N° 3843
Conflit positif
Préfet de la Région Alpes Côte d'Azur, Préfet des Bouches-du-Rhône
Société Baryflor c/ Electricité de France
Séance du 30 janvier 2012Lecture du 5 mars 2012
LE TRIBUNAL DES CONFLITS
Vu la lettre par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant la société Baryflor à la société anonyme Electricité de France (EDF) ;
Vu le déclinatoire de compétence adressé le 31 mars 2011 au procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence par le préfet de la région Provence Alpes Côte d'Azur, préfet des Bouches-du-Rhône ;
Vu le jugement du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence du 26 juillet 2011 qui a rejeté ce déclinatoire de compétence et a statué au fond ;
Vu l'arrêté du 9 août 2011 par lequel le préfet de région, préfet de Provence Alpes Côte d'Azur a élevé le conflit ;
Vu le mémoire présenté par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie tendant à la confirmation de l'arrêté de conflit au motif que la décision du Tribunal du 13 décembre 2010 écarte l'application du III de l'article 88 de la loi du 12 juillet 2010 aux seuls litiges en cours à cette date ; que tel n'est pas le cas du litige qui oppose la société Baryflor à Electricité de France ;
Vu le mémoire présenté pour la société EDF, tendant à la confirmation de l'arrêté de conflit au motif que l'article 10 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 modifié, confère la nature de contrats administratifs aux contrats d'achat d'électricité régis par ce texte ; qu'en l'absence de litige en cours entre EDF et la société Baryflor avant l'assignation d'EDF devant le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence le 17 février 2011 cette qualification rétroactive s'impose à ce contrat ;
Vu le mémoire présenté pour la société Baryflor, tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit et à la confirmation de la compétence du juge judiciaire au motif que le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence était fondé à écarter le déclinatoire de compétence et à statuer au fond ; qu'un litige était en l'espèce en cours le 10 juillet 2010 entre elle-même et Electricité de France (EDF) dès lors qu'elle avait revendiqué par courrier du 28 avril 2010 l'application des tarifs prévus par l'arrêté du 10 juillet 2006 ; que la loi est contraire à l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme car elle l'a prive de la possibilité de faire valoir ses prétentions devant le juge judiciaire et d'une espérance légitime d'obtenir le bénéfice d'une créance ;
Vu le mémoire en réplique présenté pour la société EDF tendant aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes moyens et en outre par le moyen que la notion de litige en cours ne peut s'entendre que comme un litige contentieux et non comme un simple différend résultant de l'échange de courriers ; que l'article 88-III de la loi Grenelle II n'a pas privé la société Baryflor d'une espérance légitime à une créance contractuelle ; que la loi en qualifiant les contrats de contrats administratifs n'a pas porté atteinte à la possibilité pour le juge compétent d'examiner les requêtes des producteurs et le cas échéant d'y faire droit ;
Vu le mémoire en duplique présenté pour la société Baryflor et tendant aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes moyens ; elle soutient en outre que le Tribunal des conflits a réservé l'examen de la conventionalité de l'article 88-III de la loi Grenelle II au regard de l'article 1er du premier Protocole et que la modification du régime juridique du contrat porte atteinte à la substance de sa créance ;
Vu les nouvelles observations présentées pour la société EDF qui tendent aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes moyens ; elle soutient en outre que la société Baryflor ne rapporte pas la preuve dont la charge lui incombe qu'il a été porté atteinte à ses biens, ni même qu'il risque d'y être porté atteinte en raison de l'attribution de compétence au juge administratif ; que l'espérance légitime dont se prévaut la société ne repose sur aucune jurisprudence bien établie ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu l'ordonnance du 1er juin 1828 modifiée ;
Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;
Vu la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 modifiée par la loi n° 2010-788 du 10 juillet 2010 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sylvie Hubac, membre du Tribunal,- les observations de la SCP Piwnica-Molinié, pour la société Baryflor,- les observations de la SCP Coutard, Munier-Apaire, pour Electricité de France (EDF),- les conclusions de M. Jean-Dominique Sarcelet, commissaire du gouvernement ;
