LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 18 juin 2025
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 446 F-D
Pourvoi n° V 23-23.018
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 18 JUIN 2025
La société MXM, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5], a formé le pourvoi n° V 23-23.018 contre l'arrêt rendu le 24 novembre 2023 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-1), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [X] [T], domicilié [Adresse 6],
2°/ à M. [I] [J], domicilié [Adresse 2],
3°/ à M. [W] [S], domicilié [Adresse 8],
4°/ à M. [E] [M], domicilié [Adresse 4],
5°/ à M. [U] [H], domicilié [Adresse 7],
6°/ à M. [K] [A], domicilié [Adresse 3],
7°/ à M. [L] [Y], domicilié [Adresse 1] (États-Unis),
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Corneloup, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la société MXM, de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de MM. [M], [H] et [A], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de MM. [T], [J] et [S], après débats en l'audience publique du 6 mai 2025 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Corneloup, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 24 novembre 2023), plusieurs décisions rendues par les juridictions de l'État du Colorado (États-Unis) ont condamné solidairement la société américaine Otologics et son dirigeant, M. [G], ainsi que MM. [T], [Y], [J], [M], [H], [S] et [A] (les anciens salariés), anciens salariés de la société Neurelec, à payer à celle-ci diverses sommes.
2. Le 25 février 2015, la société MXM et sa filiale Neurelec ont conclu un accord de règlement global avec la société Otologics et M. [G], prévoyant le versement de certaines sommes par ces derniers au profit des deux premières. L'accord, agréé par le tribunal des faillites du Colorado, a été exécuté.
3. Le 2 décembre 2015, la société Neurelec a cédé à la société MXM la créance dont elle était titulaire à l'encontre de ses anciens salariés, de M. [G] et de la société Otologics.
4. La société MXM a assigné les anciens salariés, M. [G] et la société Otologics en exequatur des décisions rendues, les 17 janvier 2012, 4 avril 2012 et 17 juillet 2012, par la cour de district de Denver, le 31 octobre 2013, par la cour d'appel du Colorado, et le 2 septembre 2014, par la cour suprême du Colorado (Etats-Unis d'Amérique), au bénéfice de la société Neurelec.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
5. La société MXM fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action en exequatur du jugement de la cour de district de Denver (Colorado, Etats-Unis) du 17 janvier 2012 et son annexe « Formulaire du verdict du jury » du 23 février 2011, du jugement de la cour de district de Denver (Colorado, Etats-Unis) du 4 avril 2012, du jugement de la cour de district de Denver (Colorado, Etats-Unis) du 17 juillet 2012 (mémoire vérifié des frais), de l'arrêt de la cour d'appel du Colorado du 31 octobre 2013 (avis du juge Richman) et de l'arrêt de la cour suprême du Colorado du 2 septembre 2014, alors :
« 1°/ qu'il incombe au juge français, saisi d'une demande d'application d'un droit étranger, de rechercher la loi compétente, selon la règle de conflit ; qu'en tranchant néanmoins directement en application du droit matériel français, sans mise en oeuvre préalable d'une règle de conflit, la question de l'extinction de la créance de la société MXM à l'encontre des défendeurs à la procédure d'exequatur des jugements américains, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que la société MXM demandait l'application à cette question du droit américain désigné par la clause de choix de loi prévue par le « Global Settlement Agreement » conformément au règlement Rome I (du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, n° 593/2008), la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil ;
2/ qu'il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger, d'en rechercher, soit d'office, soit à la demande d'une partie qui l'invoque, la teneur, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de préciser les dispositions du droit étranger sur lesquelles il se fonde ; qu'en se bornant néanmoins à retenir, pour présenter le droit américain qu'elle semblait reconnaître comme applicable, qu'une des décisions américaines dont il était demandé l'exequatur « indiqu[ait] très clairement ce que signifi[ait] [la] notion de solidarité en droit américain [et qu'il] s'en déduis[ait] qu'il s'agi[ssait] d'une notion tout à fait similaire à la notion française de solidarité », la cour d'appel, qui n'a ainsi fait apparaître, ni les dispositions du droit étranger sur lesquelles elle se fondait, ni la teneur dudit droit étranger, n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle et a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 du code civil. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
6. MM. [T], [J] et [S] contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent que l'action en exequatur ne pouvait qu'être rejetée en cas d'examen au fond, de sorte que la société MXM n'a pas d'intérêt à la cassation du chef de l'arrêt l'ayant déclarée irrecevable. Ils considèrent que la demande d'exequatur se heurte à la compétence exclusive des juridictions prud'homales françaises, compte tenu de l'existence d'un lien direct et étroit entre les demandes portées par la société Neurelec devant les juridictions américaines et les contrats de travail.
