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14/05/2012 | FRANCE | N°T1203852

France | France, Tribunal des conflits, 14 mai 2012, T1203852


N° 3852

Conflit sur renvoi de la Cour de cassation
Sté Bouygues Télécom c/ M. Jean-Claude X... et autres

Séance du 14 mai 2012 Lecture du 14 mai 2012

LE TRIBUNAL DES CONFLITS

Vu l'expédition de l'arrêt du 12 octobre 2011 par lequel la Cour de Cassation, Première chambre civile, saisie d'un pourvoi formé par la société Bouygues Télécom contre l'arrêt rendu le 8 septembre 2010 par la cour d'appel de Versailles dans le litige l'opposant à M. et Mme Jean-Claude X..., M. Michel A..., Mme Claudine B..., Mme Claire C..., Mme Martine D..., M. René E.

.., M. Eric F..., Mme Mireille G..., M. Michel H..., M. Jean-Richard I...et Mme Patricia J...

N° 3852

Conflit sur renvoi de la Cour de cassation
Sté Bouygues Télécom c/ M. Jean-Claude X... et autres

Séance du 14 mai 2012 Lecture du 14 mai 2012

LE TRIBUNAL DES CONFLITS

Vu l'expédition de l'arrêt du 12 octobre 2011 par lequel la Cour de Cassation, Première chambre civile, saisie d'un pourvoi formé par la société Bouygues Télécom contre l'arrêt rendu le 8 septembre 2010 par la cour d'appel de Versailles dans le litige l'opposant à M. et Mme Jean-Claude X..., M. Michel A..., Mme Claudine B..., Mme Claire C..., Mme Martine D..., M. René E..., M. Eric F..., Mme Mireille G..., M. Michel H..., M. Jean-Richard I...et Mme Patricia J..., par lequel cette cour a confirmé l'ordonnance du 17 septembre 2009 du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Nanterre s'étant reconnu compétent pour statuer sur la demande tendant à voir condamner la société Bouygues Télécom à enlever les antennes relais de téléphonie mobile qu'elle a implantées sur un terrain privatif à Chevreuse (78), a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 35 du décret du 26 octobre 1849 modifié par le décret du 25 juillet 1960, le soin de décider de la question de compétence ;
Vu le mémoire présenté pour la société Bouygues Télécom, qui conclut à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente pour connaître du litige par les motifs que les antennes relais de téléphonie mobile, qui constituent le moyen nécessaire d'utilisation du domaine public hertzien, qui permettent d'assurer la couverture nationale d'un réseau, laquelle constitue une obligation de service public imposée aux opérateurs et qui nécessitent d'être fixées pour être activées, constituent des ouvrages publics ;
Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal a été notifiée au ministre du travail, de l'emploi et de la santé, au ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, et au ministre de l'écologie et du développement durable, des transports et du logement, à M. et Mme Jean-Claude X..., M. Michel A..., Mme Claudine B..., Mme Claire C..., Mme Martine D..., M. René E..., M. Eric F..., Mme Mireille G..., M. Michel H..., M. Jean-Richard I...et Mme Patricia J...qui n'ont pas produit de mémoires ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;
Vu la recommandation n° 1999/ 519/ CE du 12 juillet 1999 du Conseil de l'Union européenne ;
Vu le code des postes et des communications électroniques ;
Vu le code général de la propriété des personnes publiques ;
Vu le décret n° 2002-775 du 3 mai 2002 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sylvie Hubac, membre du Tribunal,- les observations de la SCP Bénabent, pour la Sté Bouygues Télécom,- les observations de la SCP Piwnica pour la Sté Française du Radiotéléphone (SFR),- les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, pour la Confédération nationale du Logement (CNL)- les conclusions de M. Jean-Dominique Sarcelet, commissaire du gouvernement ;

