SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 18 juin 2025
Rejet
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 669 FS-B
Pourvois n°
R 23-19.748 à W 23-19.753 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 JUIN 2025
1°/ M. [H] [E], domicilié [Adresse 5],
2°/ M. [A] [B] [S], domicilié [Adresse 4],
3°/ M. [O] [R], domicilié [Adresse 6],
4°/ M. [G] [W], domicilié [Adresse 3],
5°/ M. [T] [X], domicilié [Adresse 1],
6°/ M. [Z] [P], domicilié [Adresse 2],
ont formé respectivement les pourvois n° R 23-19.748, S 23-19.749, T 23-19.750, U 23-19.751, V 23-19.752 et W 23-19.753 contre six arrêts rendus le 18 février 2022 par la cour d'appel de Toulouse (4e chambre, section 1, chambre sociale), dans les litiges les opposant à la société Intel Corporation, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7], défenderesse à la cassation.
La société Intel Corporation a formé des pourvois incidents éventuels contre les mêmes arrêts.
Les demandeurs aux pourvois principaux invoquent, à l'appui de leurs recours trois moyens communs de cassation.
La demanderesse aux pourvois incidents éventuels invoque, à l'appui de ses recours, un moyen commun de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de M. [E] et des cinq autres salariés, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Intel Corporation, et l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 mai 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Prieur, conseiller référendaire rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, MM. Barincou, Seguy, Mmes Douxami, Panetta, Brinet, conseillers, M. Carillon, Mme Maitral, M. Redon, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° R 23-19.748 à W 23-19.753 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Toulouse, 18 février 2022), M. [E] et cinq autres salariés ont été engagés par la société Intel Corporation (la société), filiale française du groupe Intel, et affectés à l'activité de recherche et développement des logiciels embarqués sur le site de [Localité 8].
3. Le groupe Intel a procédé, courant 2016, à une réorganisation de ses activités au niveau mondial, incluant la fermeture de plusieurs sites en France. Compte tenu des suppressions d'emplois envisagées, un plan de sauvegarde de l'emploi a été mis en oeuvre au sein de la société, lequel a été homologué le 20 avril 2017 par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi.
4. Le 1er juillet 2017, l'activité de recherche et développement des logiciels embarqués, exploitée par la société, a été reprise par la société Newco, créée pour cette opération puis devenue la société Renault Software Labs, appartenant au groupe Renault, à laquelle les contrats de travail des salariés ont été transférés.
5. Considérant notamment que des actions Restricted Stocks Units (RSU) leur étaient dues, les salariés ont saisi la juridiction prud'homale pour obtenir la condamnation de la société à leur payer diverses sommes.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen des pourvois principaux
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen des pourvois principaux
Enoncé du moyen
7. Les salariés font grief aux arrêts de les débouter de leurs demandes de dommages-intérêts en réparation de la perte de chance d'avoir pu acquérir les actions RSU attribuées jusqu'en 2016 et en réparation du préjudice moral subi, alors :
« 1°/ que la condition est réputée accomplie lorsque c'est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l'accomplissement ; que, pour débouter les salariés de leurs demandes, la cour d'appel a retenu, d'une part, que ''le plan d'attribution annuel des RSU prévoit expressément : « si votre emploi auprès de la société s'achève, pour quelque raison que ce soit (y compris en cas de cessation d'activité, volontairement ou involontairement, sauf en cas de décès, de handicap (défini ci-après) ou de retraite (définie ci-après), tous les RSU qui n'ont pas été acquises seront annulées à la date de la fin de contrat »'', d'autre part, que ''la société Intel Corp démontre en outre, par le mail d'attribution comportant les conditions liées à l'acceptation, que la salariée a été informée individuellement de ce que les actions gratuites non définitivement acquises étaient annulées en cas de départ de l'entreprise'' ; qu'estimant ainsi que ''la clause de présence dans l'entreprise