N° D 24-81.887 F-D
W 24-86.710
N° 00804
RB5
12 JUIN 2025
CASSATION
NON-ADMISSION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 JUIN 2025
M. [V] [C] a formé des pourvois :
- contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-12, en date du 11 mars 2024, qui, pour abus de biens sociaux, l'a condamné à 10 000 euros d'amende avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils (pourvoi n° 24-81.887) ;
- contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre 2-12, en date du 10 septembre 2024, qui a prononcé sur une requête en rectification d'erreur matérielle (pourvoi n° 24-86.710).
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de Mme Piazza, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. [V] [C], les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'association [2] et la société [3], et les conclusions de M. Fusina, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 mai 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Piazza, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte des arrêts attaqués et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [V] [C], expert-comptable, a cédé le 26 septembre 2016 au prix de 2 072 726 euros l'intégralité des actions de la société [3], cabinet d'expertise comptable, détentrice de l'intégralité des actions de la société [4], cabinet d'expertise comptable, à l'association de gestion et de comptabilité [2], qui, le 1er octobre 2016, a nommé M. [L] [G] président des sociétés [3] et [4] à sa place.
3. Les 29 décembre 2017 et 30 janvier 2018, M. [G], ayant fait le constat d'écritures comptables suspectes des sociétés, passées en 2015 et 2016, a porté plainte et s'est constitué partie civile contre M. [C] notamment pour abus de biens sociaux, faux et usage.
4. Mis en examen le 7 février 2019 pour abus de biens sociaux et abus de confiance, M. [C] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel du premier de ces chefs par ordonnance du juge d'instruction en date du 21 juillet 2020.
5. Par jugement en date du 21 juin 2022, le tribunal correctionnel a relaxé M. [C] de l'un des trois faits d'abus de confiance dont il était poursuivi, l'a déclaré coupable du surplus, l'a condamné à 20 000 euros d'amende, un an d'interdiction de gérer et, sur l'action civile, l'a notamment condamné à payer à la société [3] les sommes de 126 000 euros, 39 804 euros et 20 000 euros.
6. M. [C], le procureur de la République ainsi que la société [3] et l'association [2] ont relevé appel du jugement.
Examen des moyens
Sur les moyens du pourvoi formé contre l'arrêt du 10 septembre 2024 et le premier moyen du pourvoi formé contre l'arrêt du 11 mars 2024
7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission des pourvois au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen est pris de la violation des articles L. 242-6, L. 244-1 du code de commerce et 593 du code de procédure pénale.
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [C] coupable d'abus de biens sociaux, puis prononcé une peine en répression et statué sur les intérêts civils, alors :
« 1°/ que premièrement, le fait pour un dirigeant de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu'il sait contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle il est intéressé directement ou indirectement, constitue un abus de biens sociaux ; qu'en retenant le prévenu dans les liens de la culpabilité, pour avoir mis à la charge de la société [3] le payement d'un loyer correspondant à des locaux, en opposant que le besoin, s'il se présentait chaque année, ne durait que six mois de celle-ci, ce qui suffisait pourtant à caractériser un besoin permanent, quoique cyclique, les juges du fond ont violé les articles L. 242-6 et L. 244-1 du code de commerce ;
2°/ que deuxièmement, le fait pour un dirigeant de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu'il sait contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle il est intéressé directement ou indirectement, constitue un abus de biens sociaux ; qu'en retenant que la prise à bail de locaux nécessaires pour six mois de l'année constituait une charge excessive pour la société [3], sans mieux s'expliquer sur la possibilité de conclure, pour un besoin se présentant systématiquement chaque année, un contrat intermittent, seule à même de rendre la charge excessive, les juges du fond ont affecté leur décision d'un manque de base légale au regard des articles L. 242-6 et L. 244-1 du code de commerce ;
3°/ que troisièmement, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; l'insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence ; que faute d'avoir recherché, ainsi que cela leur était pourtant demandé (conclusions de M. [C], premier président. 7 ultime alinéa et p. 8 alinéa 1) si la résiliation du bail antérieurement détenu [Adresse 1], suivie de la souscription simultanée de baux [Adresse 6] et [Adresse 7] n'avait pas pour objet de réaliser une économie, ce qui privait les faits de leur caractère délictueux, les juges du fond ont violé l'article 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que quatrièmement, le fait pour un dirigeant de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu'il sait contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle il est intéressé directement ou indirectement, constitue un abus de biens sociaux ; que faute d'avoir caractérisé l'élément intentionnel à la charge de M [C], quand celui-ci le contestait dans ses conclusions (conclusions de M. [C], p. 12), les juges du fond ont affecté leur décision d'un manque de base légale au regard des articles L. 242-6 et L. 244-1 du code de commerce ;
