LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
COUR DE CASSATION
LM
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QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
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Arrêt du 4 juin 2025
RENVOI
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 509 FS-D
Affaire n° C 25-40.007
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 4 JUIN 2025
La cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 13) a transmis à la Cour de cassation, à la suite de l'ordonnance rendue le 18 mars 2025, la question prioritaire de constitutionnalité, reçue le 21 mars 2025, dans l'instance mettant en cause :
D'une part,
1°/ M. [T] [N], domicilié [Adresse 3],
2°/ la société LM & fils, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2] (Luxembourg),
D'autre part,
l'Agent judiciaire de l'Etat, domicilié [Adresse 1].
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jessel, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [N] et de la société LM & fils, de la SCP Foussard et Froger, avocat de l'Agent judiciaire de l'Etat, et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 juin 2025 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Jessel, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes de Cabarrus, Dumas, Kass-Danno, conseillers référendaires, M. Chaumont, avocat général, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Au cours d'une enquête préliminaire ouverte pour blanchiment et travail dissimulé au sein des sociétés Bodyguard et Bodyguard VIP, filiales de la société luxembourgeoise LM & fils dont M. [N] était l'associé majoritaire, le juge des libertés et de la détention a ordonné la saisie de véhicules appartenant, selon le cas, à la maison mère ou à l'associé. En exécution d'une ordonnance du 5 avril 2013, ces biens ont été remis à l'Agence de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (l'AGRASC) en vue de leur aliénation et vendus. Par un arrêt devenu définitif (Paris, 11 janvier 2021), M. [N] a été relaxé des fins de la poursuite du chef de blanchiment et condamné à une peine d'amende pour travail dissimulé. La restitution du produit de la vente des véhicules saisis a été ordonnée.
2. Le 21 juillet 2021, M. [N] et la société LM & fils ont assigné l'agent judiciaire de l'Etat (l'AJE) en responsabilité et indemnisation sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, imputant à un dysfonctionnement du service public de la justice la vente injustifiée et à vil prix des véhicules saisis.
Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
3. Par ordonnance du 18 mars 2025, le conseiller de la mise en état a transmis à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité reformulée au regard de la rédaction du texte applicable à la procédure en cause :
« En édictant les dispositions du deuxième alinéa de l'article 41-5 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010, aux termes desquelles le juge des libertés et de la détention peut autoriser la remise à l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) au cours d'une enquête, en vue de leur aliénation par l'AGRASC, le législateur a-t-il, d'une part, en l'absence de toute garantie encadrant les modalités de vente desdits avoirs par l'AGRASC, entaché ces dispositions d'incompétence négative en violation de l'article 34 de la Constitution, ainsi que privé les personnes mises en cause de leur droit de propriété en violation des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et, d'autre part, en l'absence de tout recours susceptible d'être exercé par le propriétaire desdits avoirs contre le montant de la mise à prix unilatéralement et discrétionnairement fixé par l'AGRASC, entaché ces dispositions d'incompétence négative, en méconnaissance de l'article 34 de la Constitution et du droit à un recours juridictionnel effectif, protégé par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? »
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
4. La disposition contestée prévoit, en son alinéa 2, que le juge des libertés et de la détention peut autoriser la remise à l'AGRASC, en vue de leur aliénation, des biens meubles saisis dont la conservation en nature n'est plus nécessaire à la manifestation de la vérité et dont la confiscation est prévue par la loi, lorsque le maintien de la saisie serait de nature à diminuer la valeur du bien, que s'il est procédé à la vente du bien, le produit de celle-ci est consigné et qu'en cas de classement sans suite, de non-lieu ou de relaxe, ou lorsque la peine de confiscation n'est pas prononcée, ce produit est restitué au propriétaire des objets s'il en fait la demande et, en son alinéa 3, que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant la remise à l'AGRASC aux fins d'aliénation est motivée et notifiée notamment au propriétaire qui a la possibilité d'en relever appel dans un délai de dix jours et que cet appel est suspensif.
5. Elle est applicable à la procédure à l'origine de l'action en responsabilité engagée sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de l'organisation.
6. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
7. La question est donc recevable.
8. Elle présente un caractère sérieux. En effet, si l'aliénation du bien saisi est soumise à l'autorisation du juge dont la décision est susceptible d'un appel suspensif et si la vente n'est possible qu'à la condition que le maintien de la saisie soit de nature à diminuer la valeur du bien dans l'intérêt même du propriétaire lorsque la restitution du produit de la vente est ordonnée à l'issue de la procédure, aucun recours juridictionnel n'est prévu permettant au propriétaire de contester, en cas de vente par adjudication, la mise à prix fixée par l'AGRASC, de sorte que cette disposition est susceptible de porter une atteinte disproportionnée aux droits et libertés garantis par les articles 16 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
9. En conséquence, il y a lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le quatre juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.