introduite dans le plan d'attribution des actions gratuites est donc opposable à la salariée'', elle a considéré qu'elle ''n'a pas un caractère léonin à l'égard de la salariée puisque la cause de départ de l'entreprise, non déterminée à l'avance, peut être imputable au salarié, ou à l'employeur, ou étrangère à chacun d'eux'' et que, ''pour valider définitivement les actions gratuites attribuées, [elle] doit trouver application'', de sorte que les salariés ne sont ''pas fondés à invoquer la perte d'actions gratuites non définitivement acquises à la date [du] départ de l'entreprise'' ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il ressortait de ses propres constatations de fait que les salariés avaient été privés de l'acquisition définitive des actions RSU pour l'année 2016 par le transfert de leur contrat de travail, en application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, à la société Newco (Renault), ce dont il résultait que l'employeur ayant empêché l'accomplissement de la condition suspensive prévue par le plan d'attribution des actions gratuites, elle était réputée accomplie, la cour d'appel a violé l'article 1178 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
2°/ que, si l'ouverture d'un droit afférent à une période travaillée peut être soumis à une condition de présence à la date de son échéance, le droit à rémunération, qui est acquis lorsque cette période a été intégralement travaillée, ne peut pas être soumis à une condition de présence à la date, postérieure, de son versement ; qu'en statuant comme elle l'a fait, cependant que le plan d'attribution annuel des RSU ne pouvait conditionner l'acquisition définitive des RSU à la présence des salariés plusieurs mois après la fin de l'année au titre de laquelle ils en étaient attributaires, la cour d'appel a violé l'article 1134, devenu les articles 1101 à 1103, du code civil ;
3°/ que si le plan d'attribution annuel des RSU pouvait conditionner l'acquisition définitive des RSU à la présence des salariés plusieurs mois après la fin de l'année au titre de laquelle ils en étaient attributaires, ceux-ci n'en avait pas moins droit à l'allocation de dommages et intérêts compensant l'absence d'acquisition définitive des RSU dès lors qu'ils en avaient été privés par le transfert de leur contrat de travail, en application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, à la société Newco (Renault), donc par le fait de l'employeur, la cour d'appel a violé l'article 1134, devenu les articles 1101 à 1103, du code civil ;
4°/ que tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; qu'en retenant, à supposer adoptés les motifs des premiers juges, qu' ''l'issue des débats et au vu des pièces fournies que le demandeur n'établit pas avoir refusé la prime de bienvenue versée par la société Renault Software Labs, prime compensant notamment la perte des RSU'', sans viser ou analyser, même sommairement, le ou les éléments de preuve lui permettant d'établir que la prime de bienvenue versée par la société Renault aurait effectivement été destinée à compenser la perte des actions RSU, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
8. D'abord, selon l'article L. 225-197-1 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 en vigueur du 8 août 2015 au 24 mai 2019, applicable au litige, l'attribution d'actions gratuites aux salariés et mandataires sociaux des sociétés par actions, intervient dans le cadre d'un plan qui doit définir, d'une part, une période d'acquisition des droits, d'une durée d'un an au minimum, au terme de laquelle le bénéficiaire devient propriétaire des actions, d'autre part, une période de conservation, d'une durée minimum de deux ans en principe, pendant laquelle le bénéficiaire ne peut pas vendre les actions, même s'il en est propriétaire.
9. Il résulte de ces dispositions, d'une part, que le bénéficiaire n'acquiert définitivement les actions attribuées qu'à l'issue d'une période d'acquisition et sous réserve de remplir les conditions librement fixées par le plan d'attribution d'actions gratuites, d'autre part, que la distribution d'actions gratuite aux salariés, qui a pour objet de les fidéliser ou de leur permettre de se constituer un portefeuille de valeurs mobilières, ne constitue pas la contrepartie d'un travail et n'a donc pas la nature juridique d'un élément de rémunération.
