COMM.
MB
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 18 juin 2025
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 336 F-D
Pourvoi n° N 24-14.781
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 JUIN 2025
La société Le Sésame, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 2], a formé le pourvoi n° N 24-14.781 contre l'ordonnance rendue le 18 avril 2024 par la cour d'appel de Nancy (Première présidence), dans le litige l'opposant à la directrice générale des finances publiques, représentée par l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction nationale d'enquêtes fiscales, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 4], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Alt, conseiller, les observations de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de la société Le Sésame, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la directrice générale des finances publiques, représentée par l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction nationale d'enquêtes fiscales, après débats en l'audience publique du 6 mai 2025 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Alt, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et M. Doyen, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Nancy, 18 avril 2024), un juge des libertés et de la détention (JLD) a, sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, autorisé des agents de l'administration fiscale à effectuer des opérations de visite et saisies dans divers locaux situés à [Localité 5], susceptibles d'être occupés par la société Cocirel, en vue de rechercher la preuve de fraudes commises par la société Le Sésame.
2. Les opérations de visite et saisies se sont déroulées le 19 septembre 2023.
3. La société Le Sésame a relevé appel de l'ordonnance d'autorisation.
Examen des moyens
Sur les premier et quatrième moyens
4.En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
5. La société Le Sésame fait grief à l'ordonnance de rejeter sa demande tendant à voir annuler l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du 18 septembre 2023, alors :
« 1°/ que le responsable du traitement de données personnelles recueillies auprès d'un tiers fournit à la personne concernée par ce traitement des informations sur ce traitement sauf lorsque cela est susceptible de rendre impossible ou de compromettre gravement la réalisation des objectifs dudit traitement ; qu'en pareils cas, le responsable du traitement prend des mesures appropriées pour protéger les droits et libertés ainsi que les intérêts légitimes de la personne concernée ; que le juge des libertés et de la détention saisi sur requête aux fins de visites et saisies domiciliaires doit vérifier si le responsable du traitement est tenu de fournir aux personnes concernées par ce traitement les informations sur ce traitement ou si sont réunies les conditions des exceptions ou limitations à cette obligation d'information ; que, par motifs adoptés, l'ordonnance se borne à énoncer que les pièces présentées à l'appui de l'administration fiscale ont une origine apparemment licite et qu'elles peuvent être utilisées ; que, par motifs propres, l'ordonnance, après avoir constaté qu'une partie des documents produits par l'administration fiscale au JLD provient de données collectées issues de bases de données ou de sites d'accès public professionnels, sans en informer les personnes physiques concernées" retient qu' il apparaît que cette information, d'une part, risque d'entraîner une disparition des informations issues de bases de données ou de sites d'accès public, mises à disposition par les sociétés et/ou personnes physiques concernées directement ou indirectement par le contrôle fiscal le temps des investigations fiscales et/ou une réorganisation de la société et, d'autre part, ne s'impose pas à l'administration fiscale aux termes des dispositions modifiées de l'article 48 précité, s'agissant d'un soupçon de fraude fiscale à l'égard de la SARL LE SÉSAME du fait d'une contradiction entre des documents soumis à son appréciation par la société elle-même" ; qu'en se fondant sur ces motifs, impropres à établir que le responsable du traitement avait pris des mesures appropriées pour protéger les droits et libertés ainsi que les intérêts légitimes des personnes concernées par le traitement, condition à défaut de laquelle l'administration ne pouvait se dispenser d'informer les personnes concernées et partant, de produire des traitements de données illégalement recueillies, le premier président de la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, ensemble l'article 14 du Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ;
2°/ que le droit à l'information de la personne concernée par un traitement de données à caractère personnel ne s'applique pas au traitement mis en oeuvre par les administrations publiques qui ont pour mission soit de contrôler ou de recouvrer des impositions soit d'effectuer des contrôles de l'activité de personnes physiques ou morales pouvant donner lieu à la constatation d'une infraction ou d'un manquement, à des amendes administratives ou à des pénalités, à la condition qu'une telle limitation soit nécessaire au respect des fins poursuivies par ce traitement et à la condition que cette limitation soit prévue par l'acte instaurant le traitement ; que, par motifs propres, l'ordonnance, après avoir constaté qu'une partie des documents produits par l'administration fiscale au JLD provient de données collectées issues de bases de données ou de sites d'accès public professionnels, sans en informer les personnes physiques concernées" retient qu' il apparaît que cette information, d'une part, risque d'entraîner une disparition des informations issues de bases de données ou de sites d'accès public, mises à disposition par les sociétés et/ou personnes physiques concernées directement ou indirectement par le contrôle fiscal, le temps des investigations fiscales et/ou une réorganisation de la société et, d'autre part, ne s'impose pas à l'administration fiscale aux termes des dispositions modifiées de l'article 48 précité, s'agissant d'un soupçon de fraude fiscale à l'égard de la SARL LE SÉSAME du fait d'une contradiction entre des documents soumis à son appréciation par la société elle-même" ; qu'en se fondant sur ces motifs insusceptibles d'établir que les actes instaurant les traitements de données effectués par l'administration fiscale prévoyaient en leur sein la limitation du droit d'informer les personnes concernées par ces traitements, le premier président de la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, ensemble l'article 48 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, et l'article 23 du Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ;
