Vu, enregistrée à son secrétariat le 18 octobre 2011, l'expédition de l'arrêt du 12 octobre 2011 par lequel la Cour de Cassation, Première chambre civile, saisie d'un pourvoi formé par la Commune de Chateau-Thierry contre un arrêt rendu le 23 mars 2010 par la cour d'appel d'Amiens dans le litige l'opposant à la société Orange France, par lequel cette cour a confirmé l'ordonnance du 25 septembre 2009 du président du tribunal de grande instance de Soissons s'étant déclaré incompétent pour statuer sur la demande de la commune tendant principalement au déplacement d'une antenne relais de téléphonie mobile et subsidiairement à la limitation de l'exposition des riverains à une énergie électromagnétique inférieure à 0,6 v/m à tout moment de la journée, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 35 du décret du 26 octobre 1849 modifié par le décret du 25 juillet 1960, le soin de décider de la question de compétence ;
Vu, enregistré le 21 novembre 2011, le mémoire présenté pour la Commune de Chateau-Thierry, qui conclut à ce que la juridiction judiciaire soit déclarée compétente pour connaître du litige, par les motifs qu'une antenne relais de téléphonie mobile est un ouvrage privé appartenant à une personne de droit privé qui n'est pas chargée d'une mission de service public ; que le litige ne porte pas sur le droit d'occupation du domaine public mais sur les moyens matériels mis en oeuvre par l'opérateur pour exercer ce droit ; que le contentieux lié à l'implantation de la station relais relève du juge judiciaire dès lors que la décision concernant le lieu d'implantation et ses caractéristiques techniques est exclusivement prise par l'opérateur privé ;
Vu le mémoire, enregistré le 30 novembre 2011, présenté pour la société Orange France, qui conclut à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente pour connaître du litige, par les motifs qu'une action ayant pour objet d'interdire le fonctionnement d'une antenne relais ou la limitation de la valeur d'exposition de ses ondes est de nature à contrarier les autorisations données par l'administration et au surplus doit être regardée comme concernant un litige relatif aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public au sens de l'article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques ;
Vu le mémoire, enregistré le 9 mai 2012, présenté pour la Commune de Chateau-Thierry et tendant aux mêmes fins que son précédent mémoire ;
Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal a été notifiée au ministre du travail, de l'emploi et de la santé, au ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, et au ministre de l'écologie et du développement durable, des transports et du logement qui n'ont pas produit de mémoires ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;
Vu la recommandation n° 1999/519/CE du 12 juillet 1999 du Conseil de l'Union européenne ;
Vu le code des postes et des communications électroniques ;
Vu le code général de la propriété des personnes publiques ;
Vu le décret n° 2002-775 du 3 mai 2002 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sylvie Hubac, membre du Tribunal,
- les observations de Maître Bouthors, pour la commune de Château-Thierry,
- les observations de la SCP Coutard, Munier-Apaire, pour la Sté Orange France,
- les conclusions de M. Jean-Dominique Sarcelet, commissaire du gouvernement ;
Considérant que selon le I de l'article L. 32-1 du code des postes et communications électroniques, les activités de communications électroniques s'exercent librement dans le respect des autorisations prévues au titre II de ce code (" Ressources et police "), notamment celles relatives à l'utilisation des fréquences radioélectriques et à l'implantation des stations radioélectriques ; que, d'une part , en application de l'article L. 42-1 du code, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) attribue les autorisations d'utilisation des fréquences ou bandes de fréquences, lesquelles précisent les conditions techniques et opérationnelles nécessaires pour éviter les brouillages préjudiciables et pour limiter l'exposition du public aux champs électromagnétiques ; que ces autorisations constituent, en application de l'article L. 2124-26 du code général de la propriété des personnes publiques, un mode d'occupation privatif du domaine public de l'Etat dont les litiges relèvent, en application de l'article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques, de la juridiction administrative ; que, d'autre part, l'article L. 43 du code des postes et communications électroniques dispose que l'Agence nationale des fréquences (ANFR), établissement public administratif de l'Etat, " coordonne l'implantation sur le territoire national des stations radioélectriques de toute nature afin d'assurer la meilleure utilisation des sites disponibles et veille au respect des valeurs limites d'exposition du public aux champs électromagnétiques. A cet effet les décisions d'implantation ne peuvent être prises qu' avec son accord " ; qu'en application du décret du 3 mai 2002 relatif aux valeurs limites d'exposition du public aux champs électromagnétiques émis par les équipements utilisés dans les réseaux de