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21/03/2024 | FRANCE | N°21/07023

France | France, Tribunal judiciaire de Bordeaux, 5ème chambre civile, 21 mars 2024, 21/07023


N° RG 21/07023 - N° Portalis DBX6-W-B7F-V2OJ
5ème CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND





30Z

N° RG 21/07023 - N° Portalis DBX6-W-B7F-V2OJ

Minute n° 2024/00



AFFAIRE :


S.A.R.L. TEA COSY

C/

S.A.R.L. PATRIMOINE AQUITAINE











Grosses délivrées
le

à
Avocats : Me Christine MOREAUX
Me Yves MOUNIER



TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
5ème CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 21 MARS 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats et

du délibéré :

Marie WALAZYC, Vice-Présidente
Jean-Noël SCHMIDT, Vice-Président
Myriam SAUNIER, Vice-Présidente

Greffier, lors des débats et du prononcé
Pascale BUSATO, Greffier

DÉBATS :

A l’audience publique ...

N° RG 21/07023 - N° Portalis DBX6-W-B7F-V2OJ
5ème CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND

30Z

N° RG 21/07023 - N° Portalis DBX6-W-B7F-V2OJ

Minute n° 2024/00

AFFAIRE :

S.A.R.L. TEA COSY

C/

S.A.R.L. PATRIMOINE AQUITAINE

Grosses délivrées
le

à
Avocats : Me Christine MOREAUX
Me Yves MOUNIER

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
5ème CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 21 MARS 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats et du délibéré :

Marie WALAZYC, Vice-Présidente
Jean-Noël SCHMIDT, Vice-Président
Myriam SAUNIER, Vice-Présidente

Greffier, lors des débats et du prononcé
Pascale BUSATO, Greffier

DÉBATS :

A l’audience publique du 11 Janvier 2024
Délibéré au 21 mars 2024
Sur rapport conformément aux dispositions de l’article 785 du code de procédure civile

JUGEMENT:

Contradictoire
Premier ressort
Prononcé publiquement par mise à disposition du jugement au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile

DEMANDERESSE :

S.A.R.L. TEA COSY
immatriculée au RCS de BORDEAUX sous le numéro 850 201 385
11 rue du Grand Maurian
33000 BORDEAUX

représentée par Me Yves MOUNIER, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant

DÉFENDERESSE :

S.A.R.L. PATRIMOINE AQUITAINE
immatriculée au R.C.S. de BORDEAUX sous le numéro 384 747 671
11 rue du Grand MAURIAN
33000 BORDEAUX
N° RG 21/07023 - N° Portalis DBX6-W-B7F-V2OJ

représentée par Me Christine MOREAUX, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant

******

EXPOSE DU LITIGE

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Par contrat conclu le 29 juin 2000, la SARL PATRIMOINE AQUITAINE a donné à bail à monsieur [H] [C] des locaux situés 11 rue du grand Maurian à BORDEAUX (33000) d’une superficie de 39 m²moyennant le prix mensuel de 2.950 francs, pour une durée de 12 ans à compter du 1er septembre 2000.

Le bail a été renouvelé suite à la délivrance d’un congé par le bailleur le 25 juillet 2012.

Par acte notarié du 17 juillet 2019, la SAS TEA COSY a acquis le fonds de commerce, de la société ECTBX, société titulaire du bail depuis le 21 janvier 2011.

Par acte délivré le 12 septembre 2019, la SARL PATRIMOINE AQUITAINE a fait délivrer à la SAS TEA COSY un congé pour le 31 mars 2022, sans indemnité d’éviction, pour dénégation du droit au bénéfice du statut des baux commerciaux, se fondant sur un défaut d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés des locaux loués au jour de la délivrance du congé.

Par acte délivré le 10 septembre 2021, la SARL TEA COSY a fait assigner la SARL PARTIMOINE AQUITAINE devant le tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins, principalement, de nullité du congé.

La clôture est intervenue le 20 décembre 2023 par ordonnance du juge de la mise en état du même jour.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 mars 2023, la SARL TEA COSY sollicite du tribunal:

à titre principal, de prononcer la nullité du congé avec refus de renouvellement du bail et sans indemnité d’éviction du 12 septembre 2019,à titre subsidiaire: de désigner un expert afin de fixer l’indemnité d’éviction,en tout état de cause, de condamner la SARL PATRIMOINE AQUITAINE au paiement des dépens, et à lui payer la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles.
Au soutien de sa demande en nullité du congé, la SARL TEA COSY fait valoir d’une part, sur le fondement des articles L. 145-1, L. 145-9 et R. 123-66 du code de commerce que les formalités consécutives à l’acquisition du fonds de commerce auprès du centre de formalité des entreprises ont été accomplies le 09 août 2019 soit dans le délai fixé par ce texte d’un mois suivant la cession du fonds de commerce, laquelle a eu lieu le 17 juillet 2019. Elle soutient que la date à laquelle l’extrait KBIS mentionnant l’adresse d’exercice de son activité importe peu, le délai de transmission par le greffe du tribunal de commerce ne lui étant pas imputable. Elle en conclut donc que les formalités ont bien été accomplies avant la délivrance du congé le 12 septembre 2019. Elle invoque d’autre part, sur le fondement de l’article 1104 du code civil, la mauvaise foi du bailleur dans l’exécution du contrat et dans la mise en oeuvre de la clause résolutoire en ce que le congé a été délivré deux ans et demi avant la fin du bail, dans le seul objectif de se débarasser du preneur, tout comme il a déjà tenté de le faire avec le précédent locataire au vu des nombreuses procédures les ayant opposés devant le juge des référés et le juge des loyers commerciaux.

