Vu, enregistrée à son secrétariat le 6 septembre 1999, la lettre par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant le PREFET DE L'HERAULT à M. Y... devant la cour d'appel de Montpellier ;
Vu le déclinatoire présenté le 11 janvier 1999 par le PREFET DE L'HERAULT tendant à voir déclarer la juridiction de l'ordre judiciaire incompétente par le motif que le juge civil n'est pas compétent pour se prononcer une nouvelle fois après la décision de prolongation ;
Vu l'arrêt du 17 mai 1999 par lequel la cour d'appel de Montpellier a rejeté le déclinatoire de compétence ;
Vu l'arrêté du 28 mai 1999 par lequel le préfet a élevé le conflit ;
Vu l'arrêt du 28 juillet 1999 par lequel la cour d'appel de Montpellier a sursis à statuer à toute procédure ;
Vu, enregistré le 2 novembre 1999, le mémoire présenté par le ministre de l'intérieur, tendant à la confirmation de l'arrêté de conflit par les motifs que la rétention constitue une modalité d'exécution d'un acte administratif ; que la compétence du juge judiciaire est limitée par l'ordonnance du 2 novembre 1945 à la décision de prolongation de la rétention au-delà du délai de 48 heures, et à l'organisation des contrôles des conditions de la rétention par le procureur de la République ; que, hormis le cas de voie de fait, l'autorité judiciaire est incompétente pour se prononcer sur la régularité de la mesure de reconduite ; que la rétention de M. Y... se rattache à un pouvoir appartenant à l'administration ; qu'ayant épuisé sa compétence par la décision de maintien en rétention, le juge judiciaire aurait dû reconnaître son incompétence ; que le préfet pouvait légalement retirer son arrêté initial et prendre un nouvel arrêté ; que celui-ci n'a pas rendu caduque la décision du juge judiciaire de prolonger la rétention ;
Vu, enregistré le 15 octobre 1999, le mémoire présenté pour M. Y... ; il tend à l'annulation de l'arrêté de conflit par les motifs que la compétence du juge judiciaire pour prolonger la rétention comporte celle de l'interrompre à tout moment ; que cette interprétation de l'ordonnance du 2 novembre 1945 s'impose compte-tenu des dispositions de l'article 66 de la Constitution et de l'interprétation donnée à l'ordonnance par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 1993 ; que l'ordonnance de prolongation était devenue caduque du fait de la disparition de l'arrêté attaqué sans que le nouvel arrêté soit immédiatement entré en vigueur ; que l'expiration du délai d'appel rendait un appel impossible et que le président du tribunal de grande instance était compétent pour apprécier les conséquences à tirer du fait nouveau que constituait la disparition de l'arrêté de reconduite ;
Vu, enregistré le 27 janvier 2000, le nouveau mémoire présenté par le ministre de l'intérieur ; il tend aux mêmes fins que son précédent mémoire par les motifs que la décision du Conseil constitutionnel, selon laqueLle le juge judiciaire peut "interrompre la prolongation du maintien en rétention", ne peut être considérée comme une réserve d'interprétation ; qu'en effet, le législateur n'a prévu de compétence du juge judiciaire qu'en ce qui concerne la décision de prolonger la rétention ; que le juge constitutionnel n'a pu vouloir étendre le pouvoir donné au juge judiciaire qu'un tel pouvoir ne pourrait exister que si ses modalités procédurales étaient définies par la loi ; qu'au contraire, on ne voit pas comment pourraient coexister une possibilité d'appel de la décision relative à la prolongation de la rétention et une compétence du juge de première instance de mettre fin à la rétention ; que les voies d'appel de cette décision ne sont d'ailleurs pas définies par la loi ; que la possibilité pour le juge judiciaire d'interrompre la rétention doit être limitée au cas de la voie de fait dont les conditions ne sont pas réunies dans la présente instance ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution et notamment son article 66 ;
Vu le code de procédure pénale et notamment son article 136 ;
Vu l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu l'ordonnance du 1er juin 1828 modifiée;
Vu l'ordonnance des 15-21 mars 1831 modifiée ;
Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Moreau, membre du Tribunal,
