La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/12/1990 | FRANCE | N°CETATEXT000008281928

France | France, Tribunal administratif de Paris, 20 décembre 1990, CETATEXT000008281928


1°) Vu la requête, enregistrée au greffe sous le n° 9001507, les 20 février et 30 mai 1990, présentée par Mme Christiane et M. Rolland B. agissant tant en leur nom qu'au nom de leur fils majeur en tutelle, David et de leur fils mineur, Renaud, et tendant à la condamnation de l'Etat (ministre de la Défense) à leur verser 8.620.000 F au titre de dommages et intérêts en raison des préjudices matériels et moraux, subis tant par eux-mêmes que par leurs enfants à la suite de leur séropositivité consécutive à la contamination dont Mme B., infirmière à l'hôpital militaire A. Par

é de Rennes a été victime en effectuant une prise de sang sur un malad...

1°) Vu la requête, enregistrée au greffe sous le n° 9001507, les 20 février et 30 mai 1990, présentée par Mme Christiane et M. Rolland B. agissant tant en leur nom qu'au nom de leur fils majeur en tutelle, David et de leur fils mineur, Renaud, et tendant à la condamnation de l'Etat (ministre de la Défense) à leur verser 8.620.000 F au titre de dommages et intérêts en raison des préjudices matériels et moraux, subis tant par eux-mêmes que par leurs enfants à la suite de leur séropositivité consécutive à la contamination dont Mme B., infirmière à l'hôpital militaire A. Paré de Rennes a été victime en effectuant une prise de sang sur un malade séropositif, dont la séropositivité n'a été connue qu'ultérieurement ;
2°) Vu l'ordonnance du juge des référés du 4 juillet 1990 renvoyant à la 5ème section du tribunal administratif de Paris le soin de statuer sur la requête enregistrée au greffe les 20 février et 30 mai 1990 par laquelles les époux B. sollicitent la condamnation de l'Etat (ministre de la défense) à leur verser 1.500.000 F à titre de provision ;
Vu l'ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat du 2 mai 1990 désignant le tribunal administratif de Paris pour connaître des requêtes des époux B. ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu la loi n° 86-14 du 6 janvier 1986 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Sur la jonction :
Considérant que les requêtes susvisées de M. et Mme B. présentent à juger les mêmes questions ; qu'il y a, dès lors, lieu de les joindre pour y être statué par un seul jugement ;
Sur la requête n° 9001507 ;
Sur les conclusions de la requête relative à Mme B. ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction et qu'il n'est pas contesté, qu'alors que Mme B., infirmière titulaire du service psychiatrique de l'hôpital des armées , effectuait le 26 novembre 1987, un prélèvement sanguin sur un malade, dont la séropositivité était alors inconnue du service, celui-ci lui a volontairement renversé un tube de son sang sur les mains, qui présentaient des excoriations ; qu'une fois connue la séropositivité de ce malade, Mme B. s'est soumise, le 11 mai 1988, à des tests de dépistage qui ont révélé sa propre séropositivité ; que dans ces conditions, les droits que Mme B. peut faire valoir du fait des préjudices, tant matériels que moral, causés par une maladie contractée en service sont uniquement ceux qui dérivent des dispositions régissant son statut et de la législation sur les pensions ; que si Mme B. fait valoir que le SIDA est une maladie récente, cette circonstance ne peut avoir pour effet de faire disparaître le caractère forfaitaire des réparations de préjudices corporels, matériels et moraux dus à une maladie se rattachant au service ; que, par suite, les conclusions de la requête ne peuvent qu'être rejetées en tant qu'elles concernent Mme Christiane B.. ;

Sur les conclusions de la requête en ce qu'elles concernent M. B. ;
Sur la responsabilité de l'Etat :
Considérant, d'une part, qu'il résulte des principes généraux du droit et, notamment du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère la Constitution du 4 octobre 1958, que les nationaux ont le droit de mener une vie familiale normale ; que les relations sexuelles entre époux sont une manifestation de ce droit ;
Considérant, d'autre part, que le fait pour une infirmière d'être exposée en permanence aux dangers de la contagion comporte pour son mari, lorsque la maladie contagieuse se transmet notamment à l'occasion des relations sexuelles, un risque spécial et anormal, qui lorsqu'il entraîne des dommages graves pour la victime est de nature à engager au profit de celle-ci la responsabilité de la personne publique dont relève son épouse ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction et qu'il n'est pas contesté en défense, que la séropositivité de M. B. trouve son origine dans les relations sexuelles, qu'il a continué à avoir avec son épouse, entre le 26 novembre 1987, date de l'incident ci-dessus rappelé et le mois de mai 1988 au cours duquel les tests de dépistage, auxquels les époux B. s'étaient soumis, le 11 mai 1988, leur ont révélé leur séropositivité ; qu'ainsi l'état de M. B. dont la gravité n'est pas davantage contestée en défense, a contrairement à ce que soutient le ministre de la défense un lien de causalité direct et certain avec la séropositivité contractée en service par son épouse ; que, dès lors, en l'absence de toute faute qui lui soit imputable, M. B. est fondé à rechercher la responsabilité de l'Etat, (ministre de la défense), dont dépend l'hôpital des armées Ambroise Paré de Rennes ;

