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04/06/2025 | FRANCE | N°24-80.700

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle - formation restreinte hors rnsm/na, 04 juin 2025, 24-80.700


N° P 24-80.700 F-D

N° 00762


GM
4 JUIN 2025


CASSATION


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 4 JUIN 2025



M. [M] [N] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Nancy, chambre correctionnelle, en date du 21 décembre 2023, qui, pour dégradation aggravée

, l'a condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Gouton, co...

N° P 24-80.700 F-D

N° 00762


GM
4 JUIN 2025


CASSATION


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 4 JUIN 2025



M. [M] [N] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Nancy, chambre correctionnelle, en date du 21 décembre 2023, qui, pour dégradation aggravée, l'a condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Gouton, conseiller, les observations de Me Guermonprez, avocat de M. [M] [N], et les conclusions de M. Crocq, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 mai 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Gouton, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.



Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [M] [N] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef de dégradation d'un bien d'utilité publique pour avoir, alors qu'il était en garde à vue, tracé, avec son pouce, sur les murs de sa cellule, diverses inscriptions, dont un dessin d'un gilet de sécurité avec la mention « GJ » en son centre, la phrase « la police tue » et plusieurs prénoms, suivis du signe = et des mots « violence étatique ».

3. L'intéressé a indiqué qu'il avait ainsi voulu, par un acte militant, politique et symbolique, à l'instar, historiquement, des détenus politiques, témoigner, pour la défense de la liberté d'expression, de son passage en un lieu, au demeurant déjà dégradé, où sont retenues des personnes qui critiquent des institutions obéissant aux ordres du procureur, de la justice et de l'État profond.

4. Par jugement du 4 mars 2022, le tribunal correctionnel a condamné l'intéressé à un travail d'intérêt général.

5. M. [N] a relevé appel de cette décision. Le ministère public a formé appel incident.

Examen des moyens

Enoncé des moyens

6. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [N] coupable du délit de dégradation ou détérioration d'un bien par inscription, signe ou dessin, alors :

« 1°/ que l'incrimination d'un comportement constitutif d'une infraction pénale peut, dans certaines circonstances, constituer une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression, compte tenu de la nature et du contexte de l'agissement en cause ; qu'en retenant, par principe, qu'aucun motif légitime ne peut jamais justifier la dégradation des murs d'une cellule de garde à vue, quels que soient les mobiles militants et politiques du prévenu, que sa garde à vue soit ou non régulière et proportionnée, la cour d'appel a violé les articles 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;




2°/ que l'incrimination d'un comportement constitutif d'une infraction pénale peut, dans certaines circonstances, constituer une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression, compte tenu de la nature et du contexte de l'agissement en cause ; que l'arrêt ayant constaté que les inscriptions avaient été portées sur les murs de la cellule de garde à vue par le prévenu « sans outil dès lors qu'il avait utilisé uniquement son pouce », et M. [N] ayant souligné, sans être contredit, que la cellule, qualifiée d'« ignoble », « présentait déjà un aspect sale et dégradé lors de son placement dans cette dernière », la cour d'appel, en considérant qu'aucun mobile militant ou politique ni aucune circonstance de fait tenant aux conditions de sa détention ne pouvait justifier les dégradations commises, a violé les articles 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »

7. Le second moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [N]
à une peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis, alors :

« 1°/ que le prononcé d'une peine d'emprisonnement sans sursis peut, dans certaines circonstances, constituer une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression, compte tenu de la nature et du contexte de l'agissement en cause ; qu'en alourdissant la peine prononcée contre M. [N] pour avoir dégradé les murs de sa cellule de garde à vue en raison du contexte politique et militant dans lequel se sont inscrits ces agissements, la cour d'appel a violé les articles 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ensemble les articles 132-1 et 132-19 du code pénal, et 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

8. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et 593 du code de procédure pénale :

9. Il résulte du premier de ces textes que toute personne a droit à la liberté d'expression, et que l'exercice de cette liberté peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale.



10. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

11. Ainsi que le juge la Cour de cassation, l'incrimination d'un comportement constitutif d'une infraction pénale peut, dans certaines circonstances, constituer une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression, compte tenu de la nature et du contexte de l'agissement en cause (Crim., 18 mai 2022, pourvoi n° 21-86.685, publié au Bulletin).

12. Lorsque le prévenu invoque une atteinte disproportionnée à sa liberté d'expression, il appartient au juge, après s'être assuré, dans l'affaire qui lui est soumise, du lien direct entre le comportement incriminé et la liberté d'expression sur un sujet d'intérêt général, de vérifier le caractère proportionné de la déclaration de culpabilité, puis de la peine. Ce contrôle de proportionnalité nécessite un examen d'ensemble, qui doit prendre en compte, concrètement, entre autres éléments, les circonstances des faits, la gravité du dommage ou du trouble éventuellement causé.

13. Pour déclarer le prévenu coupable de dégradation d'un bien d'utilité publique commise au cours d'une garde à vue et le condamner à quatre mois d'emprisonnement avec sursis, l'arrêt attaqué relève que, durant la garde à vue, aucun motif légitime ne peut justifier les dégradations et que le prévenu ne saurait, quelles que soient ses motivations, critiquer les conditions de sa détention par des atteintes aux biens publics.

14. Les juges énoncent que le militantisme du prévenu, qui doit s'inscrire dans le respect des règles de droit, ne justifie pas les dégradations commises.

15. Ils retiennent que la poursuite n'est pas disproportionnée ni attentatoire aux droits du prévenu, quand bien même la mesure de retenue n'aurait pas été légitime ou régulière.

16. Ils ajoutent que le comportement du prévenu rend nécessaire, en tenant compte des circonstances de l'infraction et de la personnalité de l'intéressé, un avertissement sérieux de nature à permettre son amendement et à le dissuader de renouveler des délits.

17. En se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si l'incrimination pénale du comportement poursuivi ne constituait pas, en l'espèce, une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression de M. [N], la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

18. La cassation est par conséquent encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner l'autre grief.



PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nancy, en date du 21 décembre 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nancy, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Nancy et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juin deux mille vingt-cinq.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle - formation restreinte hors rnsm/na
Numéro d'arrêt : 24-80.700
Date de la décision : 04/06/2025
Sens de l'arrêt : Cassation

Publications
Proposition de citation : Cass. Crim. - formation restreinte hors rnsm/na, 04 jui. 2025, pourvoi n°24-80.700


Origine de la décision
Date de l'import : 12/06/2025
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:24.80.700
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