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10/03/2025 | FRANCE | N°C4336

France | France, Tribunal des conflits, 10 mars 2025, C4336


Vu, enregistrée à son secrétariat le 13 décembre 2024, la lettre par laquelle le greffe du tribunal de commerce de Paris a transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant la société Israël Shipyards Ltd, l'association des industriels d'Israël et l'association Chambre de commerce France-Israël à la SARL SOGENA devant le tribunal de commerce de Paris ;



Vu le déclinatoire présenté le 25 octobre 2024 par le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, tendant à voir déclarer la juridiction de l'ordre judiciaire incompétente par les m

otifs que le litige a pour objet de contester la légalité de la décision prise ...

Vu, enregistrée à son secrétariat le 13 décembre 2024, la lettre par laquelle le greffe du tribunal de commerce de Paris a transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant la société Israël Shipyards Ltd, l'association des industriels d'Israël et l'association Chambre de commerce France-Israël à la SARL SOGENA devant le tribunal de commerce de Paris ;

Vu le déclinatoire présenté le 25 octobre 2024 par le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, tendant à voir déclarer la juridiction de l'ordre judiciaire incompétente par les motifs que le litige a pour objet de contester la légalité de la décision prise par les autorités gouvernementales françaises refusant aux entreprises israéliennes dont les équipements sont utilisés ou susceptibles de l'être dans des opérations à Gaza et au Liban l'autorisation d'exposer du matériel sur un stand du salon Euronaval et qu'un tel litige relève de la compétence de la juridiction administrative ;

Vu le jugement du 30 octobre 2024 par lequel le tribunal de commerce de Paris, statuant en référé, a rejeté le déclinatoire de compétence et, statuant sur la demande, a ordonné à la société SOGENA de suspendre l'exécution des mesures refusant un stand au salon Euronaval aux sociétés israéliennes requérantes ;

Vu l'arrêté du 12 novembre 2024 par lequel le préfet a élevé le conflit ;

Vu, enregistré le 27 novembre 2024 au greffe du tribunal de commerce de Paris, le mémoire présenté pour la société Israël Shipyards Ltd, l'association des industriels d'Israël et l'association Chambre de commerce France-Israël, tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit, par les motifs que le tribunal de commerce a rejeté à bon droit le déclinatoire de compétence, que la qualification d'acte de gouvernement ne soulève pas de conflit de compétence entre les deux ordres de juridiction et que le tribunal de commerce était compétent pour apprécier si la décision prise en conseil de défense constituait ou non un acte de gouvernement ;

Vu, enregistré le 3 janvier 2025 au secrétariat du Tribunal, le mémoire présenté par le Premier ministre, tendant à ce que le jugement du 30 octobre 2024 soit déclaré nul et non avenu et à la confirmation de l'arrêté de conflit, par les motifs que le tribunal de commerce a statué sur le litige sans attendre l'expiration du délai de quinze jours prévu à l'article 22 du décret du 27 février 2015, que le litige revient à contester la décision prise en conseil de défense le 1er octobre 2024, laquelle constitue un acte de gouvernement, non détachable de la conduite des relations internationales de la France, qui échappe à la compétence des juridictions, que, subsidiairement, si cette décision était jugée détachable de la conduite des relations internationales, elle a été prise par les autorités publiques dans le cadre de leurs prérogatives de puissance publique et relève alors de la compétence de la juridiction administrative ;

Vu, enregistré le 24 janvier 2025 au secrétariat du Tribunal, le mémoire présenté par la SCP Piwnica, Molinié pour l'association Chambre de commerce France Israël, tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit, par les motifs que la décision contestée devant le juge des référés a été prise par une société de droit privé dans le cadre de l'exécution d'un contrat de droit privé, que la décision prise en conseil de défense le 1er octobre 2024 ne constitue pas un acte de gouvernement, mais présente le caractère d'un acte administratif dont l'illégalité est manifeste, au vu d'une jurisprudence établie, comme discriminatoire et contraire au droit de l'Union européenne, et peut être constatée par le juge judiciaire, que la décision du 1er octobre 2024 doit pouvoir être soumise à un contrôle juridictionnel en vertu du droit à un procès équitable et du droit à un recours effectif ;