Sur les préjudices subis par M. B. ;
Considérant, d'une part, que si M. B. invoque le préjudice qui résulterait pour lui de son inaptitude à exercer ses fonctions outre-mer, il résulte de l'instruction qu'il n'a jamais sollicité une telle affectation ; que le préjudice ainsi invoqué n'est dès lors pas établi ;
Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que l'état de santé de M. B. entraîne tant des restrictions de déplacements que des contraintes dans sa vie privée ; qu'il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature dans ses conditions d'existence en lui accordant au titre de ce chef de préjudice la somme de 500.000 F ;
Considérant, enfin, qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral non contesté de M. B. en lui accordant au titre de ce chef de préjudice la somme de 50.000 F ;

Sur les préjudices subis par David et Renaud B.
Considérant que MM. David et Renaud B. n'ont, en raison de la maladie contractée en service par leur mère, d'autres droits à l'encontre de l'Etat que ceux qui découlent de son statut et de la législation sur les pensions, à l'exclusion de toute indemnité pour faute de service public ;
Considérant toutefois que MM. David et Renaud B. sont fondés à demander réparation des préjudices résultant pour eux de la maladie contractée par leur père ;
Considérant qu'il sera fait, en l'espèce, une juste appréciation des troubles de toute nature dans ses conditions d'existence et du préjudice moral subis mar M. David B. incapable majeur, en lui accordant au titre de ces chefs de préjudice la somme de 50.000 F et des troubles de toute nature dans ses conditions d'existence et du préjudice moral subi par M. Renaud B., enfant mineur, en lui accordant au titre de ces chefs de préjudice la somme de 30.000 F ;

Sur la requête n° 9001506 ;
Considérant que par le présent jugement, le tribunal statue au fond sur la requête en indemnités des époux B. ; que par suite il n'y a pas lieu de statuer sur leur requête en référé aux fins d'octroi d'une provision ;
Article 1er - Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête en référé provision des époux B..
Article 2 - l'Etat (Ministère de la Défense) est condamné à payer une somme de 550.000 F à M. B. (Rolland).
Article 3 - L'Etat (Ministère de la Défense) est condamné à payer une somme de 50.000 F à M. B. (Rolland) agissant en qualité de représentant légal de son fils David, majeur sous tutelle.
Article 4 - L'Etat (Ministère de la Défense) est condamné à payer une somme de 30.000 F à M. B. (Rolland) agissant en qualité de représentant légal de son fils mineur Renaud.
Article 5 - Le surplus des conclusions de la requête n° 90.01507 des époux Briand est rejeté.
Article 6 - Le présent jugement sera notifié à M. et Mme B. et au Ministre de la Défense.


Synthèse
Tribunal : Tribunal administratif de Paris
Numéro d'arrêt : CETATEXT000008281928
Date de la décision : 20/12/1990
Sens de l'arrêt : Non-lieu à statuer indemnité
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux référé

Analyses

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - FAITS SUSCEPTIBLES OU NON D'OUVRIR UNE ACTION EN RESPONSABILITE - FONDEMENT DE LA RESPONSABILITE - RESPONSABILITE SANS FAUTE - Risque encouru par l'époux d'un agent public - Contamination de l'époux d'une infirmière par celle-ci - elle-même contaminée par un malade séropositif.

60-01-02-01, 60-02-01-01-005 Les relations sexuelles entre époux constituant une manifestation du droit de mener une vie familiale normale, le fait pour une infirmière d'être exposée en permanence aux dangers de la contagion comporte pour son mari, lorsque la maladie contagieuse se transmet notamment à l'occasion des relations sexuelles, un risque spécial et anormal, qui, lorsqu'il entraîne des dommages graves pour l'époux est de nature à engager à son profit la responsabilité de la collectivité publique qui emploie son épouse. Dès lors, la séropositivité de M. B. trouvant son origine dans les relations sexuelles qu'il a continué d'avoir avec son épouse, infirmière dans un hôpital des armées, qui a elle-même été contaminée par un malade séropositif, lequel lui a volontairement reversé sur une main qui présentait des excoriations, le contenu d'un flacon de son sang, M. B. est fondé à rechercher la responsabilité de l'Etat, pour les troubles que lui ont causés sa propre contamination.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC DE SANTE - ETABLISSEMENTS PUBLICS D'HOSPITALISATION - RESPONSABILITE SANS FAUTE - Responsabilité fondée sur le risque de contagion encouru par les familles du personnel soignant - Contamination par le S - I - D - A - de l'époux d'une infirmière elle-même contaminée par un malade séropositif.


Références :

Constitution du 04 octobre 1958
Préambule Constitution du 27 octobre 1946


Composition du Tribunal
Président : M. Fanachi
Rapporteur ?: M. Fanachi
Rapporteur public ?: Mme Monchambert

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.administratif.paris;arret;1990-12-20;cetatext000008281928 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award