N° U 23-86.014 F-D
N° 00803
RB5
12 JUIN 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 JUIN 2025
M. [J] [V] et Mme [S] [I] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 11e chambre, en date du 28 septembre 2023, qui a condamné le premier, pour complicité d'abus de confiance, faux et usage, à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis probatoire, interdiction définitive de gérer, et la seconde, pour abus de confiance, faux et usage, à trois ans d'emprisonnement avec sursis probatoire, interdiction définitive de gérer, et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de Mme Piazza, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [J] [V] et Mme [S] [I], les observations de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de M. [B] [C] et Mme [X] [Z], épouse [C], et les conclusions de M. Fusina, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 mai 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Piazza, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Une information a été ouverte le 28 janvier 2009 des chefs de faux et usage, abus de confiance à la suite de la plainte déposée le 24 décembre 2007 par M. et Mme [B] et [X] [C], M. et Mme [T] et M. [P] [N] pour des détournements de fonds investis dans des projets immobiliers en Espagne par l'intermédiaire de M. [J] [V] et de Mme [S] [I], épouse [K], conseillers en gestion de patrimoine.
3. Par ordonnance en date du 3 octobre 2017, le juge d'instruction a renvoyé devant le tribunal correctionnel Mme [I] pour abus de confiance, faux et usage, M. [V] pour complicité d'abus de confiance, faux et usage.
4. Par jugement en date du 10 décembre 2020, ils ont été déclarés coupables de ces infractions et condamnés, M. [V], à huit mois d'emprisonnement avec sursis probatoire, une interdiction définitive d'exercer toute activité de promotion ou de transaction immobilière, Mme [I], à deux ans d'emprisonnement avec sursis probatoire, une interdiction définitive d'exercer toute activité de promotion ou de transaction immobilière. Sur l'action civile, le tribunal a reçu la constitution de partie civile de M. et Mme [C], a condamné solidairement M. [V] et Mme [I] à leur payer les sommes de 244 841,07 euros en réparation de leur préjudice matériel, de 1 000 euros en réparation de leur préjudice moral, outre celle de 1 500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, a reçu la constitution de partie civile de M. [N], a condamné solidairement M. [V] et Mme [I] à lui payer les sommes de 185 020 euros en réparation de son préjudice matériel, de 1 000 euros en réparation de leur préjudice moral, outre celle de 1 500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
5. Mme [I], M. [V], le procureur de la République ainsi que M. et Mme [C] et M. [N] ont relevé appel du jugement.
Sur les premier, deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième, septième et neuvième moyens
6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le huitième moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamnés solidairement Mme [I] et M. [V] à payer aux époux [C] la somme de 244 841,07 euros en réparation de leur préjudice matériel, alors :
« 1°/ que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; que le préjudice matériel résultant directement d'un abus de confiance ne peut être supérieur au montant des sommes détournées ; qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que, concernant le projet immobilier des époux [C], le montant du détournement s'élèverait à la somme de 65 020,72 euros, s'agissant de l'acquisition du terrain, et à celle de 114 724 euros, s'agissant de la construction de la villa, soit la somme totale de 179 744,72 euros ; qu'en allouant aux époux [C] la somme de 244 841,07 euros au titre de leur préjudice matériel, soit une somme supérieure au montant des détournements, la cour d'appel a violé les articles 2 et 3 du code de procédure pénale et 1382 du code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
2°/ que ne peuvent être indemnisés que les préjudices personnels qui résultent directement de l'infraction dont le prévenu a été déclaré coupable ; qu'il résulte des pièces de la procédure que les époux [C] ont sollicité, en réparation de leur préjudice matériel, les sommes de 90 777,18 euros au titre du nantissement de leurs contrats d'assurance-vie constitué afin de garantir le remboursement du prêt souscrit en vue de l'acquisition du terrain, 19 063,89 euros au titre des échéances de prêt payées, 100 000 euros au titre du solde du prêt, 30 000 euros au titre de l'acompte versé pour la réservation du terrain et 5 000 euros au titre des frais d'architecte, soit la somme totale de 244 841,07 euros ; qu'en faisant droit à l'intégralité des demandes des époux [C], lorsque les préjudices sollicités par eux ne trouvaient pas directement leur source dans les détournements prétendument commis mais dans les engagements contractuels souscrits par les époux [C] auprès de la Banque Privée Européenne, la cour d'appel a violé l'article 2 du code de procédure pénale ;
3°/ en tout état de cause, qu'en ne répondant pas aux conclusions de monsieur [V] qui faisait valoir que les préjudices invoqués par les époux [C] n'avaient aucun lien avec les faits qui lui étaient reprochés, la cour d'appel a violé l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
8. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
9. Pour condamner solidairement M. [V] et Mme [I] à payer à M. et Mme [C] la somme de 244 841,07 euros en réparation de leur préjudice matériel, l'arrêt attaqué énonce que cette somme est justifiée au regard des pièces de l'enquête et des pièces produites aux débats.
10. En se déterminant ainsi, sans préciser la nature et le montant des chefs de préjudice retenus, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de s'assurer que seul a été indemnisé le préjudice direct et personnel de M. et Mme [C] résultant des faits objet de la poursuite, n'a pas justifié sa décision.
11. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
12. La cassation à intervenir portera sur les seules dispositions civiles relatives à M. et Mme [C]. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 28 septembre 2023, mais en ses seules dispositions civiles relatives à M. et Mme [C], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du douze juin deux mille vingt-cinq.