 pour l’application de l’article 14 de la loi du 14 novembre 2020 a complété les conditions d’éligibilité à ce dispositif en exigeant que l’activité des personnes physiques et morales réponde à certains critères en termes de chiffre d’affaires, de nombre de salariés et de perte de chiffre d’affaires constatée.

Pour bénéficier de ces mesures, le locataire doit ainsi justifier :
- que son effectif salarié est inférieur à 250 salariés ;
- que le montant de son chiffre d’affaires constaté lors du dernier exercice clos est inférieur à 50 millions d’euros ou, pour les activités n’ayant pas d’exercice clos, le montant de leur chiffre d’affaires mensuel moyen est inférieur à 4,17 millions d’euros ;

- que la perte de chiffre d’affaires est d’au moins 50%. Ce critère correspond à la différence entre le chiffre d’affaires au cours du mois de novembre 2019 et le chiffre d’affaires réalisé au cours d’une période qui dépend de la date de création de la société locataire.

Il est également rappelé que ces dispositions concernent les loyers dus à compter de son entrée en application soit à compter du 17 octobre 2020, de sorte qu’elles ne font pas obstacle au droit du bailleur de faire délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire pour obtenir le paiement des loyers échus antérieurement et non réglés, comme c’est le cas en espèce.

En l’espèce, il résulte de l’instruction des pièces produites, l’analyse suivante :

- la SARL GESTOCEANIDES verse au dossier la décision de classement de la résidence “ALL SUITES LA TESTE DE BUCH” dans la catégorie de résidence de tourisme, tant au regard de son activité et de son classement administratif. La locataire démontre donc que son activité relève du champ d’application de ces dispositions,
- la SARL GESTOCEANIDES ne communique aucun élément relatif aux effectifs, mettant le tribunal dans l’incapacité de vérifier ce critère,
- la SARL GESTOCEANIDES a versé les données chiffrées sur les années 2019 et 2020. Ces données ne démontrent pas une baisse du chiffre d’affaires de plus de 50% sur la période du mois de novembre. En effet, le chiffre d’affaires brut total réalisé s’est élevé à 102 779,09 € en novembre 2019 contre 65 840,17 € en novembre 2020. Il ressort de ces chiffres une baisse de 36% et non de 50% comme exigé par la loi.

Dès lors, il n’est pas établi que les dispositions du texte précité s’appliquent en l’espèce. Ainsi, le moyen soulevé par la société GESTOCEANIDES est inopérant.

Sur la mauvaise foi du bailleur :
La SARL GESTOCEANIDES soutient que Monsieur [S] [B] a abusé de ses prérogatives contractuelles en délivrant le commandement litigieux en pleine période d’état d’urgence sanitaire, alors même que le bailleur ne pouvait ignorer l’impossibilité de recevoir du public pendant plusieurs mois. En effet, elle fait observer qu’elle a été contrainte de cesser de recevoir la clientèle touristique et de suspendre une part importante de l’exploitation de son activité pendant une première période de deux mois et demi allant du 15 mars 2020 au 2 juin 2020, puis de réduire significativement son exploitation pendant une seconde période allant du 1er novembre au 15 décembre 2020, soit près de cinq mois au total.

Elle ajoute que Monsieur [S] [B] était parfaitement averti de son désaccord sur le paiement des loyers et des fondements juridiques justifiant le retard de paiement.

Monsieur [S] [B] réplique en soutenant que la locataire a décidé unilatéralement et sans aucune concertation de suspendre le paiement des loyers à compter du 12 mars 2020. Il ajoute que la SARL GESTOCEANIDES n’a jamais eu l’intention de négocier avec les propriétaires sur les échéances litigieuses, mais bien d’imposer ses propres conditions sans tenir compte des intérêts de ses cocontractants. En effet, il rappelle que la SARL GESTOCEANIDES n’a jamais sollicité ni de son bailleur, ni d’un tribunal, la possibilité d’une suspension de paiement des loyers.

Sur ce,

Il est constant que sont privés d’effet les commandements de payer visant la clause résolutoire, qui quoique répondant aux conditions légales, sont délivrés de mauvaise foi par le bailleur, c’est-à-dire dans des circonstances démontrant sa volonté d’exercer déloyalement sa prérogative de mise en jeu de la clause résolutoire, la preuve de la mauvaise du bailleur incombant au preneur qui l’invoque et s’appréciant au jour où le commandement a été délivré.

