CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 5 juin 2025
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 291 F-D
Pourvoi n° H 23-20.913
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 JUIN 2025
La société TRE architecteurs, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° H 23-20.913 contre l'arrêt rendu le 5 juin 2023 par la cour d'appel de Versailles (4e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Hôtel les maréchaux, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société QBE Europe, dont le siège est [Adresse 4] (Belgique), venant aux droits de la société QBE Insurance Europe Limited, société de droit anglais, ayant son siège son siège à Londres (Royaume-Uni), [Adresse 1] et un établissement stable en France sis [Adresse 5],
défenderesses à la cassation.
La société Hôtel les maréchaux a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Foucher-Gros, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la société TRE architecteurs, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société QBE Europe, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Hôtel les maréchaux, après débats en l'audience publique du 29 avril 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Foucher-Gros, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 5 juin 2023), la société Hôtel les maréchaux, propriétaire d'un fonds de commerce d'hôtellerie, a conclu un contrat portant sur l'aménagement d'un logement de fonction avec la société TRE architecteurs, après lui avoir demandé une étude préliminaire de travaux.
2. La société QBE Insurance Europe Limited s'est portée caution de la bonne fin des travaux.
3. Reprochant un retard important dans la réalisation du projet, la société Hôtel les maréchaux a mis en demeure la société TRE architecteurs d'intervenir et la société QBE Insurance Europe Limited de mettre en oeuvre sa garantie.
4. Cette dernière s'y est opposée, au motif, notamment, que la société TRE architecteurs se trouvait empêchée du fait de la non-réalisation de la réfection de la toiture, à la charge du bailleur, propriétaire des murs.
5. La société Hôtel les maréchaux a assigné la société QBE Insurance Europe Limited, aux droits de laquelle vient la société QBE Europe, aux fins de mise en oeuvre de son cautionnement. La société QBE Europe a appelé en garantie la société TRE architecteurs.
6. La société TRE architecteurs a demandé, à titre reconventionnel, le paiement du solde des travaux effectués.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses troisième et quatrième branches
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses première, deuxième et cinquième branches
Enoncé du moyen
8. La société TRE architecteurs fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Hôtel les maréchaux une certaine somme en réparation de son préjudice de jouissance, alors :
« 1°/ qu'aucune obligation de conseil ne pèse sur l'entrepreneur relativement à des informations qui sont de la connaissance de son cocontractant ; qu'en décidant, en l'espèce, que la société TRE architecteurs avait manqué à son devoir de conseil en ayant « en parfaite connaissance de cause (
) démarré des travaux sans que la toiture ne soit réparée ce qui conduit aujourd'hui à la situation d'arrêt du chantier», quand il ressortait de ses propres constatations que la société Hôtel les maréchaux, maître de l'ouvrage, était parfaitement informée de l'état de la toiture avant le démarrage des travaux, grâce à une étude préliminaire et un diagnostic « des ouvrages de charpente et de couverture » réalisés par la société TRE architecteurs, et qu'elle avait néanmoins pris le risque de voir démarrer les travaux nonobstant sa parfaite connaissance du retard pris par son bailleur, la société HEDS, dans la réfection de la toiture et des conséquences pouvant en découler sur les propres travaux de la société TRE architecteurs, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 1134 et 1147, devenus 1104 et 1231-1, du code civil ;