7. Cependant, en sa qualité de cessionnaire de la créance de la société Neurelec, la société MXM possède un intérêt à contester la déclaration d'irrecevabilité de l'action en exequatur, qui lui fait grief, dès lors que, d'une part, l'exécution de l'accord de règlement global par la société Otologics et M. [G] ne lui a pas permis d'obtenir le paiement intégral de la créance fondée sur les décisions américaines dont l'exécution est demandée et, d'autre part, il ne résulte pas des motifs de l'arrêt que, eût-elle déclaré l'action recevable, la cour d'appel l'aurait rejetée comme non fondée. En particulier, les constatations de l'arrêt ne suffisent pas à établir que l'exequatur se heurterait à une compétence exclusive des juridictions françaises.
8. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 3 du code civil, l'article 10, § 1, de la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, l'article 12, § 1, du règlement n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 (« règlement Rome I »), et l'article 15, h), du règlement n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 (« règlement Rome II ») :
5. Il résulte du premier de ces textes que, pour les droits dont les parties ont la libre disposition, il incombe au juge, devant qui l'application d'une loi étrangère est revendiquée, de restituer aux actes et faits leur exacte qualification et de trancher le litige en application de la loi désignée par la règle de conflit.
6. Il résulte du deuxième, troisième et quatrième de ces textes que l'extinction d'une obligation est régie par la loi applicable à l'obligation.
7. Il résulte du deuxième et troisième de ces textes également que la loi applicable au contrat régit son interprétation. Cette règle de conflit s'applique à l'interprétation d'une transaction.
8. Pour déclarer irrecevable l'action introduite par la société MXM en exequatur des décisions américaines, l'arrêt relève, d'abord, par motifs réputés adoptés, que les condamnations prononcées par les juridictions du Colorado sont des condamnations solidaires et que la décision de la cour d'appel du Colorado du 31 octobre 2013 indique très clairement la signification de la notion de solidarité en droit américain, dont il déduit qu'il s'agit d'une notion tout à fait similaire à la notion française de solidarité et que la jurisprudence française en la matière peut donc être invoquée.
9. Par motifs propres, l'arrêt relève, ensuite, que la clause de choix de la loi applicable stipulée dans l'accord de règlement global, désignant le droit interne de l'Etat du Missouri et le droit fédéral des Etats-Unis, n'était valable qu'entre les parties signataires, et qu'il appartenait à la juridiction française, saisie d'une demande d'exequatur d'une décision rendue par les autorités judiciaires américaines, d'appliquer les règles d'interprétation du droit français.
10. Il retient, enfin, en faisant application du droit français, que la remise conventionnelle de dette bénéficie non seulement à ses signataires, mais également à tous les codébiteurs solidaires, et que ces derniers ne peuvent être privés du bénéfice de cet avantage par une clause de la transaction, excluant toute renonciation des sociétés Neurelec et MXM à agir à l'encontre d'autres personnes que M. [G] et la société Otologics, cette clause ne leur étant pas opposable. Il en déduit que la créance a cessé d'exister à l'encontre des anciens salariés de la société Neurelec.
11. En statuant ainsi, alors que, d'une part, il lui incombait, dès lors que l'applicabilité d'une loi étrangère était invoquée devant elle, de déterminer la loi applicable à la créance dont il était prétendu qu'elle s'était éteinte par l'effet de l'accord de règlement global conclu avec certains des codébiteurs solidaires, et, en cas de difficulté, d'interpréter cet accord selon la loi choisie par les parties, et que, d'autre part, l'admission d'une équivalence entre la loi française et la loi étrangère désignée par la règle de conflit suppose que le contenu du droit étranger applicable ait été établi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevable le moyen soulevé par les défendeurs tiré de la nullité de la cession de créance conclue le 2 décembre 2015 entre la société Neurelec et la SAS MXM pour défaut d'objet ou de prix, rejette le moyen soulevé par les défendeurs tiré de la nullité de la cession de créances conclue entre la société Neurelec et la SAS MXM le 2 décembre 2015 pour objet et cause illicites, et déboute MM. [T], [J], [M], [H], [S] et [A] de leurs demandes reconventionnelles de dommages et intérêts pour procédure abusive, l'arrêt rendu le 24 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne MM. [T], [J], [M], [H], [S], [Y] et [A] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le dix-huit juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.