N° H 24-86.444 F-D
N° 00835
SL2
17 JUIN 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 17 JUIN 2025
M. [X] [E] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, en date du 26 juin 2024, qui, dans l'information suivie contre lui du chef, notamment, d'infractions à la législation sur les stupéfiants, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 24 février 2025, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [X] [E], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 mai 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Dans le cadre d'une information ouverte des chefs notamment d'infractions à la législation sur les stupéfiants, le procureur de la République a, le 4 juin 2020, saisi supplétivement le juge d'instruction notamment du chef d'association de malfaiteurs, à la suite de la découverte le 30 octobre 2019, dans le cadre d'une procédure d'enquête préliminaire, d'un détecteur de radiofréquence ainsi que de deux téléphones portables dans la fouille d'un détenu.
3. Ces objets, placés sous scellés, ont fait l'objet d'examens techniques et scientifiques, sur réquisitions des 18 et 26 novembre 2019, délivrées sur autorisation du procureur de la République. Des conversations cryptées ayant été extraites, le centre technique d'assistance (CTA) a été requis et a procédé à leur mise au clair.
4. Ces investigations ont mis en évidence des indices de commission d'infractions à la législation sur les stupéfiants en lien avec les faits dont le juge d'instruction était saisi.
5. M. [X] [E], mis en cause, a été interpellé le 19 octobre 2022 à 22 heures 25, au centre pénitentiaire où il était détenu.
6. Il a été mis en examen le lendemain des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, blanchiment et participation à une association de malfaiteurs.
7. Par requête du 18 avril 2023, il a sollicité l'annulation notamment des examens réalisés sur le fondement des réquisitions des 18 et 26 novembre 2019, ainsi que des opérations techniques effectuées par le CTA et de l'exploitation de leurs résultats.
Examen des moyens
Sur le cinquième moyen
8. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur les premier et deuxième moyens
Enoncé du moyen
9. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les demandes en nullité présentées par la défense et dit n'y avoir lieu à annulation d'autres actes ou pièces de la procédure, alors « que l'expert nominativement requis par les enquêteurs doit accomplir sa mission personnellement ; que l'appartenance de l'expert nominativement désigné à un service de l'État ne l'autorise pas à faire exécuter cette mission par ses subordonnés ; qu'il s'ensuit que sont nuls la réquisition aux fins d'expertise avec faculté de sous-désignation adressée à une personne désignée précisément par son nom ou sa fonction et les actes réalisés par la personne ainsi sous-désignée ; qu'au cas d'espèce, la défense faisait valoir que la réquisitions du 18 novembre 2019 adressée au « Chef de la Division de Police Technique de la D.R.P.J. de [Localité 3] » à savoir Madame [R] [H], et celles du 26 novembre 2019 adressées « à « Monsieur le directeur de la DIPJ [Localité 3] sis [Adresse 1] à [Localité 3] » à savoir Monsieur [Y] [S], et les actes réalisés sur le fondement de ces réquisitions, étaient irréguliers, d'une part en ce que les réquisitions litigieuses laissaient à l'expert désigné la faculté de se faire substituer par un tiers appartenant au même service sans nouvelle réquisition, et d'autre part en ce que cette faculté ayant effectivement été mise en uvre, les rapports et actes d'expertise critiqués avaient été réalisés et signés par des personnes n'ayant pas été régulièrement requis et désignés à cette fin ; qu'en retenant néanmoins, pour refuser de prononcer la moindre annulation, que les enquêteurs avaient requis les services de la DRPJ, de la DIPJ et du [2], lesquels pouvaient et devaient désigner parmi leurs membres celui ou ceux qui réaliseraient la mission requise, quand il résulte clairement des termes des réquisitions litigieuses qu'elles étaient adressées, non pas aux services de la DRPJ, de la DIPJ ou du [2] de [Localité 3], mais à leurs « chef » ou « directeur » respectifs, la Chambre de l'instruction a dénaturé les actes de la procédure en sa possession et violé les articles 60 et 166 du Code de procédure pénale. »
10. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les demandes en nullité présentées par la défense et dit n'y avoir lieu à annulation d'autres actes ou pièces de la procédure, alors « qu'à supposer que les réquisitions aux fins d'expertise litigieuses aient bien été adressées à des services, et non à leur chef, il demeure que lorsque les enquêteurs ont requis en qualité d'expert un service ou organisme de police technique et scientifique de la police nationale ou de la gendarmerie nationale non inscrit sur la liste visée à l'article 157-2 du Code de procédure pénale, la formalité du serment doit être réalisée par le responsable du service ou de l'organisme désigné, et non par l'agent du service qui a matériellement réalisé l'opération d'expertise ; qu'au cas d'espèce, à considérer même que les réquisitions étaient adressées directement à la DRPJ, à la DIPJ ou au service [2], et non aux « Chef » ou « Directeur » de ces services, pourtant personnellement désignés, il demeure que, faute d'arrêté fixant la liste des services de l'article 157-2 du Code de procédure pénale, il appartenait au chef des services désignés, et non aux agents ayant matériellement procédé aux opérations requises, de prêter serment ; que la défense était dès lors fondée à faire valoir qu'à défaut d'une telle prestation de serment, les expertises réalisées par l'un des membres des services requis étaient illicites, et devaient donc être annulées ; qu'en affirmant à l'inverse qu'à défaut d'inscription du service prétendument requis sur la liste prévue par l'article 157-2 du Code de procédure pénale, il appartenait non pas au chef de service, mais au membre sous-désigné par lui, de prêter serment, la Chambre de l'instruction a violé les articles 60, 166, 156-2 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
11. Les moyens sont réunis.
12. Pour écarter le moyen de nullité tendant à l'annulation des réquisitions des 18 et 26 novembre 2019, l'arrêt attaqué énonce que ces réquisitions ont été adressées, en application de l'article 77-1 du code de procédure pénale, au « chef de la division de police technique de la DRPJ de [Localité 3] ou toute personne désignée par lui » s'agissant de la première et, s'agissant des secondes, au directeur de la direction interrégionale de la police judiciaire de [Localité 3] ou toute personne désignée par lui appartenant au [2] ([2]).
13. Les juges relèvent que ces deux chefs de service ont pu être valablement désignés en application de l'article 157-2 du code de procédure pénale et que la réquisition de « toute personne désignée par lui » valait agrément au sens de ce même texte.
14. C'est à tort que les juges ont fait application de l'article 157-2 précité alors que l'arrêté fixant la liste des services ou organismes de police technique et scientifique de la police nationale et de la gendarmerie nationale mentionnés par ce texte n'a été publié que le 8 janvier 2021.
15. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors que les réquisitions en cause désignaient régulièrement une personne appartenant au service technique mentionné, placée sous l'autorité du chef de service requis, de sorte que ce dernier n'a pas empiété sur les prérogatives de l'autorité requérante.
16. Au surplus, il résulte des pièces de la procédure, dont la Cour de cassation a le contrôle, que les personnes qui ont effectivement exécuté les missions ont prêté le serment prévu à l'article 60 du code de procédure pénale.
17. Ainsi, les moyens doivent être écartés.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les demandes en nullité présentées par la défense et dit n'y avoir lieu à annulation d'autres actes ou pièces de la procédure, alors :
« 1°/ d'une part que lorsque l'officier de police judiciaire informe le juge d'instruction d'un placement en garde à vue, il doit lui donner connaissance des motifs de ce placement et de la qualification des faits justifiant cette mesure, peu importe que la mesure ait été diligentée sur la base d'instructions de ce magistrat ; que le défaut d'accomplissement de ces formalités fait nécessairement grief à la personne concernée ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure et des propres constatations de la Chambre de l'instruction que le juge d'instruction n'a pas été avisé des motifs de la garde à vue imposée à Monsieur [E] le 19 octobre 2022 et la qualification des faits justifiant cette mesure ; qu'en retenant néanmoins, pour refuser d'annuler la garde à vue subie par l'exposant, que celle-ci étant intervenue sous le contrôle du juge d'instruction, ce dernier devait être regardé comme ayant été informé des qualifications et des motifs de cette mesure, quand elle a pourtant constaté elle-même que l'avis adressé au magistrat instructeur ne précisait ni les motifs de la garde à vue, ni la qualification des faits qui fondaient cette mesure, nécessaire à l'exercice de ce contrôle, la Chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a violé les articles préliminaire, 62-2, 63 et 154 du Code de procédure pénale ;