En l’espèce, il ressort de l’instruction du dossier que si la SARL GESTOCEANIDES invoque que Monsieur [S] [B] était parfaitement averti de leurs difficultés financières au cours de la crise sanitaire, il n’en demeure pas moins qu’à la lecture des données comptables, leur chiffre d’affaires n’a cessé d’augmenter dès juin 2020 et particulièrement en juillet et août enregistrant des résultats plus élevés qu’en 2019.

Il est rappelé que les dispositions prises pendant la crise sanitaire invoquées par la SARL GESTOCEANIDES n’ont pas suspendu l’exigibilité des loyers et s’il est justifié des circonstances exceptionnelles pendant le cours de la crise sanitaire, incitant les parties au contrat à vérifier si ces circonstances ne rendaient pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives, ce devoir relevant de l’obligation d’exécuter de bonne foi les conventions n’autorise pas pour autant une partie à s’abstenir unilatéralement d’exécuter ses engagements et ne fonde pas une dispense pour le locataire d’honorer les loyers demeurant exigibles.

Dans ces conditions, la SARL GESTOCEANIDES n’établit pas un manquement du bailleur à son obligation d’exécuter le contrat de bonne foi, lors de la délivrance du commandement de payer.

Par conséquent, le moyen soulevé de ce chef par la société GESTOCEANIDES sera donc rejeté.

2 - Sur l’exigibilité des loyers échus des 1er et 2ème trimestre 2020 :

Monsieur [S] [B] réclame la somme de 1 234,94 € au titre d’un arriéré locatif relevant des 1er et 2ème trimestre 2020.

La SARL GESTOCEANIDES reconnaît devoir ses sommes à la date du commandement de payer. Toutefois, elle fait observer qu’elle avait sollicité un aménagement de sa dette compte-tenu du contexte sanitaire.

Il est relevé des pièces du dossier que le commandement de payer du 6 novembre 2020 fait état d’un arriéré locatif de 1 234,94 € au titre des loyers dus pour les 1er et 2ème trimestre 2020 :
- 249,19 € au titre des loyers du 1er trimestre 2020,
- 985,76 € au titre des loyers du 2ème trimestre 2020.

La SARL GESTOCEANIDES ne conteste pas les montants détaillés dans le commandement de payer.

Il est observé que cette somme de 1 234,94 € n’a pas été acquittée dans le mois de délivrance du commandement, l’examen du décompte permet de constater qu’aucun versement est intervenu jusqu’au 6 décembre 2020, date d’expiration du délai.

En conséquence, la contestation de la régularité du commandement de payer délivré le 6 novembre 2020 n’est pas fondée.

Il ressort des observations sus visées que le commandement de payer délivré le 6 novembre 2020 doit produire ses effets en l’absence de paiement des sommes qui y sont visées dans le délai d’un mois. Il y a lieu de constater l’acquisition de la clause résolutoire du bail à la date du 6 décembre 2020 à 24h00.

3- Sur les délais de paiement et la suspension de la clause résolutoire :

La société GESTOCEANIDES fait valoir que compte tenu du contexte de la crise sanitaire et des difficultés de trésorerie rencontrées, elle a la possibilité de bénéficier de larges délais de paiement à titre rétro-actif conformément à l’article 1345-5 du code civil et donc de suspendre les effets de la clause résolutoire.

Au soutien de sa demande de délais, la société GESTOCEANIDES expose qu’elle est de bonne foi, qu’elle a toujours régulièrement payé ses loyers depuis la prise d’effet du bail et qu’elle s’est retrouvée dans une situation économique difficile pendant la crise sanitaire. Elle fait observer qu’elle a soldé l’intégralité de sa dette en date du 1er juillet 2021.

Au jour des dernières conclusions, Monsieur [S] [B] sollicite la condamnation de la SARL GESTOCEANIDES à lui payer la somme de 194,56 € au titre du solde des loyers restant dûs.

Il conteste la demande de délais de paiement et réplique qu’ il sera acté que la société a bénéficié de facto de délais pour régulariser sa situation.

Sur ce,

L’alinéa 2 de l’article L 145-41 du code de commerce dispose que les juges saisis d’une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l’article 1343-5 du code civil, peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation des effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n’est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant l’autorité de chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas si locataire se libère dans les
conditions fixées par le juge.