2°/ que le défaut de réponse à conclusions équivaut au défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la société TRE architecteurs faisait valoir, preuves à l'appui, qu'en contractant le 8 septembre 2016, « chacune des parties avait parfaitement connaissance que les travaux de réfection de la maison du gardien étaient subordonnés à l'intervention du couvreur portant engagement de terminer les travaux à la fin du mois de septembre 2016 » ; qu'elle ajoutait que « la société Hôtel les maréchaux a bien mis en garde le couvreur de ce que tout retard d'intervention de sa part engendrerait des retards dans la poursuite du chantier » et expliquait « qu'ainsi, le contrat a été signé entre les parties le 8 septembre 2016 avec pour engagement que les travaux de réfection de la toiture seraient terminés fin septembre 2016, et le maître de l'ouvrage avait parfaite connaissance de cette situation et s'en est porté fort auprès de la société TRE architecteurs » ; qu'en estimant, pour faire droit à la demande de dommages et intérêts de la société Hôtel les maréchaux, que « l'entrepreneur doit refuser d'effectuer des travaux qu'il sait inefficaces, à défaut, le manquement à son devoir de conseil est évident et est, en l'espèce, à l'origine du préjudice de la société Hôtel les maréchaux », sans s'expliquer sur ce moyen péremptoire qui était pourtant de nature à démontrer qu'au moment du démarrage de ses travaux, il était exclu que la société TRE architecteurs ait pu avoir conscience de leur « inefficacité », la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions et violé, ce faisant, l'article 455 du code de procédure civile ; 5°/ que nul ne peut prétendre à réparation d'un préjudice de jouissance dont il est à l'origine ; qu'en l'espèce, la société TRE architecteurs faisait valoir que la société Hôtel les maréchaux avait, en sa qualité de maître de l'ouvrage, disposé dès le 8 avril 2016 d'un diagnostic de sa part décrivant précisément les problèmes de toiture et la nécessité de procéder à sa rénovation complète ; qu'elle ajoutait que cette dernière avait néanmoins fait le choix de faire démarrer les travaux en septembre 2016 en dépit des retards accumulés dans la réfection de la toiture dont elle avait connaissance et au sujet desquels, elle s'était adressée à son bailleur par courriels des 1er et 16 juin 2016 pour l'alerter des risques que ces retards pouvaient avoir sur les propres travaux de la société TRE architecteurs ; qu'en indemnisant la société Hôtel les maréchaux au titre d'un préjudice de jouissance, sans rechercher si celle-ci n'avait pas été, au moins pour partie, à l'origine de la situation de blocage du chantier ayant conduit au préjudice de jouissance en résultant pour elle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
9. En premier lieu, la cour d'appel a constaté que la réfection de la toiture qui incombait au bailleur du maître de l'ouvrage n'ayant pas été faite, les travaux de la société TRE architecteurs ne pouvaient qu'être interrompus.
10. En second lieu, elle a relevé, d'une part, que, si la société Hôtel les maréchaux connaissait l'état de la toiture avant le démarrage des travaux, la société TRE architecteurs avait seulement mentionné, dans le descriptif de ceux-ci, des ardoises à remplacer, sans prendre en compte, lorsqu'elle a établi son devis, l'importance des travaux à réaliser en toiture, d'autre part, que la date de l'intervention des couvreurs lui avait été communiquée afin qu'elle planifie certains travaux réalisables avant l'intervention sur la toiture.
11. Elle a pu en déduire, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante et répondant aux conclusions prétendument délaissées, que la société TRE architecteurs, qui avait la qualité de professionnelle, avait manqué à son obligation de conseil en démarrant, des travaux sans que la toiture ne soit réparée, et qu'elle devait, par conséquent, indemniser l'entier préjudice subi par la société Hôtel les maréchaux.
12. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.