2°/ d'autre part que lorsque l'officier de police judiciaire informe le juge d'instruction d'un placement en garde à vue, il doit lui donner connaissance des motifs de ce placement et de la qualification des faits justifiant cette mesure ; que la Chambre de l'instruction ne saurait extrapoler des seules conditions dans lesquelles l'intéressé a été interpellé les prétendus motifs de son placement en garde à vue, et considérer que l'information donnée au juge d'instruction sur cette interpellation vaut avis donné au magistrat instructeur des motifs de ce placement ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure et des propres constatations de la Chambre de l'instruction que le juge d'instruction n'a pas été avisé des motifs de la garde à vue imposée à Monsieur [E] le 19 octobre 2022 et la qualification des faits justifiant cette mesure ; qu'en retenant néanmoins, pour refuser d'annuler la garde à vue subie par l'exposant, que les seules mentions selon lesquelles « l'intéressé était porteur d'un téléphone et se trouvait en ligne lors de l'intervention des services de police dans la cellule » d'une part, et que « l'intéressé a de ce fait marqué une certaine résistance » d'autre part, permettaient de déduire que les enquêteurs auraient considéré que la garde à vue était nécessaire pour éviter un « risque de pression sur les témoins ou victimes » ou « de concertation avec des coauteurs ou complice », de mettre fin à l'infraction ou encore d'empêcher qu'il soit fait « obstacle aux investigations », la Chambre de l'instruction a dénaturé le procès-verbal d'avis litigieux et a violé les articles préliminaire, 62-2, 63 et 154 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
19. Pour écarter le moyen de nullité de la garde à vue de l'intéressé, l'arrêt attaqué énonce qu'il ne résulte pas du procès-verbal d'avis du placement en garde à vue de M. [E] que le juge d'instruction a été informé des motifs de cette mesure.
20. Les juges relèvent que cependant le juge d'instruction a ordonné à l'officier de police judiciaire en charge de l'exécution de sa commission rogatoire de procéder à ce placement en garde à vue, par soit-transmis mentionnant les mêmes infractions que celles pour lesquelles M. [E] a fait l'objet de cette mesure.
21. Ils en déduisent que l'avis au magistrat a été régulièrement communiqué.
22. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen.
23. En effet, l'intéressé ayant été placé en garde à vue le 19 octobre 2022, conformément aux instructions du juge d'instruction du 17 octobre précédent, ce dernier avait nécessairement connaissance des motifs du placement en garde à vue et de la qualification des faits le justifiant.
24. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
25. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les demandes en nullité présentées par la défense et dit n'y avoir lieu à annulation d'autres actes ou pièces de la procédure, alors « que doivent être annulées les opérations de mise au clair n'ayant pas donné lieu au versement en procédure d'une attestation de sincérité datée ; que cette irrégularité ne saurait être couverte par la seule intégration, dans le rapport de mise au clair, d'une attestation non datée dont rien ne permet de s'assurer qu'elle porte bien sur les mesures effectivement réalisées et atteste bien de la réalité des résultats obtenus ; qu'au cas d'espèce, l'avocat de l'exposant a d'abord fait valoir que les opérations de mise au claire critiquées n'avaient pas été accompagnées d'attestations de sincérité permettant de contrôler la régularité de ces mesures ; qu'il a ensuite fait valoir, après le versement tardif en procédure de ces attestations, que celles-ci n'étaient pas datées, de sorte qu'elles étaient irrégulières, voire inexistantes ; qu'en affirmant néanmoins, pour refuser d'annuler les mesures litigieuses, que la seule intégration de l'attestation de sincérité dans le rapport relatant l'opération de mise au clair litigieuse suffisait à dater cet acte, et ainsi à assurer l'authentification de la mesure, quand elle avait pourtant elle-même constaté que « si les dispositions légales n'exigent pas qu[e l'attestation de sincérité] soit datée, cette mention apparaît nécessaire en vue de répondre à l'objectif poursuivi, à savoir d'authentifier les résultats », la Chambre de l'instruction, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, préliminaire 230-1 et 230-3 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
26. Aucune disposition conventionnelle, légale ou réglementaire n'impose que l'attestation de sincérité des opérations de mise au clair des données chiffrées prévue à l'article 230-3 du code de procédure pénale soit datée.
27. Le moyen est dès lors inopérant.
28. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept juin deux mille vingt-cinq.