CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 5 juin 2025
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 284 F-D
Pourvoi n° D 23-14.493
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 JUIN 2025
1°/ la société HPA Holding, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée Groupe Garrigae,
2°/ la société JSB, anciennement dénommée Les Jardins de Saint-Benoît, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ la société [H] [T], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5], prise en la personne de Mme [B] [H], en sa qualité de liquidateur de la société JSB, anciennement Les Jardins de Saint-Benoît,
ont formé le pourvoi n° D 23-14.493 contre l'arrêt rendu le 9 février 2023 par la cour d'appel de Montpellier (3e chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [V] [O],
2°/ à Mme [S] [W], épouse [O],
tous deux domiciliés [Adresse 2] (Irlande),
3°/ à la société My Money Bank, société anonyme, dont le siège est [Adresse 6], anciennement dénommée GE Money Bank,
4°/ à la société [K] [Y] et [P] [I], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 3], anciennement la société civile professionnelle [J] [Y] [N] [U],
défendeurs à la cassation.
La société My Money Bank a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, quatre moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pety, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat des sociétés HPA Holding, JSB et [H] [T], ès qualités, de Me Haas, avocat de M. et Mme [O], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société My Money Bank, après débats en l'audience publique du 29 avril 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Pety, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Reprise d'instance
1. Il est donné acte à la société [H] [T], prise en la personne de Mme [H], agissant en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société JSB, anciennement dénommée Les Jardins de Saint-Benoît, de sa reprise d'instance.
Désistement partiel
2. Il est donné acte à la société HPA Holding, anciennement dénommée Groupe Garrigae, et à la société [H] [T], ès qualités, du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société civile professionnelle [K] [Y] et [P] [I], anciennement dénommée [J] [Y] [N] [U].
Faits et procédure
3. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 9 février 2023), M. et Mme [O] (les acquéreurs) ont conclu avec la société Les Jardins de Saint-Benoît (le vendeur) un contrat de réservation d'une maison meublée dans une résidence de tourisme, acte comprenant une promesse de bail commercial au profit de la société Garrigae Hotels And Resorts (le preneur).
4. Par acte authentique du 20 novembre 2007, les parties ont signé la vente en l'état futur d'achèvement de ce bien réservé au prix de 282 256 euros toutes taxes comprises, somme partiellement financée par un prêt souscrit auprès de la société GE Money Bank, devenue la société My Money Bank (la banque).
5. Par acte du 23 janvier 2012, les acquéreurs ont conclu avec le bailleur un avenant au bail mentionnant une substitution de preneur, la réduction du montant des loyers et un abandon de partie d'entre eux.
6. Dénonçant une rentabilité décevante de cette opération immobilière, les acquéreurs ont notamment assigné la société HPA Holding, auteur de la plaquette commerciale, le vendeur et la banque en annulation de la vente pour dol et paiement de dommages-intérêts.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième et quatrième moyens du pourvoi principal
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les premier et deuxième moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation et sur le quatrième moyen qui est irrecevable.
Mais sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. Le vendeur et la société HPA Holding font grief à l'arrêt de les condamner in solidum à payer à la banque la somme de 213 486 euros avec intérêts, alors « que l'interdépendance entre deux ou plusieurs contrats n'a pas pour effet de rendre indivisibles les obligations de restitution consécutives à leur anéantissement ; qu'en condamnant, après avoir prononcé la nullité du contrat de vente pour dol et la résolution consécutive du contrat de prêt souscrit pour financer l'acquisition, le vendeur et son prétendu mandataire à restituer le capital emprunté au prêteur, la cour d'appel a violé les articles 1116 et 1304 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
9. La banque conteste la recevabilité du moyen en ce qu'il est nouveau et contraire aux écritures d'appel du vendeur et de la société HPA Holding. Elle ajoute que ces derniers sont dépourvus d'intérêt à critiquer ce chef de dispositif, dès lors que l'obligation de restitution des sommes reçues s'impose à eux, indépendamment de l'identité du créancier de cette obligation.
10. Cependant, le moyen se rapportant à la détermination des débiteurs de l'obligation de restitution au prêteur du capital emprunté, ensuite de l'anéantissement du contrat de prêt affecté, en conséquence de l'annulation du contrat principal, est de pur droit.
11. Il n'est pas contraire aux écritures d'appel du vendeur et de la société HPA Holding, qui sollicitaient, à titre principal, leur mise hors de cause.
12. Enfin, le vendeur et la société HPA Holding ont intérêt à critiquer un chef de dispositif les condamnant à restituer les sommes reçues, en faisant valoir qu'ils n'étaient pas débiteurs de l'obligation de restitution.
13. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 1304 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
14. En application de ce texte, l'obligation de restitution du capital au prêteur ensuite de l'anéantissement d'un contrat de crédit affecté, consécutif à la nullité ou à la résolution du contrat principal, pèse sur l'emprunteur, partie au contrat de prêt, et non sur le vendeur, même si les fonds ont été directement versés à celui-ci à la demande de l'emprunteur et nonobstant la sûreté dont dispose le prêteur pour le paiement de l'obligation qui, reportée de plein droit sur l'obligation de restituer, subsiste jusqu'à l'extinction de celle-ci.