3°/ que l'ordonnance constate qu'une partie des documents produits par l'administration fiscale provient de données collectées issues de bases de données ou de sites d'accès public professionnels sans que les personnes physiques concernées par ces données aient été informées de cette collecte ; qu'en se fondant sur le motif tenant à ce que le soupçon de fraude fiscale à l'égard de la société Le Sésame était né d'une contradiction entre des documents soumis à l'appréciation de l'administration fiscale par la société elle-même, inopérant à justifier la légalité du traitement de données effectué par l'administration fiscale à partir de bases de données, le premier président de la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, ensemble l'article 48 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, et les articles 14 et 23 du Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ;
4°/ que l'ordonnance constate qu'une partie des documents produits par l'administration fiscale provient de données collectées issues de bases de données ou de sites d'accès public professionnels sans que les personnes physiques concernées par ces données aient été informées de cette collecte et retient que l'information aux personnes concernées risque d'entraîner une disparition par les sociétés et/ou personnes physiques concernées directement ou indirectement par le contrôle fiscal, le temps des investigations fiscales et/ou une réorganisation de la société, et que le soupçon de fraude fiscale est né d'une contradiction entre des documents soumis par la société Le Sésame ; qu'en jugeant que l'administration fiscale n'était soumise à une obligation d'information préalablement à ses investigations à l'égard d'aucune des personnes concernées par le traitement de données, sans rechercher si l'administration fiscale pouvait informer sans risque les personnes physiques concernées par le traitement de données n'étant pas concernées par le contrôle fiscal, ni directement, ni indirectement, ni liées à la société Le Sésame, le premier président de la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, ensemble l'article 48 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, et les articles 14 et 23 du Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données. »
Réponse de la Cour
6. L'insuffisance de l'information prévue à l'article 14 du RGPD fournie par le responsable du traitement des données personnelles à la personne concernée, laquelle n'affecte pas la régularité de la détention par l'administration fiscale des données issues de ce traitement, est sans incidence sur la licéité des éléments de preuve présentés au soutien d'une requête fondée sur l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales.
7. Le moyen est donc inopérant.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
8. La société Le Sésame fait le même grief à l'ordonnance, alors :
« 1°/ qu'il incombe au premier président saisi d'une contestation sur la licéité de pièces produites par l'administration au soutien de sa requête de contrôler la licéité de ces pièces ; que s'il entend confirmer l'ordonnance déférée, il ne peut le faire qu'après avoir expressément constaté que le juge des libertés et de la détention avait pu caractériser la présomption de fraude sur le fondement exclusif des pièces dont il avait préalablement constaté la licéité ; que l'ordonnance retient que le soupçon de fraude existait du fait d'une contradiction entre les documents soumis par la société Le Sésame elle-même à l'appréciation de l'administration fiscale ; qu'en statuant ainsi, sans avoir préalablement recherché si le soupçon de fraude émis par l'administration fiscale avait été jugé établi par le juge des libertés et de la détention sur le fondement exclusif des pièces produites par la société elle-même dont il n'était pas soutenu qu'elles étaient illicites, le premier président a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales ;
2°/ qu'à considérer que le premier président a estimé que le juge des libertés et de la détention avait justifié sa décision sur le seul fondement des pièces dont la licéité n'était pas contestée, à savoir les documents fournis par la société, quand l'ordonnance du juge des libertés et de la détention s'appuyait sur l'ensemble des pièces visées des pages 2 à 4, et dont elle estimait qu'elles étaient apparemment licites" et parmi lesquelles figuraient des pièces dont la licéité était contestée, le premier président a dénaturé l'ordonnance qui lui était déférée en méconnaissance de l'article 4 du code de procédure civile ».
Réponse de la Cour
9. En application des articles L. 16 B du livre des procédures fiscales et 561 du code de procédure civile, le premier président saisi d'un appel contre une ordonnance ayant autorisé des visites et saisies doit, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, rechercher et caractériser lui-même les éléments laissant présumer l'existence d'une fraude de nature à justifier la requête de l'administration.
10. L'ordonnance du premier président relève que l'administration fiscale fait état de documents papier contradictoires soumis à son appréciation, d'un grand nombre de tickets d'annulation de recettes d'un taux de paiement en espèces inférieur à la moyenne des entreprises exerçant une activité de restauration traditionnelle, de remboursements de frais importants au gérant majoritaire de la société Le Sésame, concernant des voyages à Dubaï et au Maroc et l'achat d'une montre par la société pour un montant de 30 940 euros HT auprès d'un bijoutier luxembourgeois, sans que cet achat ne figure dans les écritures comptables de la société.
11. Ayant ainsi recherché et caractérisé les éléments à partir desquels il a souverainement apprécié l'existence d'une présomption de fraude, le premier président a, par des motifs exempts de dénaturation, légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Le Sésame aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Le Sésame et la condamne à payer à la directrice générale des finances publiques, représentée par l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction nationale d'enquêtes fiscales, la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le dix-huit juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.