télécommunication ou par les installations radioélectriques, qui a repris les valeurs limites fixées par la recommandation du 12 juillet 1999 de l'Union européenne relative à la limitation de l'exposition au public aux champs électromagnétiques, toute personne exploitant un réseau de communications électroniques adresse à l'ANFR un dossier contenant une déclaration selon laquelle l'équipement ou l'installation qu'elle se propose d'implanter en un lieu donné est conforme aux normes et spécifications imposées par la législation et respecte les valeurs limites d'exposition ; que ce dossier doit justifier des actions engagées pour s'assurer, au sein des établissements scolaires, des crèches ou des établissements de soins situés dans un rayon de cent mètres à partir de l'installation, que l'exposition du public aux champs électromagnétiques est aussi faible que possible, tout en préservant la qualité du service rendu ; que selon l'article R. 20-44-11 du code : " Devant le silence gardé par l'agence, l'accord est réputé acquis aux termes d'un délai de deux mois après la saisine de l'agence " ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a organisé une police spéciale des communications électroniques confiée à l'Etat ; qu'afin d'assurer sur l'ensemble du territoire national et conformément au droit de l'Union européenne, d'une part, un niveau élevé et uniforme de protection de la santé publique contre les effets des ondes électromagnétiques émises par les réseaux de communications électroniques, qui sont identiques sur tout le territoire, d'autre part, un fonctionnement optimal de ces réseaux, notamment par une couverture complète de ce territoire, le législateur a confié aux seules autorités publiques qu'il a désignées le soin de déterminer et contrôler les conditions d'utilisation des fréquences ou bandes de fréquences et les modalités d'implantation des stations radioélectriques sur l'ensemble du territoire ainsi que les mesures de protection du public contre les effets des ondes qu'elles émettent et contre les brouillages préjudiciables ;
Considérant que, par suite, l'action portée devant le juge judiciaire, quel qu'en soit le fondement, aux fins d'obtenir l'interruption de l'émission, l'interdiction de l'implantation, l'enlèvement ou le déplacement d'une station radioélectrique régulièrement autorisée et implantée sur une propriété privée ou sur le domaine public, au motif que son fonctionnement serait susceptible de compromettre la santé des personnes vivant dans le voisinage ou de provoquer des brouillages implique, en raison de son objet même, une immixtion dans l'exercice de la police spéciale dévolue aux autorités publiques compétentes en la matière ; que, nonobstant le fait que les titulaires d'autorisations soient des personnes morales de droit privé et ne soient pas chargés d'une mission de service public, le principe de la séparation des pouvoirs s'oppose à ce que le juge judiciaire, auquel il serait ainsi demandé de contrôler les conditions d'utilisation des fréquences radioélectriques au regard des nécessités d'éviter les brouillages préjudiciables et de protéger la santé publique et, partant, de substituer, à cet égard, sa propre appréciation à celle que l'autorité administrative a portée sur les mêmes risques ainsi que, le cas échéant, de priver d'effet les autorisations que celle-ci a délivrées, soit compétent pour connaître d'une telle action ;
Considérant, en revanche, que le juge judiciaire reste compétent, sous réserve d'une éventuelle question préjudicielle, pour connaître des litiges opposant un opérateur de communications électroniques à des usagers ou à des tiers, d'une part, aux fins d'indemnisation des dommages causés par l'implantation ou le fonctionnement d'une station radioélectrique qui n'a pas le caractère d'un ouvrage public, d'autre part, aux fins de faire cesser les troubles anormaux de voisinage liés à une implantation irrégulière ou un fonctionnement non conforme aux prescriptions administratives ou à la preuve de nuisances et inconvénients anormaux autres que ceux afférents à la protection de la santé publique et aux brouillages préjudiciables ;
Considérant qu'il résulte de ce qu'il a été dit ci-dessus que les juridictions de l'ordre judiciaire sont incompétentes pour connaître du litige opposant la Commune de Château-Thierry à la société Orange France tendant à ce que soient prononcés le déplacement d'une antenne-relais de téléphonie mobile et subsidiairement la limitation de l'exposition des riverains à une énergie électromagnétique inférieure à 0,6 v/m à tout moment de la journée ayant reçu l'accord de l'ANFR pour être implantée sur le territoire de la commune de Château-Thierry au motif que cette installation présenterait un risque pour la santé de s populations vivant dans son voisinage ; qu'il n'appartient qu'au juge administratif de connaître d'un tel litige ;
D E C I D E :
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Article 1 : La juridiction administrative est compétente pour connaître du litige opposant la Commune de Chateau-Thierry à la société Orange France.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, qui est chargé d'en assurer l'exécution.