5°/ que cinquièmement, le fait pour un dirigeant de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu'il sait contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle il est intéressé directement ou indirectement, constitue un abus de biens sociaux ; qu'en énonçant que le délit d'abus de biens sociaux avait porté sur les sommes de 36 500 euros en 2015 et 36 000 euros en 2016 (arrêt, p. 17 alinéa 3) après avoir constaté que la société [3] avait payé 72 000 euros de loyer en 2015 et 54 000 euros en 2016, dont la moitié au-moins ne procédait pas d'un abus de biens sociaux (arrêt, p. 17 alinéa 2), les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles L. 242-6 et L. 244-1 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
10. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
11. Pour déclarer le prévenu coupable du délit d'abus de biens sociaux, l'arrêt attaqué énonce que M. [C] a affirmé avoir mis à disposition de la société [3] son appartement sis [Adresse 7] à Paris, qu'il n'occupait pas ou peu, son épouse résidant en Normandie et ses enfants ayant quitté le foyer familial, tandis que la société venait d'emménager dans de nouveaux locaux [Adresse 6] d'une surface diminuée de 150 m² par rapport à son ancienne adresse.
12. Les juges observent que le bail signé le 1er janvier 2014 entre la société [5], propriétaire du logement, et la société [3], toutes deux représentées par M. [C], n'est pas mentionné dans la promesse de cession et d'acquisition d'actions passée le 7 juillet 2016 avec l'association [2], qui ne fait référence qu'au bail de la [Adresse 6].
13. Ils relèvent que, nonobstant le silence du bail sur la superficie et la description des pièces louées, le prévenu a indiqué avoir mis à disposition de la société l'entrée, la salle à manger et le salon pour y recevoir des clients ou tenir des réunions, ainsi que deux chambres pour M. [X] [F], son collaborateur, ce que celui-ci a confirmé, et que la compagnie des commissaires aux comptes a évalué la charge de travail de M. [F] à vingt-huit jours pour l'année 2015 et à onze jours pour l'année 2016.
14. Ils précisent que rien ne vient contredire les affirmations du prévenu quant à la réalité d'une activité professionnelle de la société [3] dans cet appartement, mais que la location ne pouvait se justifier hors de la période d'activité intense, qui se situe, pour un cabinet d'expertise comptable, au moment de la clôture et de la certification des comptes et de la tenue des assemblées générales, soit six mois dans l'année au plus, entre janvier et juin.
15. Ils ajoutent qu'au delà des griefs de forme tenant à l'absence de procès-verbal d'assemblée générale autorisant la prise à bail de l'appartement, l'interdiction de toute activité professionnelle par le règlement de copropriété de l'immeuble, l'absence d'enregistrement du bail et de compte fournisseur de la société [5], propriétaire de l'appartement, dans la comptabilité de la société [3], et malgré le versement des loyers sur le compte courant du prévenu, il n'est pas démontré que celui-ci ait été débiteur avant sa rectification par le nouveau dirigeant de la société et que le loyer mensuel soit excessif au regard des prix pratiqués dans le quartier.
16. Ils retiennent que le prévenu a fait supporter à la société une charge locative excessive au regard des besoins de son activité en ce qu'elle ne concerne que six mois de l'année, soit la période postérieure à celle courant des mois de janvier à juin des deux années 2015 et 2016 et constatent que la société [3] a payé 72 000 euros de loyers en 2015 et 54 000 euros en 2016.
17. Ils en déduisent que le délit est constitué de la seule charge locative excessive que la société [3] a assumée par rapport à ses besoins qui ne portaient que sur la moitié de l'année, et qu'il doit être retenu à hauteur de 36 500 euros pour l'année 2015 et de 36 000 euros pour l'année 2016, soit la somme de 72 500 euros au total.
18. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à établir le caractère contraire à l'intérêt social de cet excès de charge locative ainsi que le montant de celui-ci, et sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si cette location avait permis à la société de minorer ses charges locatives, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
19. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens de cassation proposés, la Cour :
Sur le pourvoi formé contre l'arrêt du 10 septembre 2024 :
Le DÉCLARE NON ADMIS ;
Sur le pourvoi formé contre l'arrêt du 11 mars 2024 :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 11 mars 2024, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du douze juin deux mille vingt-cinq.