Vu, enregistrée à son secrétariat le 25 janvier 2016, la lettre par laquelle a été transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant M. A...au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris ;
Vu le déclinatoire présenté le 27 mai 2015 par le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, tendant à voir déclarer la juridiction de l'ordre judiciaire incompétente par les motifs que, d'une part, le législateur n'a pas entendu transférer à cet ordre de juridiction le contentieux qui oppose les agents publics aux personnes morales de droit public qui les emploient en matière de primes d'intéressement, d'autre part, le juge judiciaire n'a pas compétence pour ordonner à l'administration la production de documents couverts par les secrets mentionnés par la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 et qu'elle a refusé de communiquer ;
Vu l'ordonnance du 7 décembre 2015 par laquelle le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a rejeté le déclinatoire de compétence ;
Vu l'arrêté du 30 décembre 2015 par lequel le préfet a élevé le conflit ;
Vu l'ordonnance du 6 janvier 2016 par laquelle le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a sursis à toute procédure ;
Vu, enregistrés à son secrétariat les 29 février et 6 avril 2016, le mémoire et le mémoire en réplique présentés pour M.A..., tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit et à ce qu'une somme de 5.000 euros soit mise à la charge de l'Etat et du CNRS au titre de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991, par les motifs, à titre principal, que la procédure de conflit est irrégulière, le déclinatoire de compétence n'ayant pas été transmis au greffe de la juridiction saisie et, subsidiairement, que la juridiction judiciaire est exclusivement compétente pour connaître des litiges relatifs à la rémunération supplémentaire des agents de l'Etat exerçant une mission inventive, que le fond du litige est, en tout état de cause, de nature à relever, au moins pour partie, de la compétence de la juridiction judiciaire et que celle-ci a compétence, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, pour connaître d'une demande de communication de documents administratifs refusée par une personne publique ;
Vu, enregistrés à son secrétariat les 29 février, 1er et 4 avril 2016, le mémoire et les mémoires en réplique présentés pour le CNRS, tendant à la confirmation de l'arrêté de conflit et à ce que la somme de 5.000 euros soit mise à la charge de M. A...au titre de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991, par les motifs que, en premier lieu, le contentieux relatif à la rémunération des agents publics relève de la compétence de la juridiction administrative et, en second lieu, lorsque l'administration refuse de communiquer un document en invoquant les secrets dont la loi du 17 juillet 1978 lui impose le respect, cette décision de refus peut seulement faire l'objet d'un recours devant la juridiction administrative ;
Vu, enregistré à son secrétariat le 8 avril 2016, le mémoire présenté par le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui conclut à la régularité de la procédure de conflit, aux motifs que le déclinatoire de compétence a été adressé par télécopie au greffe du tribunal de grande instance de Paris et que les parties ont été à même d'en discuter ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;
Vu le code de la propriété intellectuelle, notamment ses articles L. 611-7,
L. 615-17 et R. 611-14-1 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie Canas , membre du Tribunal,
- les observations de la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois pour M. B... A...,
- les observations de la SCP Piwnica, Molinié pour le Centre national de la recherche scientifique,
- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public ;
Considérant que M.A..., qui a exercé les fonctions de directeur de recherche au sein du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), a la qualité d'inventeur ou de co-inventeur de plusieurs brevets dont cet établissement public est propriétaire et qui, pour certains d'entre eux, ont donné lieu à la conclusion de contrats de licence d'exploitation ; que, constatant des variations significatives du montant des primes d'intéressement aux produits tirés de ces inventions, qui lui sont versées en application de l'article R. 611-14-1 du code de la propriété intellectuelle, il a sollicité, auprès du CNRS, la communication des documents lui permettant d'en vérifier le mode de calcul et l'assiette ; qu'estimant que les éléments qui lui ont été transmis étaient insuffisants, M. A...a, selon actes d'huissier en date des 19 et 20 janvier 2015, saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris pour obtenir, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la désignation d'un expert aux fins de faire les comptes entre les parties, après production par le CNRS, au besoin sous astreinte, des documents nécessaires à l'accomplissement de sa mission ; que le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, a présenté un déclinatoire de compétence, qui a été rejeté par ordonnance de référé du 7 décembre 2015, notifiée le 18 décembre suivant ; que le préfet a élevé le conflit par arrêté du 30 décembre 2015 ;
