LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 10 juillet 2025
Cassation partielle
Mme MARTINEL, présidente
Arrêt n° 722 F-D
Pourvois n°
F 23-17.278
S 23-17.587 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 JUILLET 2025
I - 1°/ Mme [E] [F], épouse [T],
2°/ M. [P] [T],
tous deux domiciliés [Adresse 8] (Belgique),
3°/ M. [C] [T], domicilié [Adresse 11] (Belgique),
4°/ M. [L] [T], domicilié [Adresse 12] (Belgique),
ces trois derniers agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité d'ayants-droit de Mme [R] [T], née [J],
5°/ M. [N] [T], domicilié [Adresse 5] (Belgique),
6°/ M. [D] [Z], domicilié [Adresse 3] (Belgique),
7°/ Mme [A] [T], domiciliée [Adresse 7] (Belgique),
8°/ Mme [H] [T], domiciliée [Adresse 12] (Belgique),
ces deux dernières agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité d'ayants-droit de Mme [R] [T], née [J],
ont formé le pourvoi n° F 23-17.278 contre un arrêt rendu le 30 mars 2023 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile A), dans le litige les opposant :
1°/ à la Mutuelle [16], institution de prévoyance, dont le siège est [Adresse 9],
2°/ à la société [23], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 13],
3°/ à la société [19], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 22], venant aux droits de la société [24],
4°/ à la société [14], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], représenté par M. [K] [O], pris en qualité de mandataire ad hoc de la société [21],
5°/ à la société [17], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],
6°/ à la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de Rhône Alpes Auvergne, dont le siège est [Adresse 10],
7°/ à la société [15], société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
8°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Ain, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
II - La société [17], société par actions simplifiée, a formé le pourvoi n° S 23-17.587 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [E] [F], épouse [T],
2°/ à M. [P] [T],
3°/ à M. [N] [T],
4°/ à M. [L] [T],
5°/ à M. [C] [T],
6°/ à M. [D] [Z],
7°/ à Mme [A] [T],
8°/ à Mme [H] [T],
9°/ à la Mutuelle [16], institution de prévoyance,
10°/ à la société [23], société par actions simplifiée,
11°/ à la société [19], société par actions simplifiée,
12°/ à la société [14], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, représentée par M. [K] [O], pris en qualité de mandataire ad hoc de société [21],
13°/ à la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de Rhône Alpes Auvergne (Caisse de réassurances mutuelles agricoles),
14°/ à la société [15], prise en qualité d'assureur de la société [23]
[23],
15°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Ain,
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs au pourvoi n° F 23-17.278 invoquent, à l'appui de leur recours, trois moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi n° S 23-17.587 invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Salomon, conseillère, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société [17], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [F], épouse [T], MM. [P], [N], [L], [C] [T], de M. [Z], et de Mmes [A] et [H] [T], de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de Rhône Alpes Auvergne, de la SCP Ortscheidt, avocat de la société [23] et de la société [15], et l'avis de Mme Nicolétis, avocate générale, après débats en l'audience publique du 4 juin 2025 où étaient présentes Mme Martinel, présidente, Mme Salomon, conseillère rapporteure, Mme Isola, conseillère doyenne, et Mme Cathala, greffière de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée de la présidente et conseillères précitées, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° F 23-17.278 et S 23-17.587 sont joints.
Désistement partiel
2. Il est donné acte à Mmes [E] [F], épouse [T], [A] [T] et [H] [T], et à MM. [P] [T], [C] [T], [L] [T], [N] [T], [D] [Z] du désistement de leur pourvoi en tant qu'il est dirigé contre la société [14], prise en sa qualité de mandataire ad hoc de la société [21], la société [19], la société [23] et la société [15].
3. Il est donné acte à la société [17] du désistement de son pourvoi en tant qu'il est dirigé contre la société [14], représentée par M. [K] [O], prise en sa qualité de mandataire ad hoc de la société [21], et la société [19].
