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23/05/2005 | FRANCE | N°C3452

France | France, Tribunal des conflits, 23 mai 2005, C3452


Vu, enregistrée à son secrétariat le 27 décembre 2004, la lettre par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant M. YX, ès qualités de président de l'assemblée de Polynésie française, au HAUT-COMMISSAIRE DE LA REPUBLIQUE EN POLYNESIE FRANCAISE, devant le tribunal civil de première instance de Papeete et tendant à faire juger que la lettre du haut-commissaire du 12 octobre 2004, investissant Mme Y Lana, troisième vice-présidente, du droit de suppléer M. YX et de convoquer l'assemblée aux lieu et place de celui

-ci est irrégulière et constitue une voie de fait, et à ce qu'il...

Vu, enregistrée à son secrétariat le 27 décembre 2004, la lettre par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant M. YX, ès qualités de président de l'assemblée de Polynésie française, au HAUT-COMMISSAIRE DE LA REPUBLIQUE EN POLYNESIE FRANCAISE, devant le tribunal civil de première instance de Papeete et tendant à faire juger que la lettre du haut-commissaire du 12 octobre 2004, investissant Mme Y Lana, troisième vice-présidente, du droit de suppléer M. YX et de convoquer l'assemblée aux lieu et place de celui-ci est irrégulière et constitue une voie de fait, et à ce qu'il soit ordonné sous astreinte au haut-commissaire de rapporter cette décision ;

Vu le déclinatoire présenté le 19 octobre 2004 par le HAUT-COMMISSAIRE DE LA REPUBLIQUE EN POLYNESIE FRANCAISE et tendant à voir déclarer la juridiction de l'ordre judiciaire incompétente pour connaître des conclusions de M. YX par les motifs, d'une part, que si le principe de libre administration des collectivités territoriales est au nombre des libertés fondamentales auxquelles le législateur a entendu accorder une protection particulière, le rappel, par le représentant de l'Etat, sur les fondements statutaires mêmes qui déterminent sa propre compétence, aux autorités de la collectivité de l'exercice régulier de leurs compétences, ne saurait être admis comme une violation de cette liberté et, d'autre part, qu'il se trouvait dans l'exercice de ses compétences et prérogatives de respect des lois et de rappel de leurs compétences par les autorités locales ;

Vu le jugement du 19 octobre 2004 du tribunal civil de première instance de Papeete, qui a rejeté le déclinatoire de compétence, sursis à statuer et ordonné la réouverture des débats, aux motifs que c'est en réalité au rejet de la demande qu'il est conclu par le haut-commissaire, que pour pouvoir répondre à son argumentation le tribunal ne peut que retenir sa compétence afin de dire le droit sur l'existence d'une voie de fait, domaine dans lequel la compétence est exclusive ;

Vu l'arrêté du 29 octobre 2004 par lequel le haut-commissaire a élevé le conflit ;

Vu les pièces desquelles il résulte que l'arrêté d'élévation de conflit a été porté à la connaissance de M. YX, ès qualités de président de l'assemblée de la Polynésie française, qui a présenté des observations tendant à son annulation par les motifs que la décision du haut-commissaire du 12 octobre 2004 constitue à la fois une grave irrégularité dès lors qu'aucune disposition ne lui permettait d'investir un vice-président de l'assemblée du pouvoir de convoquer celle-ci, et une grave ingérence dans les pouvoirs du président de la Polynésie française, qui n'était ni absent ni empêché ;

Vu, enregistrées le 3 mars 2005, les observations du ministre de l'outre-mer tendant à ce que la juridiction civile soit déclarée incompétente pour connaître de l'action civile exercée à l'encontre du HAUT-COMMISSAIRE DE LA REPUBLIQUE EN POLYNESIE FRANCAISE, pour les motifs déjà énoncés par le déclinatoire de compétence et l'arrêté d'élévation du conflit ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu l'ordonnance du 1er juin 1828 modifiée ;

Vu l'ordonnance des 12-21 mars 1831 modifiée ;

Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Yves Chagny, membre du Tribunal,

- les conclusions de Mme Anne-Françoise Roul, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que le 9 octobre 2004 l'assemblée de la Polynésie française a voté la censure du gouvernement de la Polynésie française ; qu'en vertu du dernier alinéa de l'article 156 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française ce vote a mis fin aux fonctions du gouvernement, en sorte que, selon le 2ème alinéa de l'article 71 de ladite loi, l'assemblée devait élire le président de la collectivité d'outre-mer dans les quinze jours suivant la constatation de la vacance du pouvoir ; qu'après avoir rappelé au président de l'assemblée, par une lettre du 11 octobre 2004, la nécessité de réunir celle-ci sans délai pour fixer le calendrier et la date de l'élection, le HAUT-COMMISSAIRE DE LA REPUBLIQUE EN POLYNESIE FRANCAISE s'est adressé par écrit, le 12 octobre, à chacun des trois vice-présidents pour constater que l'assemblée n'avait pas été convoquée et lui indiquer qu'il lui revenait de le faire dans les plus brefs délais, en vertu du pouvoir que lui donne l'article 7.2 du règlement intérieur de l'assemblée aux termes duquel, en cas d'absence ou d'empêchement du président, il est suppléé par l'un des vice-présidents ; que, le 12 octobre, Mme Y, troisième vice-présidente, a convoqué l'assemblée pour le lendemain ; qu'autorisé par le président du tribunal civil de première instance de Papeete à assigner d'heure à heure le haut-commissaire et Mme Y, M. YX, ès qualités de président de l'assemblée de Polynésie française, a saisi le 19 octobre la juridiction civile d'une action tendant, d'une part, à ce qu'il soit décidé que la lettre du haut-commissaire du 12 octobre 2004, investissant Mme Y Lana, troisième vice-présidente, du droit de suppléer M. YX et de convoquer l'assemblée aux lieu et place de celui-ci est irrégulière et constitue une voie de fait, et à ce qu'il soit ordonné sous astreinte au haut-commissaire de rapporter cette décision et, d'autre part, à ce qu'il soit ordonné à Mme Y, également sous astreinte, d'avoir à cesser ses agissements ou d'en commettre de nouveaux qui seraient la suite ou la conséquence des décisions prises ; que le haut-commissaire a décliné la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire ; que, par le jugement qu'il a rendu le 19 octobre 2004, le tribunal civil de première instance a rejeté le déclinatoire de compétence ;

