La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/02/2018 | FRANCE | N°C4110

France | France, Tribunal des conflits, 12 février 2018, C4110


Vu, enregistrée à son secrétariat le 17 octobre 2017, l'expédition de l'ordonnance du 3 octobre 2017 par laquelle le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris, statuant sur la demande de l'Agent judiciaire de l'Etat, tendant à ce qu'il saisisse le Tribunal des conflits de la question de la juridiction compétente pour statuer sur la demande de M. A...en indemnisation des préjudices consécutifs à la confiscation irrégulière par la police aux frontières de ses documents d'identité, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 32 du décret du 27 févrie

r 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Vu ...

Vu, enregistrée à son secrétariat le 17 octobre 2017, l'expédition de l'ordonnance du 3 octobre 2017 par laquelle le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris, statuant sur la demande de l'Agent judiciaire de l'Etat, tendant à ce qu'il saisisse le Tribunal des conflits de la question de la juridiction compétente pour statuer sur la demande de M. A...en indemnisation des préjudices consécutifs à la confiscation irrégulière par la police aux frontières de ses documents d'identité, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 32 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Vu l'arrêt du 31 décembre 2012, par lequel la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du 5 novembre 2010 du tribunal administratif de Paris rejetant différentes demandes d'indemnisation formées par M. A...et décliné la compétence de la juridiction administrative pour statuer sur les conclusions de celui-ci en ce qu'elles tendaient à la réparation des conséquences dommageables de la confiscation et de la rétention de ses documents d'identité ;

Vu, enregistré le 20 novembre 2017, le mémoire présenté par l'Agent judiciaire de l'Etat tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente pour statuer sur le recours indemnitaire de M. A...par le motif que, depuis la décision du Tribunal des conflits du 17 juin 2013, la confiscation intervenue ne saurait plus caractériser une voie de fait ;

Vu, enregistré le 24 novembre 2017, le mémoire présenté par le ministre de l'intérieur tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente pour statuer sur le recours indemnitaire de M. A...par le motif que, depuis la décision du Tribunal des conflits du 17 juin 2013, la confiscation intervenue ne saurait plus caractériser une voie de fait ;

Vu, enregistré le 10 janvier 2018, le mémoire présenté par la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel pour M. A...tendant à ce que la juridiction judiciaire soit déclarée compétente pour statuer sur son recours indemnitaire par le motif qu'un changement de jurisprudence sur les règles de répartition des compétences ne peut lui être opposé sans que soit atteint son droit d'accès à un juge et que la liberté d'aller et venir auquel il a été porté atteinte est une composante de la liberté individuelle entrant dans le champ d'application de la voie de fait définie par la décision du Tribunal des conflits du 17 juin 2013 ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée à M.A..., à l'Agent judiciaire de l'Etat et au ministre de l'économie et des finances qui n'ont pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 66 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Domitille Duval-Arnould , membre du Tribunal,

- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;

Considérant que, le 6 janvier 2001, M.A..., de nationalité sénégalaise, est arrivé à l'aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle, en provenance de Dakar et à destination de Milan, en possession d'un permis de séjour italien et d'une carte d'identité italienne ; que, soupçonné de fraude, il a été maintenu 48h en zone d'attente par décision du ministre de l'intérieur et ses documents d'identité, considérés l'un comme falsifié et l'autre comme contrefait, lui ont été confisqués par les agents de la police des frontières ; qu'à l'issue de l'annulation de la décision le maintenant en zone d'attente, par un arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 21 novembre 2006, en l'absence de preuve d'une falsification ou d'une contrefaçon des documents, M. A...a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande de condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 550 000 euros en réparation des préjudices subis en raison des illégalités commises par les autorités françaises lors de son maintien en zone d'attente ; que, par un arrêt du 31 décembre 2012, la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du 5 novembre 2010 par lequel le tribunal de Paris avait rejeté ses demandes, alloué à M. A...une indemnité en réparation du préjudice moral subi à la suite de son placement en zone d'attente et considéré que l'administration avait, en retenant les documents d'identité de l'intéressé, commis une voie de fait dont les conséquences dommageables ne pouvaient être réparées que par la juridiction judiciaire ; que M. A...a assigné devant le tribunal de grande instance de Paris l'Agent judiciaire de l'Etat en paiement de la somme de 690 000 euros ; que statuant sur l'exception d'incompétence soulevée par celui-ci, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris, estimant la juridiction judiciaire incompétente a renvoyé au Tribunal des conflits, par application de l'article 32 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Considérant qu'il n'y a voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l'administration, soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ;

Considérant que, si en retenant les documents d'identité de M. A..., au-delà du temps strictement nécessaire à l'exercice du contrôle de son identité et de la régularité de sa situation, alors prévu par l'article 5 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 la police des frontières est susceptible d'avoir porté atteinte à la liberté d'aller et venir de l'intéressé, cette liberté n'entre pas dans le champ de la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution, de sorte qu'une telle atteinte n'est pas susceptible de caractériser une voie de fait ; que dès lors les conclusions de M. A...tendant à la réparation des conséquences dommageables de la rétention de ses documents d'identité relèvent de la compétence de la juridiction administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La juridiction administrative est compétente pour connaître du litige opposant M. A... à l'Agent judiciaire de l'Etat.