- les observations de Me Bouthors, avocat de M. Y...,
- les conclusions de M. Sainte-Rose, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par des arrêtés du 17 juillet 1998, le PREFET DE L'HERAULT a décidé la reconduite à la frontière de M. X..., ressortissant de nationalité turque et son placement en rétention provisoire ; que le juge délégué par le président du tribunal de grande instance de Montpellier a ordonné la prolongation de cette mesure de rétention par une ordonnance du 22 juillet 1998 ; que l'appel interjeté contre cette ordonnance a été rejeté par un arrêt de la cour d'appel de Montpellier ; que M. Y... ayant saisi le tribunal administratif d'une demande en annulation de l'arrêté de reconduite à la frontière, le PREFET DE L'HERAULT a retiré cet arrêté et en a pris un nouveau ; que M. Y..., estimant que le nouvel arrêté de reconduite n'est pas entré en vigueur à la même heure que le retrait de l'ancien arrêté de reconduite, a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Montpellier d'une demande de constatation d'une voie de fait ; que, par ordonnance du 22 juillet 1998, le juge des référés a estimé que le maintien en rétention était dépourvu de base légale, et a conclu à l'existence d'une voie de fait ; que le préfet ayant relevé appel et déposé un déclinatoire de compétence, la cour d'appel de Montpellier, par un arrêt du 17 mai 1999, en a prononcé le rejet ; que le PREFET DE L'HERAULT a élevé le conflit ;
Considérant qu'en vertu du II de l'article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, les dispositions de l'article 35 bis de ladite ordonnance peuvent être appliquées dès l'intervention de l'arrêté ordonnant la reconduite à la frontière d'un étranger ; que, sur le fondement de ces dernières dispositions, telles qu'elles ont été modifiées en dernier lieu par la loi du 11 mai 1998, le juge judiciaire a compétence pour décider, pour une durée de cinq jours, la prolongation au-delà d'un délai de quarante-huit heures de la mesure de placement en rétention d'un étranger prise par le préfet ; que, selon le III de l'article 22 bis de l'ordonnance précitée, "Si l'arrêté de reconduite à la frontière est annulé, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues à l'article 35 bis et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que le préfet ait à nouveau statué sur son cas" ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions que l'annulation pour excès de pouvoir d'un arrêté de reconduite à la frontière prononcée par la juridiction administrative implique qu'il soit immédiatement mis fin à l'une ou l'autre des mesures de surveillance prises à l'encontre d'un étranger sur le fondement des dispositions de l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ; que le retrait d'un arrêté de reconduite produit les mêmes effets ; que, dans de telles hypothèses, il est fait obligation au préfet de munir l'intéressé d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce qu'il soit statué à nouveau sur son cas ; qu'en outre, l'autorité judiciaire a compétence en vertu de l'ordonnance du 2 novembre 1945 pour ordonner, s'il y a lieu, qu'il soit mis fin à la mesure de rétention antérieurement décidée par le préfet et dont elle avait décidé la prolongation ;
Considérant qu'en l'espèce le retrait de l'arrêté de reconduite à la frontière pris le 17 juillet 1998 à l'encontre de M. Y..., a eu pour conséquence de priver de base légale la poursuite de son maintien en rétention ; que, par suite, le juge judiciaire était compétent, au titre des dispositions combinées des articles 22 bis et 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, pour se prononcer sur la demande de l'intéressé tendant à ce qu'il soit mis fin à la mesure de rétention ; que, dans ces conditions, et en faisant abstraction de motifs erronés mais surabondants retenus par la cour d'appel de Montpellier pour rejeter le déclinatoire de compétence, c'est à tort que le PREFET DE L'HERAULT a revendiqué pour la juridiction administrative la connaissance du litige soulevé par M. Y... ;
Article 1er : L'arrêté de conflit pris par le PREFET DE L'HERAULT le 28 mai 1999 est annulé.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice qui est chargé d'en assurer l'exécution.