Considérant que selon le I de l'article L. 32-1 du code des postes et communications électroniques, les activités de communications électroniques s'exercent librement dans le respect des autorisations prévues au titre II de ce code (" Ressources et police "), notamment celles relatives à l'utilisation des fréquences radioélectriques et à l'implantation des stations radioélectriques ; que, d'une part, en application de l'article L. 42-1 du code, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) attribue les autorisations d'utilisation des fréquences ou bandes de fréquences, lesquelles précisent les conditions techniques et opérationnelles nécessaires pour éviter les brouillages préjudiciables et pour limiter l'exposition du public aux champs électromagnétiques ; que ces autorisations constituent, en application de l'article L. 2124-26 du code général de la propriété des personnes publiques, un mode d'occupation privatif du domaine public de l'Etat dont les litiges relèvent, en application de l'article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques, de la juridiction administrative ; que, d'autre part, l'article L. 43 du code des postes et communications électroniques dispose que l'Agence nationale des fréquences (ANFR), établissement public administratif de l'Etat, " coordonne l'implantation sur le territoire national des stations radioélectriques de toute nature afin d'assurer la meilleure utilisation des sites disponibles et veille au respect des valeurs limites d'exposition du public aux champs électromagnétiques. A cet effet les décisions d'implantation ne peuvent être prises qu'avec son accord " ; qu'en application du décret du 3 mai 2002 relatif aux valeurs limites d'exposition du public aux champs électromagnétiques émis par les équipements utilisés dans les réseaux de télécommunication ou par les installations radioélectriques, qui a repris les valeurs limites fixées par la recommandation du 12 juillet 1999 de l'Union européenne relative à la limitation de l'exposition au public aux champs électromagnétiques, toute personne exploitant un réseau de communications électroniques adresse à l'ANFR un dossier contenant une déclaration selon laquelle l'équipement ou l'installation qu'elle se propose d'implanter en un lieu donné est conforme aux normes et spécifications imposées par la législation et respecte les valeurs limites d'exposition ; que ce dossier doit justifier des actions engagées pour s'assurer, au sein des établissements scolaires, des crèches ou des établissements de soins situés dans un rayon de cent mètres à partir de l'installation, que l'exposition du public aux champs électromagnétiques est aussi faible que possible, tout en préservant la qualité du service rendu ; que selon l'article R. 20-44-11 du code : " Devant le silence gardé par l'agence, l'accord est réputé acquis aux termes d'un délai de deux mois après la saisine de l'agence " ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a organisé une police spéciale des communications électroniques confiée à l'Etat ; qu'afin d'assurer sur l'ensemble du territoire national et conformément au droit de l'Union européenne, d'une part, un niveau élevé et uniforme de protection de la santé publique contre les effets des ondes électromagnétiques émises par les réseaux de communications électroniques, qui sont identiques sur tout le territoire, d'autre part, un fonctionnement optimal de ces réseaux, notamment par une couverture complète de ce territoire, le législateur a confié aux seules autorités publiques qu'il a désignées le soin de déterminer et contrôler les conditions d'utilisation des fréquences ou bandes de fréquences et les modalités d'implantation des stations radioélectriques sur l'ensemble du territoire ainsi que les mesures de protection du public contre les effets des ondes qu'elles émettent et contre les brouillages préjudiciables ;