Considérant que la société Baryflor, dont l'objet est la production d'énergie électrique radiative du soleil, dite photovoltaïque, et qui possède une installation à Marignane, a présenté le 22 décembre 2009 une demande de contrat d'achat d'électricité auprès de la société anonyme Electricité de France (EDF) sur le fondement de l'obligation d'achat instaurée par l'article 10 de la loi du 10 février 2000 au profit des producteurs autonomes d'énergie électrique ; que la société et EDF ont signé le 7 septembre 2010 le contrat d'accès au réseau de distribution de l'électricité et le 7 octobre 2010 la convention d'exploitation du site de production ; que l'installation a été mise en service le 16 décembre 2010 ; que la société a assigné le 21 février 2011 EDF devant le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence aux fins de voir juger que le contrat de vente d'électricité entre elle et la défenderesse a été formé à la date de réception de la demande par cette dernière et que le tarif applicable est celui fixé par l'arrêté du 10 juillet 2006 et non celui résultant des arrêtés du 12 janvier 2010 ; que le préfet des Bouches-du-Rhône a présenté un déclinatoire de compétence que la juridiction commerciale a rejeté par un jugement du 26 juillet 2011 par lequel elle a tranché le litige ; qu'à la suite de ce jugement le préfet de la région Provence Alpes Côte d'Azur a élevé le conflit ;
Sur la régularité du jugement du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence du 26 juillet 2011 :
Considérant qu'il résulte de l'article 8 de l'ordonnance du 1er juin 1828 que la juridiction qui rejette le déclinatoire de compétence doit surseoir à statuer pendant le délai laissé au préfet pour, s'il l'estime opportun, élever le conflit ; qu'il s'ensuit que le jugement du tribunal d'Aix-en-Provence du 26 juillet 2011 doit être déclaré nul et non avenu en tant que, après avoir écarté le déclinatoire présenté par le préfet, il statue au fond sur la demande de la société Baryflor ;
Sur la compétence :
Considérant que les contrats conclus entre personnes privées sont en principe des contrats de droit privé, hormis le cas où l'une des parties au contrat agit pour le compte d'une personne publique ; que les contrats d'achat d'électricité prévus à l'article 10 de la loi du 10 février 2000, entre la société EDF, qui n'exerce dans ce domaine aucune mission pour le compte d'une personne publique et les producteurs autonomes d'électricité sont conclus entre personnes privées ; que toutefois l'avant dernier alinéa de l'article 10 de la loi du 10 février 2000 dans sa rédaction issue de l'article 88 de la loi du 12 juillet 2010 dispose que "les contrats régis par le présent article sont des contrats administratifs qui ne sont conclus et n'engagent les parties qu'à compter de leur signature. Le présent alinéa a un caractère interprétatif" ;
Considérant qu'en principe, il n'appartient pas au Tribunal des conflits, dont la mission est limitée à la détermination de l'ordre de juridiction compétent, de se substituer aux juridictions de cet ordre pour se prononcer sur le bien fondé des prétentions des parties ; qu'en revanche il lui incombe de se prononcer sur un moyen tiré de la méconnaissance des stipulations d'un traité lorsque, pour désigner l'ordre de juridiction compétent, il serait amené à faire application d'une loi qui serait contraire à ces stipulations ;
Considérant, d'une part, que la compétence de la juridiction administrative découlant de la qualification de contrats administratifs donnée par la loi aux contrats régis par l'article 10 de la loi n° 2000-108 du 12 juillet 2010 ne porte, par elle-même, aucune atteinte au droit de toute personne au respect de ses biens protégé par l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, d'autre part, si l'incidence procédurale de cette qualification légale à portée rétroactive ne peut s'appliquer aux contrats faisant entre EDF et les producteurs autonomes d'électricité l'objet d'une instance en cours à la date du 14 juillet 2010, date d'entrée en vigueur de la loi, cette ingérence du législateur dans l'administration de la justice afin d'influer sur le dénouement judiciaire des litiges n'étant justifiée par aucun motif impérieux d'intérêt général et étant contraire au droit au procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention, elle s'impose en revanche aux contrats qui ne faisaient pas l'objet d'une action contentieuse à cette date, quelle qu'ait été la date de leur conclusion ; qu'en l'espèce aucune instance contentieuse portant sur l'exécution du contrat d'achat d'électricité passé entre la société Baryflor et EDF n'était engagée le 14 juillet 2010 ; que par suite la juridiction administrative est compétente pour connaître de l'action intentée par la société Baryflor contre EDF à la suite de l'assignation de cette dernière devant le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence le 17 février 2011 ;
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêté de conflit pris le 9 août 2011 par le préfet de la région Provence Alpes Côte d'Azur, préfet des Bouches-du-Rhône est confirmé.
Article 2 : Sont déclarés nuls et non avenus la procédure engagée par la société Baryflor contre la société EDF devant le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence et le jugement de ce tribunal du 26 juillet 2011.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice, qui est chargé d'en assurer l'exécution.