Article 2 : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 31 décembre 2012 est annulé en tant qu'il rejette comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître les conclusions de M. A...tendant à la réparation des conséquences dommageables de la confiscation et de la rétention de ses documents d'identité. La cause et les parties sont renvoyées dans cette mesure devant cette cour

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M.A..., à l'Agent judiciaire de l'Etat et au ministre de l'intérieur et au ministre de l'économie et des finances.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C4110
Date de la décision : 12/02/2018
Type d'affaire : Administrative

Analyses

COMPÉTENCE - RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LES DEUX ORDRES DE JURIDICTION - COMPÉTENCE DÉTERMINÉE PAR UN CRITÈRE JURISPRUDENTIEL - LIBERTÉ INDIVIDUELLE - PROPRIÉTÉ PRIVÉE ET ÉTAT DES PERSONNES - LIBERTÉ INDIVIDUELLE - VOIE DE FAIT - NOTION DE VOIE DE FAIT - 1) CRITÈRES - EXÉCUTION FORCÉE - DANS DES CONDITIONS IRRÉGULIÈRES - D'UNE DÉCISION PORTANT ATTEINTE À LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE OU ABOUTISSANT À L'EXTINCTION D'UN DROIT DE PROPRIÉTÉ OU DÉCISION AYANT LES MÊMES EFFETS ET MANIFESTEMENT INSUSCEPTIBLE D'ÊTRE RATTACHÉE À UN POUVOIR DE L'ADMINISTRATION [RJ1] - 2) LIBERTÉ D'ALLER ET VENIR - EXCLUSION DU CHAMP DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE - CONSÉQUENCE - ABSENCE DE VOIE DE FAIT - MÊME EN CAS D'ATTEINTE À LA LIBERTÉ D'ALLER ET VENIR [RJ2].

17-03-02-08-01-02 1) Il n'y a voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l'administration, soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative.... ,,2) Si en retenant les documents d'identité d'une personne au-delà du temps strictement nécessaire à l'exercice du contrôle de son identité et de la régularité de sa situation, alors prévu par l'article 5 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, la police des frontières est susceptible d'avoir porté atteinte à la liberté d'aller et venir de l'intéressé, cette liberté n'entre pas dans le champ de la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution, de sorte qu'une telle atteinte n'est pas susceptible de caractériser une voie de fait.

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - LIBERTÉS PUBLIQUES ET LIBERTÉS DE LA PERSONNE - LIBERTÉ D'ALLER ET VENIR - EXCLUSION DU CHAMP DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE AU SENS DE L'ARTICLE 66 DE LA CONSTITUTION - CONSÉQUENCE - ABSENCE DE VOIE DE FAIT - MÊME EN CAS D'ATTEINTE PORTÉE À CETTE LIBERTÉ [RJ2].

26-03-05 Si en retenant les documents d'identité d'une personne au-delà du temps strictement nécessaire à l'exercice du contrôle de son identité et de la régularité de sa situation, alors prévu par l'article 5 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, la police des frontières est susceptible d'avoir porté atteinte à la liberté d'aller et venir de l'intéressé, cette liberté n'entre pas dans le champ de la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution, de sorte qu'une telle atteinte n'est pas susceptible de caractériser une voie de fait.

POLICE - POLICES SPÉCIALES - POLICE AUX FRONTIÈRES - RETRAIT ET RÉTENTION DE DOCUMENTS D'IDENTITÉ PAR LA POLICE AUX FRONTIÈRES AU-DELÀ DU TEMPS STRICTEMENT NÉCESSAIRE À L'EXERCICE DU CONTRÔLE DE LA PERSONNE - LIBERTÉ D'ALLER ET VENIR - EXCLUSION DU CHAMP DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE AU SENS DE L'ARTICLE 66 DE LA CONSTITUTION - CONSÉQUENCE - ABSENCE DE VOIE DE FAIT - MÊME EN CAS D'ATTEINTE PORTÉE À CETTE LIBERTÉ [RJ2].

49-05 Si en retenant les documents d'identité d'une personne au-delà du temps strictement nécessaire à l'exercice du contrôle de son identité et de la régularité de sa situation, alors prévu par l'article 5 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, la police des frontières est susceptible d'avoir porté atteinte à la liberté d'aller et venir de l'intéressé, cette liberté n'entre pas dans le champ de la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution, de sorte qu'une telle atteinte n'est pas susceptible de caractériser une voie de fait.


Références :

[RJ1]

Cf. TC, 17 juin 2013, M. Bergoend c/ société ERDF Annecy Léman, n° 3911, p. 370.,,

[RJ2]

Comp. TC, 19 novembre 2001, Melle Mohamed c/ ministre de l'intérieur, n° 3272, p. 755.


Composition du Tribunal
Président : M. Maunand
Rapporteur ?: Mme Domitille Duval-Arnould
Rapporteur public ?: M. Daumas

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:TC:2018:C4110
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award