Vu, enregistré le 30 janvier 2025 au secrétariat du Tribunal, le mémoire, rectifié le 7 février, présenté par la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia pour la société Israël Shipyards Ltd et l'association des industriels d'Israël, tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991, par les motifs que la position du conseil de défense du 1er octobre 2024 n'est pas un acte de gouvernement, ce conseil n'ayant pas compétence pour prendre des décisions, que cet acte est détachable de la conduite des relations internationales et des traités et engagements internationaux, qu'il constitue une discrimination contraire au droit de l'Union européenne et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, constitutive d'un trouble manifestement illicite ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal a été notifiée à la société SOGENA, qui n'a pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le décret n°2015-233 du 27 février 2015 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jacques-Henri Stahl , membre du Tribunal,

- les conclusions de M. Paul Chaumont, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Après que, par une lettre du 15 octobre 2024 complétée par une autre lettre du 18 octobre, le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale eut porté à la connaissance de la société SOGENA, organisatrice du salon de l'industrie navale de défense dit Euronaval se tenant à Villepinte entre le 4 et le 7 novembre 2024, la décision des autorités françaises, prise lors du conseil de défense et de sécurité nationale présidé par le Président de la République le 1er octobre 2024, interdisant à des entreprises israéliennes d'exposer sur des stands lors de ce salon des matériels militaires susceptibles d'être utilisés par les forces armées israéliennes à Gaza ou au Liban, la société SOGENA a, le 21 octobre, indiqué à la société Israël Shipyards Ltd qu'elle ne pourrait disposer lors du salon du stand d'exposition qu'elle avait précédemment réservé. La société, avec l'association des industriels d'Israël et l'association Chambre de commerce France-Israël, a saisi, le 23 octobre 2024, le tribunal de commerce de Paris d'une action en référé contre la société SOGENA. Le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, a adressé au tribunal de commerce, le 24 octobre 2024, un déclinatoire de compétence. Par un jugement du 30 octobre 2024, le tribunal de commerce a rejeté ce déclinatoire, retenu sa compétence et, statuant sur la demande en référé, ordonné à la société SOGENA de suspendre l'exécution des mesures adoptées à l'encontre des entreprises israéliennes pour leur participation au salon. Par un arrêté du 12 novembre 2024, reçu le 13 novembre au greffe du tribunal de commerce, le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris a élevé le conflit.

Sur la régularité du jugement du 30 octobre 2024 :

2. Il résulte de l'article 22 du décret du 27 février 2015 que la juridiction qui rejette le déclinatoire de compétence ne peut statuer sur le litige avant l'expiration du délai de quinze jours laissé au préfet pour, s'il l'estime opportun, élever le conflit. Il s'ensuit que le jugement du 30 octobre 2024 du tribunal de commerce de Paris, qui a rejeté le déclinatoire de compétence déposé par le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris et a statué sans attendre sur la demande en référé dont ce tribunal était saisi, doit, en toute hypothèse, être déclaré nul et non avenu en tant qu'il ordonne à la société SOGENA de suspendre l'exécution des mesures contestées et condamne cette société aux dépens de l'instance.

Sur la compétence :

3. La décision d'interdire aux entreprises israéliennes d'exposer au salon Euronaval se tenant entre le 4 et le 7 novembre 2024 des matériels militaires susceptibles d'être utilisés par les forces armées israéliennes à Gaza ou au Liban, laquelle a été prise, dans le contexte du conflit au Proche-Orient, par les autorités françaises lors du conseil de défense et de sécurité nationale s'étant tenu le 1er octobre 2024 sous la présidence du Président de la République et dont la société SOGENA s'est bornée à tirer les conséquences en indiquant à la société Israël Shipyards Ltd qu'elle ne pourrait disposer du stand qu'elle avait réservé pour ce salon, n'est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France.

4. Il résulte de ce qui précède que la juridiction administrative et la juridiction judiciaire sont l'une et l'autre incompétentes pour en connaître et que c'est à bon droit que le conflit a été élevé.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 :

5. Les dispositions de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, la somme que demandent la société Israël Shipyards Ltd et l'association Chambre de commerce France-Israël.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêté de conflit pris le 12 novembre 2024 par le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris est confirmé.

