COMM.
JB
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 12 juin 2025
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 323 F-B
Pourvoi n° S 24-13.566
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 12 JUIN 2025
La société Franklin Bach, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de M. [V], agissant en qualité de liquidateur de la société Réunionnaise de vente de matériel de levage et de travaux publics, a formé le pourvoi n° S 24-13.566 contre l'arrêt rendu le 15 novembre 2023 par la cour d'appel de Saint-Denis (chambre commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [O] [Z], domicilié [Adresse 2],
2°/ à M. [O] [L], domicilié [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire, les observations de la SCP Françoise Fabiani - François Pinatel, avocat de la société Franklin Bach, ès qualités, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [Z], et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 avril 2025 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire rapporteur, Mme Schmidt, conseiller doyen, Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire, et Mme Sezer, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis,15 novembre 2023), les 12 mai et 30 juin 2010, la société Réunionnaise de vente de matériel de levage et de travaux publics (la société Sorelev) a été mise en redressement puis liquidation judiciaires.
2. La société Franklin Bach, agissant en qualité de liquidateur, a assigné le dirigeant, M. [Z], en responsabilité pour insuffisance d'actif et en prononcé de sa faillite personnelle.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. Le liquidateur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de condamnation de M. [Z] à supporter l'insuffisance d'actif de la société, alors « que le juge ne peut méconnaître les termes du litige, déterminés par les prétentions respectives des parties ; qu'en l'espèce, pour débouter la société Franklin Bach de sa demande de condamnation de M. [Z] à supporter l'insuffisance d'actif révélée à l'issue des opérations de liquidation judiciaire de la société Sorelev, la cour d'appel s'est déterminée par la seule circonstance que les documents produits par le liquidateur ne suffisent pas à établir l'existence d'une insuffisance d'actif ; qu'en statuant ainsi, quand les parties au litige ne s'opposaient que sur la réalité des fautes de gestion imputables au dirigeant, et sur leur lien de causalité avec l'insuffisance d'actif que l'exposante souhaitait voir supporter par ledit dirigeant, tandis que ce dernier, qui se bornait à prétendre que l'exposante ne motivait pas la part d'insuffisance d'actif imputée à M. [Z], reprochait simplement à l'intéressée de vouloir lui imputer "une moitié de l'insuffisance d'actif finale sans préciser en quoi elle serait en lien avec les actes qu'elle lui impute à faute", de sorte que le dirigeant admettait à tout le moins, ce faisant, la réalité d'une insuffisance d'actif révélée par la liquidation judiciaire, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
4. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
5. Pour rejeter la demande de condamnation du dirigeant à payer l'insuffisance d'actif, l'arrêt retient que le liquidateur se borne à verser aux débats des déclarations de créances de certains des créanciers et un bordereau de communication de pièces sur lequel figure notamment l'état du passif déclaré qui ne suffisent pas à établir l'existence d'une insuffisance d'actif.
6. En statuant ainsi, alors que les parties s'accordaient sur l'existence d'une insuffisance d'actif que le liquidateur évaluait à la somme de 854 280, 20 euros et que seuls étaient discutés les fautes reprochées et leur lien avec cette insuffisance d'actif, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
7. Le liquidateur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de prononcer la faillite personnelle de M. [Z], alors « que la sanction de la faillite personnelle encourue sur le fondement des articles L. 653-4 et L. 653-5 du code de commerce ne requiert pas la preuve d'une insuffisance d'actif ; que, dès lors, en se déterminant par la seule circonstance que les documents produits par le liquidateur ne suffisent pas à établir l'existence d'une insuffisance d'actif, pour en déduire qu'il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la faillite personnelle de M. [Z], sans qu'il y ait lieu d'examiner l'existence ou non des fautes de gestion de l'intéressé, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des textes susvisés. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 653-4 et L. 653-5 du code de commerce :
8. Il résulte de ces textes que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle du dirigeant de la personne morale débitrice contre lequel a été relevé un ou plusieurs faits qu'ils énumèrent sans qu'il soit tenu de constater l'existence d'une insuffisance d'actif.
9. Pour rejeter la demande du liquidateur, l'arrêt retient que celui-ci échoue à l'établir l'existence d'une insuffisance d'actif.
10. En statuant ainsi, en ajoutant à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, la cour d'appel violé, par refus d'application, le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis autrement composée ;
Condamne M. [Z] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [Z] et le condamne à payer à la société Franklin Bach, venant aux droits de M. [V], en qualité de liquidateur de la société Réunionnaise de vente de matériel de levage et de travaux publics, la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le douze juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.