Aux termes de l’article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, dans la limite de deux années, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues.

En l’espèce, il ressort des pièces versées au débat, et notamment des décomptes produits :

- que s’il est observé que la SARL GESTOCEANIDES a cessé de régler en totalité ses loyers à compter du 3 avril 2020, il n’en demeure pas moins que ces impayés sont nés pendant les circonstances exceptionnelles résultant de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 ;
- que la dette de la SARL GESTOCEANIDES n’a cessé de se réduire au fil des mois sur l’année 2021. Ainsi, elle justifie de versements réguliers afin d’apurer sa dette ;
- que suivant décompte actualisé au 6 septembre 2022, la dette s’élève à zéro euro. En effet, l’analyse des deux décomptes démontre que la SARL GESTOCEANIDES a réglé le solde des arriérés locatifs en date du 1er juillet 2021 pour un montant total de 1 547,38 € ;

- que la contradiction entre les parties pour un solde de 194,56 € est inopérante dans la mesure où il ressort clairement des décomptes versés que la société a réglé cette somme par virement SEPA le 10/07/2020, étant de surcroît souligné que le commandement de payer du 6 novembre 2020 fait état de ce virement effectué de 194,56 euros.

Dès lors, compte-tenu de la situation de la société GESTOCEANIDES, de ses efforts de paiement et de sa bonne foi, il convient de lui accorder des délais de paiement rétro-actifs jusqu’au 31 juillet 2021. Il ya lieu d’ordonner la suspension des effets de la clause résolutoire acquise au 6 décembre 2020, de constater que les délais de paiement accordés ont été respectés et que par conséquent, la clause résolutoire est réputée ne pas avoir jouée.

Il n’ y a donc pas lieu de statuer sur les demandes subséquentes de Monsieur [S] [B] relatives à l’expulsion et fixation d’une indemnité d’occupation. Il sera également débouté de sa demande de condamnation à lui verser la somme de 194,56 € au titre du solde locatif.

4 - Sur les autres demandes

Sur les dépens : L'article 696 du code de procédure civile prévoit que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

En l'espèce, dans la mesure où c’est la violation de ses obligations contractuelles par la défenderesse qui a conduit à la présente procédure et que le tribunal a constaté l’acquisition de la clause résolutoire, il n’apparaît pas inéquitable de condamner la SARL GESTOCEANIDES à supporter la charge des dépens, en ce compris les frais engagés pour la délivrance du commandement de payer.

Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Aux termes de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

En l’espèce, l’équité commande qu’il ne soit pas fait droit aux demandes fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur l'exécution provisoire :
Il convient de rappeler que la présente instance est soumise aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile aux termes duquel les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.

En l'espèce, il n’ y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire de la décision.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

CONSTATE que la dette locative visée dans le commandement de payer du 6 novembre 2020 n’a pas été réglée dans le délai d’un mois,
CONSTATE l’acquisition de la clause résolutoire insérée dans le bail conclu entre la SARL GESTOCEANIDES et Monsieur [S] [B] à la date du 6 décembre 2020 à 24h00,
ACCORDE à la SARL GESTOCEANIDES des délais de paiement rétroactifs jusqu’au 31 juillet 2021 pour s’acquitter de l’arriéré locatif de 1 234,94 euros, avec suspension des effets de la clause résolutoire durant les délais accordés,
DÉBOUTE Monsieur [S] [B] de sa demande de condamnation de la SARL GESTOCEANIDES au montant de 194,56 € au titre des arriérés locatifs,
CONSTATE que les délais de paiement ont été respectés et l’arriéré locatif réglé et DIT que la clause résolutoire est réputée ne pas avoir jouée,
DIT n’ y avoir lieu à statuer sur les demandes de Monsieur [S] [B] tendant à voir ordonner l’expulsion du preneur et à la fixation d’une indemnité d’occupation,
CONDAMNE la SARL GESTOCEANIDES aux dépens,
DIT qu’il n’ y a pas lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
RAPPELLE que le présent jugement est assorti de l’exécution provisoire.

Le présent jugement a été signé par Madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente et par Madame Pascale BUSATO, Greffière.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bordeaux
Formation : 5ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/07195
Date de la décision : 21/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-21;21.07195 ?
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