15. Pour condamner in solidum le vendeur et la société HPA Holding à payer à la banque la somme de 213 486 euros, l'arrêt énonce que l'annulation de plein droit du contrat de prêt, ensuite de l'annulation du contrat de vente, entraîne la restitution par le vendeur à la banque de cette somme qu'il a perçue au titre de la vente immobilière.
16. En statuant ainsi, alors que l'obligation de restitution du capital emprunté incombait, après annulation du prêt affecté, aux seuls emprunteurs, c'est-à-dire aux acquéreurs de l'immeuble, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
17. Le vendeur et la société HPA Holding font grief à l'arrêt de les condamner in solidum à payer aux acquéreurs la somme de 68 770 euros au titre de leur apport personnel, alors « que seul le vendeur peut être condamné à restituer le prix de vente consécutivement à l'annulation du contrat de vente ; qu'en condamnant la société HPA Holding, anciennement dénommée Groupe Garrigae, in solidum avec la société Les Jardins de Saint-Benoît, devenue JSB, qui avait seule conclu le contrat de vente annulé, à restituer une certaine somme correspondant au montant du prix de vente, la cour d'appel a violé les articles 1116 et 1304 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
18. La banque conteste la recevabilité du moyen en ce qu'il est nouveau et contraire aux écritures d'appel du vendeur et de la société HPA Holding. Elle ajoute que ces derniers sont dépourvus d'intérêt à critiquer ce chef de dispositif.
19. Cependant, le moyen se rapportant à la détermination des débiteurs de l'obligation de restitution aux acquéreurs de partie du prix de vente, en l'espèce leur apport personnel, ensuite de l'anéantissement du contrat de vente, est de pur droit.
20. Il n'est pas contraire aux écritures d'appel du vendeur et de la société HPA Holding, qui sollicitaient, à titre principal, leur mise hors de cause.
21. Enfin, la société HPA Holding, qui n'était pas venderesse, a intérêt à critiquer un chef de dispositif la condamnant à restituer, in solidum avec le vendeur, les sommes reçues à ce titre.
22. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 1304 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
23. Il résulte de ce texte que la nullité emporte anéantissement rétroactif du contrat et la remise des parties dans l'état antérieur à la conclusion de celui-ci, ce qui donne lieu à des restitutions réciproques entre elles.
24. Pour condamner la société HPA Holding, in solidum avec le vendeur, à payer aux acquéreurs la somme de 68 770 euros avec intérêts au taux légal, l'arrêt énonce qu'ensuite de l'annulation de la vente, la restitution de leur apport personnel doit être ordonnée.
25. En statuant ainsi, alors que la société HPA Holding n'avait pas la qualité de partie au contrat de vente, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
26. La banque fait grief à l'arrêt de rejeter la demande indemnitaire qu'elle forme à l'encontre de toutes parties succombantes au titre de la perte des intérêts qu'elle aurait dû percevoir en exécution du prêt, alors « que le dol commis dans la formation du contrat constitue une faute délictuelle susceptible d'engager la responsabilité de son auteur à l'égard des tiers au contrat ; qu'en retenant, pour débouter la société My Money Bank de sa demande en indemnisation de la perte des intérêts du prêt à la suite de l'annulation de la vente, que la partie de bonne foi au contrat de vente annulée pouvait seule demander la condamnation de la partie fautive à réparer le préjudice qu'elle a subi en raison de la conclusion du contrat annulé, la cour d'appel a violé l'article 1382 ancien devenu 1240 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
27. En application de ce texte, à la suite de l'annulation d'un contrat de prêt accessoire à un contrat de vente, la banque est fondée à être indemnisée au titre de la restitution des intérêts échus, à se prévaloir de la perte de chance de percevoir les intérêts à échoir et à être indemnisée au titre de la restitution des frais (3e Civ., 1er juin 2017, pourvoi n° 16-14.428, publié).
28. Pour rejeter la demande indemnitaire de la banque ensuite de la perte des intérêts échus et à échoir consécutive à l'anéantissement du prêt accessoire à la vente, elle-même annulée pour dol du vendeur, l'arrêt énonce, après avoir rappelé les termes de l'article 1382 du code civil, que la partie de bonne foi au contrat de vente annulé peut seule demander la condamnation de la partie fautive à réparer le préjudice qu'elle a subi en raison de la conclusion du contrat annulé.
29. En statuant ainsi, par des motifs d'ordre général et impropres à exclure l'existence du préjudice invoqué par la banque résultant de la perte des intérêts échus, de celle des intérêts à échoir et des frais, par l'effet de l'anéantissement rétroactif du prêt consécutif à l'annulation pour dol du vendeur du contrat de vente, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Mise hors de cause
30. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la banque ni les acquéreurs dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi incident, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement :
- en ce qu'il condamne in solidum les sociétés Les Jardins de Saint-Benoît, devenue la société JSB, et HPA Holding, antérieurement dénommée Groupe Garrigae, à payer à la société My Money Bank, anciennement dénommée GE Money Bank, la somme de 213 486 euros avec intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation en première instance,
- en ce qu'il condamne la société HPA Holding, in solidum avec la société Les Jardins de Saint-Benoît, à payer à M. et Mme [O] la somme de 68 770 euros au titre de la restitution de leur apport personnel,
- et en ce qu'il rejette la demande indemnitaire de la société My Money Bank au titre de la perte des intérêts conventionnels,
l'arrêt rendu le 9 février 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société My Money Bank ni M. et Mme [O] ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le cinq juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.