Considérant que, par suite, l'action portée devant le juge judiciaire, quel qu'en soit le fondement, aux fins d'obtenir l'interruption de l'émission, l'interdiction de l'implantation, l'enlèvement ou le déplacement d'une station radioélectrique régulièrement autorisée et implantée sur une propriété privée ou sur le domaine public, au motif que son fonctionnement serait susceptible de compromettre la santé des personnes vivant dans le voisinage ou de provoquer des brouillages implique, en raison de son objet même, une immixtion dans l'exercice de la police spéciale dévolue aux autorités publiques compétentes en la matière ; que, nonobstant le fait que les titulaires d'autorisations soient des personnes morales de droit privé et ne soient pas chargés d'une mission de service public, le principe de la séparation des pouvoirs s'oppose à ce que le juge judiciaire, auquel il serait ainsi demandé de contrôler les conditions d'utilisation des fréquences radioélectriques au regard des nécessités d'éviter les brouillages préjudiciables et de protéger la santé publique et, partant, de substituer, à cet égard, sa propre appréciation à celle que l'autorité administrative a portée sur les mêmes risques ainsi que, le cas échéant, de priver d'effet les autorisations que celle-ci a délivrées, soit compétent pour connaître d'une telle action ;
Considérant, en revanche, que le juge judiciaire reste compétent, sous réserve d'une éventuelle question préjudicielle, pour connaître des litiges opposant un opérateur de communications électroniques à des usagers ou à des tiers, d'une part, aux fins d'indemnisation des dommages causés par l'implantation ou le fonctionnement d'une station radioélectrique qui n'a pas le caractère d'un ouvrage public, d'autre part, aux fins de faire cesser les troubles anormaux de voisinage liés à une implantation irrégulière ou un fonctionnement non conforme aux prescriptions administratives ou à la preuve de nuisances et inconvénients anormaux autres que ceux afférents à la protection de la santé publique et aux brouillages préjudiciables ;
Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci dessus que la juridiction de l'ordre judiciaire est compétente pour connaître des conclusions du litige opposant la société Bouygues Télécom à M. et Mme Jean-Claude X..., M. Michel A..., Mme Claudine B..., Mme Claire C..., Mme Martine D..., M. René E..., M. Eric F..., Mme Mireille G..., M. Michel H..., M. Jean-Richard I...et Mme Patricia J...en tant qu'elles tendent au versement par la société Bouygues Télécom de dommages intérêts à raison du risque créé, pour la santé des populations vivant dans son voisinage, par le fonctionnement d'une antenne de téléphonie mobile ayant reçu l'accord de l'ANFR pour être implantée sur le territoire de la commune de Chevreuse et qui lui appartient ; que la juridiction de l'ordre administratif est en revanche seule compétente pour connaître des conclusions du litige tendant pour les mêmes motifs à l'enlèvement de cette antenne ;
D E C I D E :
Article 1er : La juridiction judiciaire est compétente pour connaître des conclusions du litige opposant la société Bouygues Télécom à M. et Mme Jean-Claude X..., M. Michel A..., Mme Claudine B..., Mme Claire C..., Mme Martine D..., M. René E..., M. Eric F..., Mme Mireille G..., M. Michel H..., M. Jean-Richard I...et Mme Patricia J...en tant qu'elles tendent au versement par la société Bouygues Télécom de dommages intérêts à raison du risque créé, pour la santé des populations vivant dans son voisinage, par le fonctionnement d'une antenne de téléphonie mobile ayant reçu l'accord de l'ANFR pour être implantée sur le territoire de la commune de Chevreuse et qui lui appartient.
Article 2 : La juridiction administrative est compétente pour connaître des conclusions du même litige opposant la société Bouygues Télécom à M. et Mme Jean-claude X..., M. Michel A..., Mme Claudine B..., Mme Claire C..., Mme Martine D..., M. René E..., M. Eric F..., Mme Mireille G..., M. Michel H..., M. Jean-Richard I...et Mme Patricia J...en tant qu'elles tendent à l'enlèvement de l'antenne de téléphonie mobile.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, qui est chargé d'en assurer l'exécution.



