Vu, enregistrée à son secrétariat le 1er octobre 2024, la requête de l'office d'équipement hydraulique de la Corse (OEHC) tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une indemnité de 62 400 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 février 2019, en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi en raison de la durée excessive de la procédure suivie devant le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance d'Ajaccio et la cour de cassation, d'une part, le tribunal administratif de Marseille et la cour administrative d'appel de Marseille, d'autre part, et à ce que la somme de 3500 euros soit mise à sa charge au titre de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu, enregistré le 20 décembre 2024, le mémoire présenté pour l'Etat, tendant au rejet de la requête, à titre principal, au motif que la créance dont se prévaut l'OEHC est prescrite et, à titre subsidiaire, au motif que la durée totale des procédures en cause n'a pas été excessive ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Pierre Collin, membre du Tribunal,
- les observations de la SCP Gury et Maitre pour l'office d'équipement hydraulique de la Corse,
- les conclusions de M. Paul Chaumont, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 16 de la loi du 24 mai 1872 relative au Tribunal des conflits : " Le Tribunal des conflits est seul compétent pour connaître d'une action en indemnisation du préjudice découlant d'une durée totale excessive des procédures afférentes à un même litige et conduites entre les mêmes parties devant les juridictions des deux ordres en raison des règles de compétence applicables et, le cas échéant, devant lui ". Aux termes de l'article 43 du décret du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles : " (...) la partie qui entend obtenir réparation doit préalablement saisir le garde des sceaux, ministre de la justice, d'une réclamation ".
2. Il résulte de l'instruction que la Société d'économie mixte d'aménagement pour la mise en valeur de la Corse (SOMIVAC) a construit, dans les années 1970, un château d'eau sur une parcelle située à Coti-Chiavari (Corse-du-Sud) dont elle n'était pas propriétaire. Par un jugement du 18 novembre 2004, le tribunal de grande instance d'Ajaccio a ordonné, sur la demande des consorts A..., propriétaires de cette parcelle, l'expulsion de l'office d'équipement hydraulique de la Corse (OEHC), établissement public industriel et commercial venu aux droits de la SOMIVAC, et la remise en état de la parcelle et a condamné l'OEHC au paiement aux consorts A... d'une indemnité d'occupation de 1300 euros par mois à compter du 1er septembre 2003.
3. Par un arrêté du 21 février 2006, le préfet de la Corse-du-Sud a déclaré d'utilité publique le transfert du réservoir dans le domaine public de l'OEHC et déclaré cessible la parcelle en cause. Par une ordonnance du 11 avril 2006, le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance d'Ajaccio a déclaré expropriés les consorts A.... Par un arrêt du 11 octobre 2006, la cour d'appel de Bastia, statuant en appel du jugement du 18 novembre 2004 du tribunal de grande instance d'Ajaccio, a infirmé ce jugement sauf en ce qu'il fixait une indemnité d'occupation sans titre de 1300 euros par mois et sursis à statuer sur la demande d'expulsion dans l'attente de l'issue de la procédure d'expropriation en cours.
4. Le préfet de la Corse-du-Sud a, le 20 février 2007, pris un nouvel arrêté complétant son arrêté de déclaration d'utilité publique et de cessibilité du 21 février 2006 en y annexant un plan parcellaire. Le préfet a transmis ce nouvel arrêté au juge de l'expropriation du tribunal de grande d'Ajaccio afin que celui-ci prenne une ordonnance d'expropriation rectificative de son ordonnance du 11 avril 2006.
5. Les consorts A... ont, par ailleurs, saisi le tribunal administratif de Bastia d'un recours pour excès de pouvoir contre l'arrêté du 21 février 2006, que ce tribunal a rejeté par un jugement du 5 octobre 2006. Saisie d'un pourvoi en cassation contre l'ordonnance du juge de l'expropriation du tribunal de grande instance d'Ajaccio du 11 avril 2006, la cour de cassation a, par un arrêt du 26 mars 2008, radié l'affaire dans l'attente de l'issue de l'appel formé contre le jugement du tribunal administratif de Bastia du 5 octobre 2006. Après que la cour administrative d'appel de Marseille eut rejeté cet appel par un arrêt du 15 juin 2009, devenu définitif, la cour de cassation a, par un arrêt du 8 juin 2010, refusé l'admission du pourvoi formé contre l'ordonnance d'expropriation du 11 avril 2006.