10. Ensuite, aux termes de l'article L. 1224-1 du code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.
11. Il en résulte que le salarié qui n'a pu, du fait du transfert légal de son contrat de travail intervenu avant le terme de la période d'acquisition, se voir attribuer de manière définitive des actions gratuites, ne peut revendiquer aucune indemnisation pour la perte de chance d'avoir pu les acquérir, sauf à démontrer une fraude de l'employeur dans le recours à l'article L. 1224-1 du code du travail.
12. La cour d'appel a d'abord relevé que, le 1er juillet 2017, la société Newco, devenue Renault Software Labs, avait repris l'activité « recherche et développement des logiciels embarqués » exploitée par les sociétés Intel Mobile Communications France et Intel Corporation, date à compter de laquelle les contrats de travail des salariés affectés à cette activité s'étaient poursuivis avec le repreneur.
13. Elle a ensuite constaté que le plan annuel d'attribution des actions RSU de la société mère aux Etats-Unis, juridiquement distincte de l'employeur, s'agissant non pas d'une partie de la rémunération mais d'un avantage distinct, prévoyait expressément : « si votre emploi auprès de la société s'achève, pour quelque raison que ce soit (y compris en cas de cessation d'activité, volontairement ou involontairement, sauf en cas de décès, de handicap (défini ci-après) ou de retraite (définie ci-après), tous les RSU qui n'ont pas été acquises seront annulées à la date de la fin de contrat ».
14. Elle a encore relevé que les salariés avaient été informés individuellement de ce que les actions gratuites non définitivement acquises étaient annulées en cas de départ de l'entreprise.
15. De ces constatations et énonciations, dont il ressortait que l'emploi des intéressés auprès de la société s'était achevé en raison du transfert de plein droit de leur contrat de travail au nouvel employeur, la cour d'appel a exactement déduit qu'ils ne pouvaient revendiquer aucune indemnisation d'une perte de chance du fait de l'impossibilité d'acquérir les actions RSU attribuées jusqu'en 2016.
16. Le moyen, qui en sa quatrième branche est inopérant comme s'attaquant à des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.
Sur le deuxième moyen des pourvois principaux
Enoncé du moyen
17. Les salariés font grief aux arrêts de les débouter de leurs demandes de dommages-intérêts en réparation de la perte de chance d'avoir pu bénéficier des actions RSU non attribuées à tort en 2017 et en réparation du préjudice moral subi, alors « que les actions gratuites attribuées au salarié régulièrement constituent un élément de salaire dont le versement est obligatoire ; que, pour débouter les salariés de leurs demandes au titre des actions RSU non attribuées à tort en 2017, la cour d'appel a retenu que, ''s'agissant de la réclamation portant sur le défaut d'attribution de RSU en 2017, année au cours de laquelle le salarié a quitté l'entreprise, celui-ci n'établit pas que la distribution de RSU de la société mère Intel Corporation lui a été formellement et contractuellement attribuée et soumise à son acceptation'' et que, ''dès lors, il n'est pas fondée à invoquer la perte d'actions gratuites non attribuées'' ; qu'en s'abstenant de rechercher si le caractère obligatoire de l'attribution d'actions gratuites en 2017, au titre de la performance des salariés au cours de l'année 2016, ne résultait pas de la constance et de la régularité de cette attribution aux salariés exposants au cours des années précédant le transfert de leur contrat de travail, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134, devenu 1101, du code civil, ensemble l'article L. 1221-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
18. Ayant, d'abord, constaté que les actions gratuites de la société mère juridiquement distincte de l'employeur ne constituaient pas une partie de la rémunération mais un avantage distinct, de sorte qu'elles n'avaient pas la nature d'un salaire et, ensuite, retenu que, pour l'année 2017 au cours de laquelle ils avaient quitté l'entreprise, les salariés n'établissaient pas que la distribution de RSU de la société mère Intel Corporation leur avait été contractuellement attribuée et soumise à leur acceptation, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a légalement justifié ses décisions.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les pourvois incidents qui ne sont qu'éventuels, la Cour :
REJETTE les pourvois principaux ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le dix-huit juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.