Article 2 : Sont déclarés nuls et non avenus la procédure engagée par la société Israël Shipyards Ltd, l'association des industriels d'Israël et l'association Chambre de commerce France-Israël devant le tribunal de commerce de Paris et le jugement rendu par ce tribunal le 30 octobre 2024.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Israël Shipyards Ltd et l'association Chambre de commerce France-Israël au titre de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Israël Shipyards Ltd, à l'association des industriels d'Israël, à l'association Chambre de commerce France-Israël, à la société SOGENA, au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris et au Premier ministre.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C4336
Date de la décision : 10/03/2025

Analyses

ARMÉES ET DÉFENSE - DÉCISION - PRISE EN CONSEIL DE DÉFENSE ET DE SÉCURITÉ NATIONALE SOUS LA PRÉSIDENCE DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE - D'INTERDIRE À CERTAINES ENTREPRISES DE DÉFENSE ÉTRANGÈRES D'EXPOSER LEUR MATÉRIEL - DANS LE CONTEXTE D'UN CONFLIT ARMÉ AU PROCHE-ORIENT – NATURE – ACTE NON DÉTACHABLE DES RELATIONS INTERNATIONALES DE LA FRANCE [RJ1].

08-06-01 La décision d’interdire aux entreprises israéliennes d’exposer dans un salon de l'industrie navale de défense des matériels militaires susceptibles d’être utilisés par les forces armées israéliennes à Gaza ou au Liban, laquelle a été prise, dans le contexte du conflit au Proche-Orient, par les autorités françaises lors d'un conseil de défense et de sécurité nationale sous la présidence du Président de la République et dont la société organisant ce salon s’est bornée à tirer les conséquences en indiquant à une société concernée par l'interdiction qu’elle ne pourrait disposer du stand qu’elle avait réservé pour ce salon, n’est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France....Il résulte de ce qui précède que la juridiction administrative et la juridiction judiciaire sont l’une et l’autre incompétentes pour en connaître.

COMPÉTENCE - ACTES ÉCHAPPANT À LA COMPÉTENCE DES DEUX ORDRES DE JURIDICTION - ACTES DE GOUVERNEMENT - ACTES CONCERNANT LES RELATIONS INTERNATIONALES - DÉCISION - PRISE EN CONSEIL DE DÉFENSE ET DE SÉCURITÉ NATIONALE SOUS LA PRÉSIDENCE DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE - D'INTERDIRE À CERTAINES ENTREPRISES DE DÉFENSE ÉTRANGÈRES D'EXPOSER LEUR MATÉRIEL - DANS LE CONTEXTE D'UN CONFLIT ARMÉ AU PROCHE-ORIENT – NATURE – ACTE NON DÉTACHABLE DES RELATIONS INTERNATIONALES DE LA FRANCE [RJ1].

17-02-02-02 La décision d’interdire aux entreprises israéliennes d’exposer dans un salon de l'industrie navale de défense des matériels militaires susceptibles d’être utilisés par les forces armées israéliennes à Gaza ou au Liban, laquelle a été prise, dans le contexte du conflit au Proche-Orient, par les autorités françaises lors d'un conseil de défense et de sécurité nationale sous la présidence du Président de la République et dont la société organisant ce salon s’est bornée à tirer les conséquences en indiquant à une société concernée par l'interdiction qu’elle ne pourrait disposer du stand qu’elle avait réservé pour ce salon, n’est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France....Il résulte de ce qui précède que la juridiction administrative et la juridiction judiciaire sont l’une et l’autre incompétentes pour en connaître.

PROCÉDURE - TRIBUNAL DES CONFLITS - CONFLIT POSITIF - DÉCLINATOIRE DE COMPÉTENCE - DÉLAI DE QUINZE JOURS LAISSÉ AU PRÉFET POUR ÉLEVER LE CONFLIT APRÈS LE REJET DU DÉCLINATOIRE – MÉCONNAISSANCE PAR LA JURIDICTION – CONSÉQUENCE – ANNULATION DE SA DÉCISION PAR LE TRIBUNAL DES CONFLITS - SAISI DU CONFLIT [RJ2] – DÉCISION RENDUE SUR UNE DEMANDE EN RÉFÉRÉ – INCIDENCE – ABSENCE.

54-09-01-02 Il résulte de l’article 22 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015 que la juridiction qui rejette le déclinatoire de compétence ne peut statuer sur le litige avant l’expiration du délai de quinze jours laissé au préfet pour, s’il l’estime opportun, élever le conflit. Il s’ensuit que la décision par lequel une juridiction rejette le déclinatoire de compétence déposé par le préfet et statue sans attendre sur la demande dont cette juridiction était saisie, doit, en toute hypothèse, être déclaré nul et non avenu, y compris lorsque cette juridiction était saisie en référé.


Composition du Tribunal
Président : M. MOLLARD
Rapporteur ?: M. Jacques-Henri Stahl
Rapporteur public ?: M. Chaumont

Origine de la décision
Date de l'import : 21/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:TC:2025:C4336
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