Vu, enregistrée à son secrétariat le 27 avril 2022, la lettre par laquelle le greffe de la cour d'appel de Douai a transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant MM. A..., E..., F..., G..., H..., I..., J..., K..., L..., M..., N..., l'association L'auberge des migrants, l'association La cabane juridique, la fondation Abbé C... pour le logement des défavorisés, l'association Help Refugees, l'association Project Play, l'association Salam Nord-Pas-de-Calais, l'association Secours catholique et l'association Utopia 56 au préfet du Pas-de-Calais et à l'agent judiciaire de l'Etat devant la cour d'appel de Douai ;
Vu le déclinatoire présenté le 6 décembre 2021 par le préfet du Pas-de-Calais, tendant à voir déclarer la juridiction de l'ordre judiciaire incompétente par les motifs que l'opération d'évacuation et de mise à l'abri des migrants présents sur le site du Virval à Calais n'est pas constitutive d'une voie de fait ;
Vu l'arrêt du 24 mars 2022 par lequel la cour d'appel de Douai a rejeté le déclinatoire de compétence ;
Vu l'arrêté du 5 avril 2022 par lequel le préfet a élevé le conflit ;
Vu l'arrêt du 5 avril 2022 par lequel la cour d'appel de Douai a sursis à toute procédure ;
Vu, enregistré le 14 avril 2022 au greffe de la cour d'appel de Douai, le mémoire présenté par l'agent judiciaire de l'Etat, tendant à la confirmation de l'arrêté de conflit, par les motifs que l'évacuation du terrain relève d'une opération de police judiciaire diligentée par le procureur de la République et que l'opération de mise à l'abri mise en œuvre par le préfet n'est pas constitutive d'une voie de fait ;
Vu, enregistré le 12 mai 2022 au secrétariat du Tribunal, le mémoire présenté pour MM. A..., E..., G..., H..., I..., J..., K..., L..., M..., N..., l'association L'auberge des migrants, l'association La cabane juridique, la fondation Abbé C... pour le logement des défavorisés, l'association Help Refugees, l'association Project Play, l'association Salam Nord-Pas-de-Calais, l'association Secours catholique et l'association Utopia 56, tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit par les motifs que l'opération d'évacuation a été décidée par le préfet, qu'elle a porté atteinte à la liberté individuelle et qu'elle n'est pas susceptible de se rattacher à un pouvoir conféré à l'administration, et à ce qu'une somme de 3 000 euros à verser à la SCP Sevaux, Mathonnet, leur avocat, soit mise à la charge de l'Etat au titre des articles 37 et 75 et la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu, enregistré le 13 mai 2022, le mémoire présenté par le ministre de l'intérieur, tendant à la confirmation de l'arrêté de conflit par les motifs que l'évacuation a été effectuée sur ordre du procureur de la République, que la mise à l'abri des personnes mise en œuvre par le préfet relève de ses pouvoirs, qu'aucune violation de la liberté individuelle ne peut être reprochée au préfet ;
Vu, enregistré le 29 juin 2022, le nouveau mémoire présenté par le ministre de l'intérieur, tendant à la confirmation de l'arrêté de conflit par les mêmes motifs que son précédent mémoire ;
Vu, enregistré le 30 juin 2022, le nouveau mémoire présenté par M. A... et autres, tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit par les mêmes motifs que leur précédent mémoire ;
Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal a été notifiée au préfet du Pas-de-Calais et à l'agent judiciaire de l'Etat ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;
Vu le code de l'action sociale et des familles ;
Vu le code pénal ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jacques-Henri Stahl, membre du Tribunal ;
- les conclusions de M. Jean Lecaroz, rapporteur public ;
- les observations de la SCP Sevaux, Mathonnet pour M. A... et autres ;
Considérant ce qui suit :
1. Après l'évacuation, le 29 septembre 2020, d'un campement irrégulièrement installé sur un terrain de la zone d'aménagement concerté de Virval à Calais, M. A... et autres ont assigné le préfet du Pas-de-Calais en référé devant le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer, le 4 novembre 2020, aux fins de constater l'existence d'une voie de fait, d'ordonner au préfet de cesser de procéder à de telles évacuations et de condamner l'Etat à leur verser une provision sur indemnité. Après qu'un déclinatoire de compétence avait été présenté par le préfet, le juge des référés du tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer a décliné la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître de cette demande par une ordonnance du 6 janvier 2021.
2. Alors que M. A... et autres avaient, le 28 septembre 2021, interjeté appel de cette ordonnance devant la cour d'appel de Douai, le préfet du Pas-de-Calais a adressé à la cour d'appel, le 28 novembre 2021, un nouveau déclinatoire de compétence, qui a été rejeté par arrêt de la cour d'appel en date du 24 mars 2022, notifié le 29 mars. Le préfet a élevé le conflit par un arrêté du 5 avril 2022, remis au greffe de la cour d'appel le même jour, et la cour d'appel, par un arrêt du 5 avril 2022, a sursis à statuer.
3. Il n'y a voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l'administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative.
4. Si M. A... et autres font valoir que l'intervention du préfet dans l'évacuation du campement installé sur le terrain en cause serait constitutive d'une voie de fait, il ressort des pièces versées au dossier que l'évacuation du terrain n'a pas été ordonnée par le préfet mais s'est faite dans le cadre d'une opération de police judiciaire après que le procureur de la République eut donné instruction de faire cesser l'infraction réprimée par les dispositions de l'article 322-4-1 du code pénal, qui punissent d'un an d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende le fait de s'installer en réunion, en vue d'y établir une habitation, même temporaire, sur un terrain appartenant soit à une commune qui s'est conformée à ses obligations en matière d'accueil des gens du voyage, soit à tout autre propriétaire autre qu'une commune, sans être en mesure de justifier de son autorisation ou de celle du titulaire du droit d'usage du terrain.
5. L'évacuation du terrain s'est accompagnée, sur décision du préfet, de propositions d'accueil, pour les personnes intéressées, dans des centres d'hébergement situés sur l'ensemble du territoire national et de la mise à disposition de moyens de transport vers ces lieux d'accueil. Cette action de l'administration se rattache à la mission confiée au préfet par les dispositions de l'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles, consistant à mettre en place dans le département un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse, de procéder à une évaluation de leur situation et de les orienter vers les structures ou services qu'appelle leur état, et ne s'est pas traduite par une exécution forcée. Il s'ensuit qu'elle ne saurait être qualifiée de voie de fait.
6. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que le conflit a été élevé.
Sur les conclusions présentées au titre des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 :
7. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande l'avocat de M. A... et autres au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêté de conflit pris le 5 avril 2022 par le préfet du Pas-de-Calais est confirmé.
Article 2 : Sont déclarés nuls et non avenus la procédure engagée par M. A... et autres contre le préfet du Pas-de-Calais et l'agent judiciaire de l'Etat devant la cour d'appel de Douai et l'arrêt de cette juridiction en date du 24 mars 2022.
Article 3 : Les conclusions présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à MM. A..., E..., F..., G..., H..., I..., J..., K..., L..., M..., N..., l'association L'auberge des migrants, l'association La cabane juridique, la fondation Abbé C... pour le logement des défavorisés, l'association Help Refugees, l'association Project Play, l'association Salam Nord-Pas-de-Calais, l'association Secours catholique et l'association Utopia 56, à l'agent judiciaire de l'Etat, au préfet du Pas-de-Calais et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.