LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
IJ
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 9 juillet 2025
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, présidente
Arrêt n° 506 F-D
Pourvoi n° P 23-22.851
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUILLET 2025
M. [I] [D], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 23-22.851 contre l'arrêt rendu le 14 septembre 0023 par la cour d'appel de Limoges (chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Banque populaire Auvergne Rhône Alpes, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à la Société générale, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits et obligations de la banque [C],
3°/ au Trésor public, service des impôts des particuliers de [Localité 5], dont le siège est [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Peyregne-Wable, conseillère, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de M. [D], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Société générale, après débats en l'audience publique du 27 mai 2025 où étaient présentes Mme Champalaune, présidente, Mme Peyregne-Wable, conseillère rapporteure, Mme Guihal, conseillère doyenne, et Mme Vignes, greffière de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée de la présidente et conseillères précitées, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Limoges, 14 septembre 2023), par acte notarié du 29 août 2016, la banque Populaire du Massif Central, aux droits de laquelle se trouve la banque Populaire Auvergne Rhône Alpes (la banque), a consenti à M. [D] (l'emprunteur) un prêt immobilier d'un certain montant, remboursable par mensualités.
2. Le 22 juillet 2021, après vaine mise en demeure de régulariser sa situation dans un délai maximal de huit jours puis déchéance du terme, la banque a délivré à l'emprunteur un commandement de payer valant saisie immobilière pour avoir paiement d'une certaine somme.
3. Le 5 novembre 2021, la banque a assigné l'emprunteur à l'effet de voir ordonner la vente forcée des biens immobiliers, objet du commandement, et dénoncé la procédure au Trésor public et à la banque [C], en leur qualité de créanciers inscrits.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de dire qu'en raison de sa défaillance, la banque était en droit de se prévaloir de la déchéance du terme du prêt immobilier, laquelle avait entraîné l'exigibilité immédiate de l'intégralité des sommes restant dues au titre du prêt, de dire que la délivrance du commandement de payer du 22 juillet 2021 pour un montant de 116 747,76 euros portait bien sur une créance de prêt devenue intégralement exigible, de valider ce commandement de payer, de lui déclarer opposable et de juger régulière la procédure de saisie immobilière, alors « qu'est abusive toute clause créant, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat conclu par celui-ci avec un professionnel ; qu'il en va ainsi de la stipulation d'un contrat de prêt conclu par un consommateur avec un prêteur professionnel prévoyant, en cas de défaut de paiement de tout ou partie d'une échéance, la déchéance du terme huit jours après mise en demeure infructueuse d'avoir à régulariser sa situation, en ce que cette clause ne distingue pas selon la gravité de l'inexécution du consommateur et ne lui offre pas un délai raisonnable pour régulariser sa situation, ni la possibilité de procéder à une telle régularisation postérieurement à l'expiration de ce bref délai ; qu'en jugeant pourtant qu'une telle clause, contenue dans le prêt souscrit par l'emprunteur n'était pas abusive dès lors que la délivrance d'une mise en demeure préalable à l'acquisition de la déchéance du terme représente une protection suffisante de l'emprunteur défaillant pour le cas où, comme en l'espèce, il bénéficie d'un délai de 8 jours qui constitue un préavis d'un délai raisonnable, pour régulariser la situation, pour en déduire que la déchéance du terme était dépourvue de caractère abusif et parfaitement régulière, ce dont il résultait que cette clause de déchéance du terme, ne distinguant pas selon l'ampleur des manquements de l'emprunteur et prévoyant un délai insuffisant de huit jours sans possibilité de régularisation, créait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur, de sorte qu'elle devait être déclarée abusive, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant ainsi l'article L. 212-1 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 212-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
5. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
6. Par arrêt du 26 janvier 2017 (C-421/14), la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que l'article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 devait être interprété en ce sens que s'agissant de l'appréciation par une juridiction nationale de l'éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il incombait à cette juridiction d'examiner si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépendait de l'inexécution par le consommateur d'une obligation qui présentait un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté était prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêtait un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté dérogeait aux règles de droit commun applicables en la matière en l'absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national prévoyait des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l'application d'une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt.