6. Le 22 mars 2011, le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance d'Ajaccio a pris une ordonnance d'expropriation rectificative déclarant expropriés les biens listés dans l'état parcellaire modifié par l'arrêté du 20 février 2007.
7. Enfin, après avoir fait aux consorts A... une offre d'indemnisation qu'ils n'ont pas acceptée, l'OEHC a saisi le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance d'Ajaccio aux fins de fixation judiciaire de l'indemnité. Celle-ci a été fixée à 41 450,50 euros par un jugement du 7 juillet 2014.
8. Par un courrier du 11 décembre 2018, l'OEHC, estimant excessive la durée de la procédure d'expropriation, a demandé à l'Etat de l'indemniser, à hauteur de 62.561 euros, du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait du délai de plus de quatre ans séparant la prise par le préfet de la Corse-du-Sud de son arrêté du 20 février 2007 de l'intervention de l'ordonnance d'expropriation rectificative du 22 mars 2011, période pendant laquelle il a dû verser chaque mois une indemnité d'occupation de 1 300 euros aux consorts A.... Le garde des sceaux, ministre de la justice ayant rejeté cette demande par une décision du 6 mars 2019, l'OEHC a assigné l'Etat devant le tribunal judiciaire d'Ajaccio. La cour d'appel de Bastia, saisie en appel d'une ordonnance du 26 novembre 2021 du juge de la mise en état de ce tribunal, a, par un arrêt du 5 octobre 2022, estimant que la durée de la procédure d'expropriation était en partie due à l'attente, par la Cour de cassation, de l'arrêt de la cour administrative de Marseille statuant sur la légalité de l'arrêté de déclaration d'utilité publique et de cessibilité du 21 février 2006, jugé que seul le Tribunal des Conflits était compétent pour connaître de la demande indemnitaire de l'OEHC en application de l'article 16 de la loi du 24 mai 1872, dans sa rédaction issue de la loi du 16 février 2015. L'OEHC a en conséquence saisi le Tribunal des Conflits d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 62 400 euros, assortie des intérêts au taux légal.
9. Il ressort tant de sa réclamation préalable que des termes de sa requête présentée au Tribunal des Conflits que l'OEHC recherche la mise en jeu de la responsabilité de l'Etat à raison du délai, supérieur à quatre années, dans lequel le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance d'Ajaccio a pris une ordonnance d'expropriation rectificative.
10. Compte tenu de ce que le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance d'Ajaccio a attendu, pour prendre une telle ordonnance, que la Cour de cassation ait statué sur le pourvoi formé contre sa première ordonnance du 11 avril 2006 et de ce que la Cour de cassation a elle-même attendu qu'il soit définitivement statué par la juridiction administrative sur la légalité de l'arrêté du 21 février 2006 déclarant d'utilité publique l'opération et cessibles les parcelles, la demande de l'OEHC relève de la compétence du Tribunal des conflits.
11. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. "
12. Eu égard à l'objet de la demande soumise au Tribunal des conflits qui, ainsi qu'il a été dit, porte uniquement sur le préjudice qui résulterait du délai supérieur à quatre années nécessaire à l'intervention de l'ordonnance d'expropriation rectificative du 22 mars 2011 et sur l'obligation dans laquelle s'est trouvé l'OEHC de verser au consorts A..., durant ces quatre années, une indemnité mensuelle de 1300 euros, la réalité et l'étendue du préjudice allégué étaient entièrement révélées à la date de cette ordonnance rectificative, la circonstance que le montant de l'indemnité d'expropriation n'a été fixé que par un jugement du 7 juillet 2014 étant dépourvue d'incidence à cet égard. Le délai de la prescription quadriennale prévue par l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 ayant ainsi commencé à courir le 1er janvier 2012, le garde des sceaux, ministre de la justice est fondé à soutenir que la créance dont se prévaut l'OEHC était prescrite à la date à laquelle il a formé sa réclamation préalable.
13. Il résulte de ce qui précède que la requête de l'OEHC ne peut qu'être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'OEHC est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Office d'équipement hydraulique de la Corse et au garde des sceaux, ministre de la justice.