Considérant que, par arrêté du 29 octobre 2004, le HAUT-COMMISSAIRE DE LA REPUBLIQUE EN POLYNESIE FRANCAISE a élevé le conflit sur le seul litige l'opposant au président de l'assemblée de la Polynésie française, à l'exclusion du litige opposant ce dernier à Mme Y dont le Tribunal ne se trouve ainsi pas saisi ;

Considérant qu'il n'y a de voie de fait justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence de l'ordre judiciaire, que dans la mesure où l'administration, soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision même régulière, portant une atteinte grave au droit de propriété ou à une liberté fondamentale, soit a pris une décision ayant l'un ou l'autre de ces effets à la condition que cette dernière décision soit elle-même manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ;

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 3 de la loi organique du 27 février 2004 le haut-commissaire de la République, représentant de l'Etat, représentant de chacun des membres du gouvernement, est dépositaire des pouvoirs de la République et a la charge des intérêts nationaux, du respect des lois et des engagements internationaux, de l'ordre public et du contrôle administratif ; que, d'autre part, selon l'article 166 de ladite loi, il est chargé de veiller à l'exercice régulier de leurs compétences par les autorités de la Polynésie française et à la légalité de leurs actes ;

Considérant que, par la lettre qu'il a adressée le 12 octobre 2004 à Mme Y, troisième vice-présidente de l'assemblée de Polynésie française, à la suite du vote d'une motion de censure qui limitait le pouvoir du gouvernement de la Polynésie française à l'expédition des affaires courantes, le haut-commissaire, d'une part, a rappelé qu'il appartenait au président de l'assemblée de réunir celle-ci sans délai pour fixer le calendrier et la date de l'élection du nouveau président du gouvernement et qu'il était chargé par la loi de veiller lui-même au respect des délais et de la procédure de cette élection et, d'autre part, a constaté qu'en dépit de la lettre qu'il avait adressée le 11 octobre au président de l'assemblée celle-ci n'était toujours pas convoquée en sorte que les vice-présidents avaient le pouvoir de le faire eux--mêmes en vertu du règlement intérieur ; qu'il s'ensuit que la lettre, qui ne constitue pas l'exécution forcée d'une décision, n'est pas non plus une mesure manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à son auteur ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêté de conflit pris le 29 octobre 2004 par le HAUT-COMMISSAIRE DE LA REPUBLIQUE EN POLYNESIE FRANCAISE est confirmé.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice, qui est chargé d'en assurer l'exécution.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C3452
Date de la décision : 23/05/2005
Type d'affaire : Administrative

Analyses

17-03-02-08-01-02 COMPÉTENCE. RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LES DEUX ORDRES DE JURIDICTION. COMPÉTENCE DÉTERMINÉE PAR UN CRITÈRE JURISPRUDENTIEL. LIBERTÉ INDIVIDUELLE, PROPRIÉTÉ PRIVÉE ET ÉTAT DES PERSONNES. LIBERTÉ INDIVIDUELLE. VOIE DE FAIT. - ABSENCE - LETTRE ADRESSÉE PAR LE HAUT COMMISSAIRE DE LA RÉPUBLIQUE À UNE VICE-PRÉSIDENTE DE L'ASSEMBLÉE DE POLYNÉSIE FRANÇAISE - CONDITIONS.

17-03-02-08-01-02 Il n'y a de voie de fait justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence de l'ordre judiciaire, que dans la mesure où l'administration, soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision même régulière, portant une atteinte grave au droit de propriété ou à une liberté fondamentale, soit a pris une décision ayant l'un ou l'autre de ces effets à la condition que cette dernière décision soit elle-même manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative. Une lettre adressée par le Haut-Commissaire de la République à une vice-présidente de l'assemblée de Polynésie française, à la suite du vote d'une motion de censure qui limitait le pouvoir du gouvernement de la Polynésie française à l'expédition des affaires courantes, rappelant, d'une part, qu'il appartenait au président de l'assemblée de réunir celle-ci sans délai pour fixer le calendrier et la date de l'élection du nouveau président du gouvernement et qu'il était chargé par la loi de veiller lui-même au respect des délais et de la procédure de cette élection, et constatant, d'autre part, qu'en dépit de la lettre qu'il avait adressée précédemment au président de l'assemblée, celle-ci n'était toujours pas convoquée en sorte que les vice-présidents avaient le pouvoir de le faire eux-mêmes en vertu du règlement intérieur, ne constitue pas l'exécution forcée d'une décision, et n'est pas non plus une mesure manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à son auteur.


Composition du Tribunal
Président : Mme Mazars
Rapporteur ?: M. Daniel Chabanol
Rapporteur public ?: Mme Roul

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:TC:2005:C3452
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