A l’appui de sa demande subsidiaire d’expertise judiciaire, dans l’hypothèse où le congé serait considéré comme valide par le tribunal, la SARL TEA COSY prétend, sur le fondement de l’article L. 145-14 du code de commerce, que si les griefs invoqués par le bailleur à l’appui du congé sont non fondés ou non prouvés, le refus de renouvellement subsiste, mais à charge pour le bailleur de payer une indemnité d’éviction. Elle expose avoir respecté toutes ses obligations, et avoir ainsi droit au paiement d’une indemnité d’éviction.

Pour contester la demande reconventionnelle du bailleur aux fins d’expulsion, la SARL TEA COSY soutient qu’elle démontre que le motif invoqué dans le congé litigieux est erroné.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 26 mai 2023, la SARL PATRIMOINE AQUITAINE BUREAU ETUDES demande au tribunal:

à titre principal de débouter la SARL TEA COSY de ses demandes,à titre reconventionnel:- de constater l’acquisition du congé délivré à la date du 31 mars 2022,
- d’ordonner l’expulsion dans un délai de huit jours suivant la signification du jugement à intervenir de la société TEA COSY et de tout occupant de son chef, ainsi que de leurs biens, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 31 mars 2022, au besoin avec le concours d’un serrurier et l’assistance de la force publique,
- de condamner la société TEA COSY à lui payer une indemnité mensuelle d’occupation de 1.007,28 euros TTC à compter du 1er avril 2022 et jusqu’à libération des locaux,
en tout état de cause:- de condamner la société TEA COSY au paiement des dépens dont les frais d’expulsion,
- de condamner la société TEA COSY à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La SARL PATRIMOINE AQUITAINE soutient d’une part que la seule constatation du défaut d’immatriculation pour l’activité réellement exercée dans les locaux loués suffit à priver le preneur du bénéfice du statut des baux commerciaux, et que l’extrait KBIS daté du 12 septembre 2019 permet de démontrer l’absence d’immatriculation des locaux loués par la société TEA COSY à cette date. Elle prétend que le rôle du centre de formalité des entreprises est exclusivement de centraliser les démarches administratives et non de procéder à l’immatriculation de la société qui relève du greffe du tribunal de commerce, auquel elle transmet le dossier complet. D’autre part, elle prétend que le fait de défendre ses intérêts dans des procédures judiciaires ne peut caractériser une mauvaise foi de sa part, ce d’autant que la loi ne lui interdit pas de dénoncer un congé à tout moment, et que la société preneuse ne fonde pas juridiquement sa demande en nullité.

Pour s’opposer à la demande d’expertise, elle expose que le motif du congé est fondé.

MOTIVATION

Sur la demande en nullité du congé délivré le 12 septembre 2019

Par application de l’article 1104 du code civil, les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public.
En vertu de l’article L. 145-1 du code de commerce, les dispositions du chapitre relatif au bail commercial s'appliquent aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d'une entreprise du secteur des métiers et de l'artisanat immatriculée au registre national des entreprises, accomplissant ou non des actes de commerce.

L’article L. 145-9 du code de commerce dispose que les baux de locaux soumis au statut du bail commercial ne cessent que par l’effet d’un congé donné six mois à l’avance. Le dernier alinéa de ce texte ajoute que le congé doit être donné par acte extrajudiciaire, préciser les motifs pour lesquels il est donné et indiquer que le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d’une indemnité d’éviction, doit saisir le tribunal avant l’expiration d’un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné.

 En application de ces textes et notamment de l’obligation générale d’exécution des conventions de bonne foi, le congé délivré par le bailleur dans les conditions légales ne doit pas être délivré en fraude aux droits du locataire sans aucune autre finalité que de lui nuire.