7. Par arrêt du 8 décembre 2022 (C-600/21), elle a dit pour droit que l'arrêt précité devait être interprété en ce sens que les critères qu'il dégageait pour l'appréciation du caractère abusif d'une clause contractuelle, notamment du déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat que cette clause créait au détriment du consommateur, ne pouvaient être compris ni comme étant cumulatifs ni comme étant alternatifs, mais devaient être compris comme faisant partie de l'ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné, que le juge national devait examiner afin d'apprécier le caractère abusif d'une clause contractuelle.
8. Pour exclure le caractère abusif de la clause stipulant la résiliation de plein droit du contrat de prêt, huit jours après une simple mise en demeure adressée à l'emprunteur restée sans effet, l'arrêt retient que la délivrance d'une mise en demeure préalable à l'acquisition de la déchéance du terme représente une protection suffisante de l'emprunteur défaillant pour le cas où, comme en l'espèce, il bénéficie d'un délai de huit jours qui constitue un préavis d'une durée raisonnable, pour régulariser sa situation.
9. En statuant ainsi, alors que la clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d'une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
10. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de dire que la créance revendiquée par la Société générale venant aux droits et obligations de la banque [C] à l'encontre de l'emprunteur sera retenue pour la somme de 74 931,14 euros selon le décompte arrêté au 24 mai 2022, alors « qu'en se bornant à relever que la société banque [C] avait régulièrement déclaré sa créance pour un montant de 74 931,14 euros le 2 juin 2022 sans qu'une telle déclaration et sa dénonciation aient, alors, suscité la moindre contestation, sans répondre au moyen tiré de ce que le 8 novembre 2022, soit cinq mois après cette déclaration, la banque avait conclu avec l'emprunteur un protocole d'accord transactionnel, en cours d'exécution et portant réduction de sa créance à la somme de 48 167,37 euros, moyen reposant sur le protocole d'accord produit par M. [I] [D] au soutien de ses conclusions, la cour d'appel a privé sa décision de motifs et violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
11. La Société générale conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que l'emprunteur n'a pas sollicité devant la cour d'appel le rejet ou l'actualisation de la demande de la Société générale tendant à voir admettre provisoirement sa créance à la somme de 74 931 euros.
12. Cependant, le moyen se trouvait inclus dans le débat.
13. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
14. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Un défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
15. Pour dire que la créance revendiquée par la Société générale venant aux droits de la banque [C] contre l'emprunteur sera retenue pour la somme de 74 931,14 euros selon décompte arrêté au 24 mai 2022, l'arrêt retient que le 2 juin 2022, la banque [C] a régulièrement déclaré au greffe du juge de l'exécution la créance revendiquée pour ce montant selon décompte arrêté provisoirement au 24 mai 2022 et que la dénonciation de cette déclaration de créance n'a suscité aucune contestation.
16. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de l'emprunteur qui faisait valoir que l'arriéré n'était pas de 74 931 euros mais de 48 167,37 euros au moment de la signature le 8 novembre 2022 de la transaction intervenue avec la banque [C], la cour d'appel, qui n'a pas examiné le moyen pris de la réduction du montant de la créance, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
17. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt disant que la banque était en droit de se prévaloir de la déchéance du terme du prêt immobilier consenti à l'emprunteur, disant que lors de la délivrance du commandement de payer valant saisie du 22 juillet 2021, la banque était titulaire à l'égard de l'emprunteur d'une créance de prêt devenue intégralement exigible après intervention d'une déchéance du terme dépourvue de tout caractère abusif et parfaitement régulière, validant le commandement de payer, le déclarant opposable à l'emprunteur à concurrence de la somme de 116 747,76 euros, jugeant régulière la procédure de saisie immobilière diligentée par la banque à l'encontre de l'emprunteur, et disant que la créance revendiquée par la Société générale venant aux droits et obligations de la banque [C] à l'encontre de l'emprunteur, sera retenue pour la somme de 74 931,14 euros selon décompte arrêté au 24 mai 2022, entraîne la cassation des autres chefs de dispositif, sauf celui déclarant recevable l'appel interjeté par la banque et l'appel incident formé par l'emprunteur, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable l'appel interjeté par la banque Populaire Auvergne Rhône Alpes et l'appel incident formé par M [D], l'arrêt rendu le 14 septembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Riom ;
Condamne la banque Populaire Auvergne Rhône Alpes et la Société générale in solidum aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Société générale et condamne la banque Populaire Auvergne Rhône Alpes et la Société générale in solidum à payer à M. [D] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le neuf juillet deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.