Sur le moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
13. La société Hôtel les maréchaux fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à voir enjoindre sous astreinte à la société QBE Europe d'avoir à mettre en uvre ses garanties au titre de l'acte de cautionnement de bonne fin et d'avoir à opter, soit pour le paiement au maître de l'ouvrage des sommes nécessaires à l'achèvement de l'immeuble, soit en faisant procéder à ses frais à l'achèvement par toutes personnes de son choix, alors :
« 1°/ que dans ses conclusions d'appel, l'exposante avait demandé la mise en uvre de la garantie consentie par la société QBE Europe en faisant valoir que la société TRE architecteurs avait été défaillante dans les délais, puisqu'elle s'était engagée à terminer les travaux le 23 janvier 2017 au plus tard et qu'elle avait cessé toute intervention à compter du mois de mars 2017, sans qu'elle puisse, à cette époque, se prévaloir du rapport d'expertise établi en octobre 2018 par l'expert [T] et alors que le même expert lui avait, au contraire, enjoint d'achever sa mission dans une note aux parties datée du 6 juillet 2017 ; que la cour d'appel, qui a bien constaté cette défaillance dans les délais convenus, a néanmoins débouté la société Hôtel les maréchaux de ses demandes au titre de la garantie de bonne fin sans répondre à ce moyen pourtant essentiel soulevé par l'exposante, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ qu'il est n'était pas discuté qu'aux termes de l'acte de cautionnement de bonne fin souscrit par la société QBE Insurance Limited aux droits de laquelle vient la société QBE Europe, cette société avait la possibilité, au titre de sa garantie, soit de payer au maître d'ouvrage les sommes nécessaires à l'achèvement de l'immeuble, soit de procéder à ses frais à l'achèvement par toutes personnes de son choix ; qu'en énonçant, pour débouter l'exposante de ses demandes au titre de la garantie de bonne fin, qu'« aujourd'hui sans reprise de la toiture par le bailleur (
) il ne peut être enjoint à la société TRE architecteurs de reprendre les travaux, ni a fortiori au garant de bonne fin », la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à justifier le rejet de la demande formulée par l'exposante, au titre de la garantie de bonne fin, en paiement « des sommes nécessaires à l'achèvement de l'immeuble », a violé l'article 1134, devenu 1103 du code civil. »
Réponse de la Cour
14. La cour d'appel a rappelé que le contrat de cautionnement prévoyait que la garantie de remboursement ou de bonne fin pouvait être sollicitée en cas de défaillance du constructeur.
15. Ayant relevé qu'aussi longtemps que le bailleur de la société Hôtel les maréchaux n'avait pas procédé à la réfection de la toiture, il ne pouvait être enjoint à la société TRE architecteurs de reprendre ses travaux, elle a fait ressortir que leur interruption ne provenait pas de la défaillance du constructeur.
16. Elle en a exactement déduit, sans être tenue de répondre à un moyen que ses constatations rendaient inopérant, que la position de refus du garant de bonne fin était justifiée.
17. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le second moyen du pourvoi principal, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
18. La société TRE architecteurs fait grief à l'arrêt de rejeter l'intégralité de ses demandes, alors « que le défaut de réponse à conclusions équivaut au défaut de motifs ; qu'au cas d'espèce, la société TRE architecteurs faisait expressément valoir que « l'arrêt du chantier emporte reddition des comptes entre les parties » ; qu'elle ajoutait que « la société Hôtel les maréchaux opère une confusion entre l'édition des appels de fonds en cours de chantier et la situation telle qu'elle résulte lors de l'interruption d'un chantier [qui] génère incontestablement la production d'un décompte relatif au montant des prestations dues », de sorte que la société Hôtel les maréchaux ne pouvait lui opposer les termes du contrats imposant l'achèvement de chacune des phases de travaux avant tout règlement ; qu'en estimant, pour rejeter la demande en paiement de la société TRE architecteurs, que le paiement des appels de fonds était conditionné à la finition de chaque phase de travaux, sans s'expliquer sur ce moyen péremptoire, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions et violé, ce faisant, l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
19. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
20. Pour rejeter la demande en paiement de la société TRE architecteurs, l'arrêt retient que les travaux de plâtrerie et de carrelage ne sont pas achevés, alors que l'article 5-2 du contrat conclu par les parties prévoit que le paiement des appels de fonds est conditionné à l'achèvement de chaque phase de travaux.
21. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société TRE architecteurs, qui soutenait que la société Hôtel les maréchaux opérait une confusion entre l'édition des appels de fonds en cours de chantier et la situation qui résulte de l'interruption d'un chantier, et qu'une interruption de chantier générait incontestablement la production d'un décompte relatif au montant des prestations dues, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
22. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée entraîne la cassation des chefs de dispositif condamnant la société TRE architecteurs aux dépens de première instance et d'appel, à payer à la société Hôtel les maréchaux la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et rejetant sa demande à ce titre qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
Mise hors de cause
23. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société QBE Europe, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de la société TRE architecteurs en paiement de la somme de 46 673,72 euros, la condamne aux dépens et aux frais irrépétibles, et rejette sa demande présentée à ce dernier titre, l'arrêt rendu le 5 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Met hors de cause la société QBE Europe ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne la société Hôtel les maréchaux aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le cinq juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.