COMM.
HM
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 12 juin 2025
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 319 F-D
Pourvoi n° R 24-13.289
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 12 JUIN 2025
1°/ la société Ecofip, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ la société Avesta 75, société en nom collectif, dont le siège est chez Ecofip, [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° R 24-13.289 contre l'arrêt rendu le 7 novembre 2023 par la cour d'appel de Fort-de-France (chambre civile), dans le litige les opposant à la caisse fédérale de Crédit mutuel Antilles Guyane, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Calloch, conseiller, les observations de Me Haas, avocat des sociétés Ecofip et Avesta 75, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la caisse fédérale de Crédit mutuel Antilles Guyane, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 avril 2025 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Calloch, conseiller rapporteur, Mme Schmidt, conseiller doyen, et Mme Sezer, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 7 novembre 2023), le 5 avril 2007, la caisse fédérale de Crédit mutuel Antilles Guyane (la banque) a consenti à la société Avesta 75, ayant pour gérante la société Ecofip, un prêt garanti par une délégation de loyers et le cautionnement d'une personne physique. Le contrat de prêt stipulait une clause de non recours de la banque contre l'emprunteur.
2. Par un arrêt, devenu irrévocable, du 6 décembre 2016, la caution a été condamnée à payer une certaine somme en exécution de son engagement et la société Avesta 75 à la garantir de cette condamnation.
3. Le 9 juin 2017, les sociétés Ecofip et Avesta 75 ont assigné la banque en responsabilité pour manquement à son obligation d'information.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
5. Les sociétés Ecofip et Avesta 75 font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité pour manquement au devoir d'information formée à l'encontre de la banque, alors « que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que le délai de prescription de l'action en responsabilité court à compter du jour où celui qui se prétend victime aurait dû connaître le dommage, le fait générateur de responsabilité et son auteur ainsi que le lien de causalité entre le dommage et le fait générateur ; que lorsque le dommage invoqué dépend d'une procédure contentieuse, il se manifeste au jour où cette partie est condamnée par une décision passée en force de chose jugée ; qu'en fixant le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité formée contre la banque à la date de conclusion du contrat, aux motifs impropres que la banque n'avait pas commis de faute et que, dès cette date, elles connaissaient le risque que leur faisait courir le cautionnement inséré dans l'acte de prêt, cependant que le dommage invoqué à l'appui de l'action en responsabilité était né de la condamnation prononcée à l'encontre de la SNC Avesta 75, par l'arrêt de la cour d'appel de Fort-de-France du 6 décembre 2016, de garantir la caution du paiement du solde du prêt, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure et celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 et l'article 2224 du code civil :
6. Il résulte de la combinaison de ces textes que, d'une part, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, les obligations entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, sans que la durée totale puisse excéder celle de 10 ans prévue par le premier de ces textes dans sa version antérieure à la loi précitée et, d'autre part, que le délai de prescription de l'action en responsabilité, qu'elle soit de nature contractuelle ou extra contractuelle, court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en a pas eu précédemment connaissance.
7. Lorsque le dommage invoqué par une partie dépend d'une procédure contentieuse l'opposant à un tiers, ce dommage ne se manifeste qu'au jour où cette partie est condamnée par une décision passée en force de chose jugée, de sorte que son droit n'étant pas né avant cette date, le délai de prescription de son action ne court qu'à compter de cette décision.
8. Pour déclarer prescrite l'action en responsabilité engagée par la société Avesta 75, l'arrêt retient qu'au regard des clauses rédigées de manière claire et sans ambiguïté du contrat de prêt, cette société avait connaissance, au moment de la signature, qu'un tiers s'était porté caution solidaire et disposait de tout recours à l'égard du débiteur principal et qu'elle ne pouvait ignorer qu'elle devait appréhender de manière distincte sa qualité d'emprunteur à l'égard du prêteur et de cautionné à l'égard de la caution. Il ajoute que cette société ne démontre pas n'avoir pas eu connaissance lors de la signature du contrat de prêt de ses obligations tant à l'égard du prêteur que de la caution et qu'elle ait pu légitimement ignorer le risque engendré par l'introduction d'un cautionnement dans les garanties au moment de la souscription du contrat, et en déduit que le point de départ du délai de la prescription doit être fixé à la date de conclusion du contrat de prêt.
9. En statuant ainsi, alors que le dommage invoqué ne s'est manifesté qu'au jour de la décision passée en force de chose jugée du 6 décembre 2016 ayant condamné la société Avesta 75 à garantir la caution, de sorte que le délai de prescription de l'action en responsabilité de cette société contre la banque avait commencé à courir à compter de cette date, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare prescrite l'action en responsabilité pour manquement au devoir d'information de la société Avesta 75 à l'encontre de la caisse fédérale de Crédit mutuel Antilles Guyane, l'arrêt rendu le 7 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France autrement composée ;
Condamne la caisse fédérale de Crédit mutuel Antilles Guyane aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Ecofip, et celle formée par la caisse fédérale de Crédit mutuel Antilles Guyane et condamne la caisse fédérale de Crédit mutuel Antilles Guyane à payer à la société Avesta 75 la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le douze juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.