Sur la régularité de la procédure de conflit :
Considérant que, si le préfet a adressé le déclinatoire de compétence au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, et non au greffe de la juridiction saisie, comme le prévoit l'article 19, alinéa 1er, du décret du 27 février 2015, il ressort des pièces du dossier que le ministère public a fait connaître son avis et que l'affaire a ensuite été renvoyée pour permettre aux parties de présenter leurs observations sur le déclinatoire ; que celles-ci ont ainsi été en mesure d'en débattre contradictoirement ; que la procédure de conflit n'est donc pas entachée d'irrégularité ;
Sur la compétence :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 611-7 du code de la propriété intellectuelle : "1. Les inventions faites par le salarié dans l'exécution soit d'un contrat de travail comportant une mission inventive qui correspond à ses fonctions effectives, soit d'études et de recherches qui lui sont explicitement confiées, appartiennent à l'employeur. (...) Les conditions dans lesquelles le salarié, auteur d'une invention appartenant à l'employeur, bénéficie d'une rémunération supplémentaire sont déterminées par les conventions collectives, les accords d'entreprise et les contrats individuels de travail. (...) / 5.Les dispositions du présent article sont également applicables aux agents d'Etat, des collectivités publiques et de toutes autres personnes morales de droit public, selon les modalités qui sont fixées par décret en Conseil d'Etat" ; que l'article R. 611-14-1 du même code précise que : "Pour les fonctionnaires ou agents publics de l'Etat et de ses établissements publics (...) qui sont les auteurs d'une invention (...), la rémunération supplémentaire prévue par l'article L. 611-7 est constituée par une prime d'intéressement aux produits tirés de l'invention par la personne publique qui en est bénéficiaire et par une prime au brevet d'invention" ; que le premier alinéa de l'article L. 615-17 du code de la propriété intellectuelle dispose que : "Les actions civiles et les demandes relatives aux brevets d'invention, y compris dans les cas prévus à l'article L. 611-7 ou lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant les tribunaux de grande instance, déterminés par voie réglementaire, à l'exception des recours formés contre les actes administratifs du ministre chargé de la propriété industrielle qui relèvent de la juridiction administrative" ; qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que le contentieux relatif à la rémunération supplémentaire des inventions des fonctionnaires ou agents publics de l'Etat et de ses établissements publics relève de la compétence de la juridiction judiciaire, sous la réserve faite à l'article L. 615-17 du code de la propriété intellectuelle, mentionnée ci-dessus, et sauf à renvoyer à la juridiction administrative, par voie de question préjudicielle, l'appréciation de la légalité d'un acte administratif dont dépendrait la solution du litige, lorsque la question soulève une difficulté sérieuse et qu'il n'apparaît pas manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal ;
Considérant, en l'espèce, que la mesure d'instruction sollicitée a pour objet d'obtenir la production des éléments susceptibles d'établir le montant des primes d'intéressement dues à M.A..., en sa qualité d'inventeur ou de co-inventeur des brevets dont le CNRS est titulaire ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu'un tel litige relève de la compétence de la juridiction judiciaire ; que c'est donc à tort que le préfet a élevé le conflit ;
Sur l'application des dispositions de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CNRS la somme que demande M. A...au titre de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 ; que les dispositions de cet article font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A... la somme que demande le CNRS au même titre ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêté de conflit pris le 30 décembre 2015 par le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, est annulé.
Article 2 : Les conclusions de M. A...et du Centre national de la recherche scientifique tendant à l'application de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B...A..., au Centre national de la recherche scientifique, au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, et au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.