LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 4 juin 2025
Cassation partielle
M. BARINCOU, conseiller le plus ancien
faisant fonction de président
Arrêt n° 569 F-D
Pourvoi n° C 24-12.886
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 JUIN 2025
M. [L] [P], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 24-12.886 contre l'arrêt rendu le 19 décembre 2023 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant à la société [G], société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Maitral, conseiller référendaire, les observations de la SCP Poupet & Kacenelenbogen, avocat de M. [P], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société [G], après débats en l'audience publique du 5 mai 2025 où étaient présents M. Barincou, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, Mme Maitral, conseiller référendaire rapporteur, Mme Douxami, conseiller, et Mme Thuillier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 19 décembre 2023), M. [P], engagé en qualité de chef de projet par la société [G] le 16 novembre 2010, occupait en dernier lieu les fonctions de directeur de division des activités nucléaires en France.
2. Licencié pour faute grave et pour insuffisance professionnelle le 11 octobre 2017, il a saisi la juridiction prud'homale de demandes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
3. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dire que le licenciement repose sur une faute grave et de le débouter de ses demandes d'indemnité compensatrice de congés payés, d'indemnité de licenciement et de rappel de salaires pendant la période de mise à pied à titre conservatoire, alors « que seuls les faits rendant impossible le maintien d'un salarié dans l'entreprise constituent une faute grave ; que la cour d'appel a constaté que M. [P] reconnaissait avoir récupéré le 22 juillet 2017 dans les locaux loués par son employeur des documents appartenant à la société [W] [G] et fils pour aider Mme [S], à la demande de M. [G], qui faisait l'objet d'une mesure de mise à pied conservatoire et que M. [P] n'avait pas sollicité l'autorisation de son employeur pour venir récupérer les documents et ne l'aurait pas informé de la situation et de la teneur des documents emportés ; que la cour d'appel a ensuite constaté que par arrêt du 31 mars 2023, la cour d'appel de Colmar avait jugé le licenciement de Mme [S] était sans cause réelle et sérieuse, que la société [G] "reprochait à la salariée d'avoir organisé sans autorisation la soustraction illicite de dossiers propriétés de l'entreprise et que la cour d'appel a considéré que la SAS [G] ne démontrait pas cette soustraction de documents qui lui appartenaient" ; qu'en retenant cependant, pour juger fondé le licenciement de M. [P], que "force est de constater que le grief invoqué contre M. [P] est différent puisqu'il lui est reproché un manquement à son obligation de loyauté résultant d'une participation à une action illicite et nuisible à l'employeur" avant d'énoncer "qu'il résulte de ces éléments que l'employeur rapporte la preuve du manquement à l'obligation de loyauté invoqué dans la lettre de licenciement", sans expliquer en quoi le fait, pour M. [P], d'avoir aidé Mme [S] à récupérer les affaires de M. [G] constituait une "participation à une action illicite", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail :
4. La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
5. Pour dire que le licenciement du salarié reposait sur une faute grave, l'arrêt constate, d'abord, que, dans la lettre de licenciement du 11 octobre 2017, l'employeur reproche au salarié d'avoir manqué à son obligation de loyauté en se présentant dans les locaux de l'entreprise le samedi 22 juillet 2017 pour aider une autre salariée, Mme [S], à vider le bureau d'un collègue mis à pied à titre conservatoire, en emportant divers caisses, cartons et sacs.
6. Il relève, ensuite, que l'employeur ne démontre pas la soustraction de documents qui lui appartenait, qu'il reprochait à Mme [S], mais ajoute que le grief invoqué contre le salarié est différent puisqu'il lui est reproché un manquement à son obligation de loyauté résultant d'une participation à une action illicite et nuisible à l'employeur.
7. Il retient, enfin, que l'employeur rapporte la preuve du manquement à l'obligation de loyauté invoqué dans la lettre de licenciement.
8. En se déterminant ainsi sans s'expliquer sur le caractère illicite ou nuisible à l'employeur de l'action à laquelle le salarié avait participé, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne la société [G] à payer à M. [P] la somme de 3 902,78 euros bruts au titre de la prime variable pour l'année 2017 et la somme de 390,27 euros bruts au titre des congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2023, l'arrêt rendu le 19 décembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne la société [G] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [G] et la condamne à payer à M. [P] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le quatre juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.