Analyses

SEPARATION DES POUVOIRS - Compétence judiciaire - Exclusion - Cas - Communications électroniques - Implantation des stations radioélectriques - Action tendant à la cessation des inconvénients anormaux afférents à la protection de la santé publique et aux brouillages préjudiciables

SEPARATION DES POUVOIRS - Compétence judiciaire - Domaine d'application - Communications électroniques - Implantation des stations radioélectriques - Litige opposant un opérateur de communications électroniques à des usagers ou des tiers - Cas - Détermination POSTES ET COMMUNICATIONS ELECTRONIQUES - Communications électroniques - Implantation des stations radioélectriques - Action tendant à la cessation des inconvénients anormaux afférents à la protection de la santé publique et aux brouillages préjudiciables - Compétence administrative POSTES ET COMMUNICATIONS ELECTRONIQUES - Communications électroniques - Implantation des stations radioélectriques - Litige opposant un opérateur de communications électroniques à des usagers ou des tiers - Compétence judiciaire - Cas - Détermination

Il résulte des dispositions des articles L. 32-1 (I), L. 42-1, L. 43 du code des postes et communications électroniques et du décret n° 2002-775 du 3 mai 2002 relatif aux valeurs limites d'exposition du public aux champs électromagnétiques émis par les équipements utilisés dans les réseaux de télécommunication ou par les installations radioélectriques, que le législateur a organisé une police spéciale des communications électroniques confiée à l'Etat. L'action portée devant le juge judiciaire, quel qu'en soit le fondement, aux fins d'obtenir l'interruption de l'émission, l'interdiction de l'implantation, l'enlèvement ou le déplacement d'une station radioélectrique régulièrement autorisée et implantée sur une propriété privée ou sur le domaine public, au motif que son fonctionnement serait susceptible de compromettre la santé des personnes vivant dans le voisinage ou de provoquer des brouillages implique, en raison de son objet même, une immixtion dans l'exercice de la police spéciale dévolue aux autorités publiques compétentes en la matière, nonobstant le fait que les titulaires d'autorisations soient des personnes morales de droit privé et ne soient pas chargés d'une mission de service public. En revanche, le juge judiciaire reste compétent, sous réserve d'une éventuelle question préjudicielle, pour connaître des litiges opposant un opérateur de communications électroniques à des usagers ou à des tiers, d'une part, aux fins d'indemnisation des dommages causés par l'implantation ou le fonctionnement d'une station radioélectrique qui n'a pas le caractère d'un ouvrage public, d'autre part aux fins de faire cesser les troubles anormaux de voisinage liés à une implantation irrégulière ou un fonctionnement non conforme aux prescriptions administratives ou à la preuve de nuisances et inconvénients anormaux autres que ceux afférents à la protection de la santé publique et aux brouillages préjudiciables. Il en résulte que la juridiction de l'ordre judiciaire est compétente pour connaître des conclusions du litige tendant au versement par un opérateur de téléphonie mobile de dommages intérêts à raison du risque créé, pour la santé des populations vivant dans son voisinage, par le fonctionnement d'une antenne de téléphonie mobile ayant reçu l'accord de l'ANFR pour être implantée sur le territoire d'une commune et qui lui appartient. La juridiction de l'ordre administratif est en revanche seule compétente pour connaître des conclusions du litige tendant pour les mêmes motifs à l'enlèvement de cette antenne


Références :

articles L. 32-1 (I), L. 42-1, L. 43 du code des posteset des communications électroniques

articles L. 2124-26 et L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques

décret n° 2002-775 du 3 mai 2002
loi des 16-24 août 1790 et décret du 16 fructidor an III

loi du 24 mai 1872

décret du 26 octobre 1849 modifié

recommandation n° 1999/519/CE du 12 juillet 1999 du Conseil de l'Union européenne

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 08 septembre 2010


Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. Gallet
Avocat général : M. Sarcelet (commissaire du gouvernement)
Rapporteur ?: Mme Hubac
Avocat(s) : SCP Bénabent, SCP Piwnica et Molinié, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano

Origine de la décision
Date de la décision : 14/05/2012
Date de l'import : 05/09/2013

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : T1203852
Numéro NOR : JURITEXT000026304612 ?
Numéro d'affaire : 12-03852
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.conflits;arret;2012-05-14;t1203852 ?
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