Faits et procédure
4. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 30 mars 2023), statuant sur renvoi après cassation (2e Civ., 14 octobre 2021, pourvoi n° 20-10.572), M. [P] [T], chauffeur poids lourd employé par la société [23] (la société [23]), a été victime d'un accident du travail, le 6 décembre 2002, sur le chantier, consistant en l'installation d'une piscine chez un particulier par la société [21]. La société [17], chargée de la maçonnerie, avait passé auprès de la société Entreprises [24] une commande de béton, dont le transport était assuré par la société [23].
5. M. [P] [T] a engagé une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et en réparation devant la juridiction de la sécurité sociale. Un arrêt du 29 juillet 2004 l'a débouté de sa demande tendant à ce que la date de consolidation de son état de santé soit repoussée du 11 octobre 2004 au 8 avril 2011 et a fixé le montant de l'indemnité totale lui revenant.
6. Mmes [E] [F], épouse [T], [A] [T] et [H] [T], et MM. [P] [T], [C] [T], [L] [T], [N] [T], [D] [Z] (les consorts [T]) ont en outre saisi un tribunal de grande instance aux fins de réparation complémentaire de leurs préjudices par les tiers responsables, les sociétés [21], [24] et [17], cette dernière assurée auprès de la société [18] (la société [20]), en application de l'article L. 454-1 du code de sécurité sociale.
7. La société [17] a été déclarée co-responsable avec la société [23], employeur de M. [P] [T], de l'accident du travail dont il a été victime.
Examen des moyens
Sur le moyen, pris en ses deux premières branches, du pourvoi S 23-17.587, formé par la société [17] et sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi F 23.17-278, formé par les consorts [T]
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi F 23-17.278
Enoncé du moyen
9. Les consorts [T] font grief à l'arrêt de dire que la condamnation de la société [20] s'exécutera dans la limite du plafond contractuel de garantie applicable stipulé dans la police d'assurance la liant à la société [17], alors « que le silence opposé à l'affirmation d'un fait ne vaut pas à lui seul reconnaissance de ce fait ; qu'en énonçant, après avoir condamné la société [17] à payer à M. [T] la somme de 6 766 895,97 euros, au titre de son préjudice patrimonial permanent, correspondant à l'assistance viagère d'une tierce personne, qu'il y avait lieu de condamner la société [20] in solidum avec son assurée, mais seulement dans la limite de son plafond de garantie applicable puisque nul ne contestait le principe de l'opposabilité du plafond d'assurance au tiers et à la victime, la cour d'appel de renvoi a violé l'article 1315, devenu l'article 1353 du code civil ».
Réponse de la Cour
Vu l'article 1315, devenu 1353, du code civil :
10. Selon ce texte, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
11. Pour dire que la condamnation de la société [20] s'exécutera dans la limite du plafond contractuel de garantie applicable, stipulé dans la police d'assurance la liant à la société [17], l'arrêt retient que l'assureur ne conteste pas sa garantie, mais soutient qu'elle se trouverait limitée à la somme de 1 850 120 euros, constituant son plafond contractuel, sans produire les conditions générales et particulières de la police d'assurance souscrite par la société [17].
12. Il ajoute que, dans la mesure où nul ne conteste le principe de l'opposabilité du plafond d'assurance au tiers et à la victime, la société [20] sera condamnée in solidum avec son assurée, mais dans la limite de son plafond de garantie applicable.
13. En statuant ainsi, alors que la charge de la preuve du plafond de garantie incombe à l'assureur qui l'invoque, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
14. La cassation du chef de dispositif disant que la condamnation de la société [20] s'exécutera dans la limite du plafond de garantie applicable, stipulé dans la police d'assurance la liant à la société [17], n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société [20] et la société [17] in solidum aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la condamnation de la société [18] s'exécutera dans la limite du plafond de garantie applicable, stipulé dans la police d'assurance la liant à la société [17], l'arrêt rendu le 30 mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée ;
Condamne la société caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de Rhône Alpes Auvergne aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de Rhône Alpes Auvergne et la condamne à payer la somme globale de 3 000 euros à Mmes [E] [F], épouse [T], [A] [T] et [H] [T], et MM. [P] [T], [C] [T], [L] [T], [N] [T], [D] [Z] et la somme de 3 000 euros à la société [17] ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le dix juillet deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.