En l’espèce, il est constant, et il résulte de l’extrait KBIS du 11 septembre 2019 annexé au congé par le bailleur, que la SARL TEA COSY n’était pas immatriculée à l’adresse des lieux loués au jour de la délivrance du congé le 12 septembre 2019. La SARL TEA COSY démontre avoir entrepris les démarches et constitué le dossier le 09 août 2019 et avoir été immatriculée, dans les lieux loués le 17 septembre 2019. Or, cette inscription est obligatoire au jour de la délivrance du congé. Ainsi, le seul dépôt de la demande d’immatriculation auprès du centre de formalité des entreprises ne vaut pas immatriculation, et le fait que les démarches soient en cours au jour du congé, et d’un éventuel retard dû aux diligences du greffe, ne peut être opposé au bailleur, le défaut d’immatriculation s’appréciant au moment où le congé est délivré. Dès lors, en principe, le locataire non immatriculé perd le droit au renouvellement du bail, quel que soit le motif de cette absence d’immatriculation. Le congé délivré par la SARL PATRIMOINE AQUITAINE comporte donc un motif légalement admis.

En outre, le texte susvisé ne prévoit pas de délai maximal pour l’envoi du congé, mais seulement un délai minimal de six mois avant l’expiration du bail, rendant possible l’envoi à tout moment d’un congé par le bailleur.

Toutefois, cette liberté d’adresser à tout moment le congé entre la conclusion du bail et un délai de six mois avant son terme, se heurte à l’obligation susvisée qui impose aux parties d’exécuter de bonne foi et donc sans fraude aux droits de leur cocontractant les conventions dans lesquelles elles se sont engagées.

Or, en l’espèce, il convient de relever que la SARL PATRIMOINE AQUITAINE a fait délivrer le congé le 12 septembre 2019 pour le 31 mars 2022, sans même avoir au préalable sollicité la SARL TEA COSY sur les démarches réalisées pour obtenir son inscription dans les lieux loués au registre du commerce et des sociétés, alors que celle-ci venait d’acquérir le fonds de commerce par acte notarié du 17 juillet 2019, et donc de démarrer son activité dans ces locaux. Pour sa part, la SARL TEA COSY a respecté son obligation légale dès lors, que conformément aux dispositions de l’article R. 123-66 du code de commerce, elle a transmis par l’intermédiaire du centre de formalité des entreprises une demande d’inscription modificative au registre du commerce et des sociétés. En effet, cette demande a été formalisée le 09 août 2019, soit dans le délai légal d’un mois suivant l’acquisition du fonds de commerce rendant obligatoire la modification d’inscription au titre du lieu d’exercice de l’activité. La délivrance de ce congé s’inscrit par ailleurs dans un contexte de tension avec le précédent locataire, dès lors qu’il résulte de la décision rendue par la cour d’appel de Bordeaux le 09 novembre 2016, ayant confirmé une ordonnance du juge des référés qui avait rejeté la demande tendant à voir constater l’acquisition de la clause résolutoire pour des paiements en retard des loyers et défaut de production de l’assurance locative, que les relations des parties étaient dégradées suite à une procédure en renouvellement du bail avec demande de déplafonnement devant le juge des loyers commerciaux.

Cette précipitation du bailleur à exercer son droit de délivrance du congé, moins de deux mois après l’acquisition du fonds de commerce et du droit au bail par le preneur, en pleine période estivale, sans l’avoir interrogé sur les démarches effectivement entreprises, plus de deux ans et demi avant le terme du bail, ainsi que l’absence totale d’explication à ce choix, démontrent que la société PATRIMOINE AQUITAINE visait exclusivement à faire échec au droit au renouvellement du preneur ou au paiement d’une indemnité d’éviction.

Dans ces conditions, le bailleur ayant usé frauduleusement de son droit à faire délivrer un congé, il convient de prononcer la nullité du congé, qui sera considéré comme de nul effet, ce qui doit conduire à constater que le bail s’est poursuivi au-delà du 31 mars 2022.

Du fait de cette décision de nullité du congé, la demande subsidiaire aux fins d’expertise pour fixation d’une indemnité d’occupation, et les demandes reconventionnelles relatives à l’expulsion se trouvent être sans objet.

Sur les frais du procès

- Dépens

En vertu de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

En l’espèce, la SARL PATRIMOINE AQUITAINE perdant la présente instance, elle est condamnée au paiement des dépens.

- Frais irrépétibles

En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.[...]. Dans tous les cas, le juge tient

compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent.

En l’espèce, la SARL PATRIMOINE AQUITAINE, tenue aux dépens, est condamnée à payer à la SARL TEA COSY la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

PRONONCE la nullité du congé délivré le 12 septembre 2019 pour le 31 mars 2022 par la SARL PATRIMOINE AQUITAINE à la SARL TEA COSY, et DIT qu’il n’a produit aucun effet sur le bail qui s’est poursuivi à compter du 1er avril 2022 ;

CONDAMNE la SARL PATRIMOINE AQUITAINE au paiement des dépens ;

CONDAMNE la SARL PATRIMOINE AQUITAINE à payer à la SARL TEA COSY la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE la SARL PATRIMOINE AQUITAINE de sa demande formée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le présent jugement a été signé par Madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente et par Madame Pascale BUSATO, Greffière.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bordeaux
Formation : 5ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/07023
Date de la décision : 21/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs en accordant des délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-21;21.07023 ?
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