LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CR12
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 4 juin 2025
Cassation sans renvoi
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 401 F
Pourvoi n° K 24-12.617
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [T] [U].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation en date du 9 janvier 2024.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 4 JUIN 2025
Mme [T] [U], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 24-12.617 contre l'ordonnance rendue le 1er août 2023 par le premier président de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, dans le litige l'opposant :
1°/ au préfet de la Réunion, domicilié [Adresse 3],
2°/ au commissaire de la police aux frontières, domicilié [Adresse 4],
3°/ au procureur général près la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, domicilié en son parquet général, [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dumas, conseiller référendaire, les observations de la SCP Duhamel, avocat de Mme [U], après débats en l'audience publique du 8 avril 2025 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Dumas, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tifratine, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Saint-Denis de La Réunion, 1er août 2023), et les productions, Mme [U], en situation irrégulière sur le territoire français, a été placée en rétention administrative le 25 juillet 2023 par le préfet de police de la Réunion.
2. Le juge des libertés et de la détention a été saisi, le 27 juillet 2023, par le préfet de La Réunion en prolongation de la mesure en application de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) et, le 28 juillet 2023, par Mme [U] en mainlevée de cette mesure.
3. Par ordonnance du 28 juillet 2023, le juge des libertés et de la détention a prolongé la rétention pour une durée de 28 jours.
4. Le 31 juillet 2023, Mme [U] a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Sur la première branche du moyen
Enoncé du moyen
5. Mme [U] fait grief à l'ordonnance de déclarer son appel irrecevable, alors « que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant la rétention administrative est susceptible d'appel par l'étranger dans les vingt-quatre heures de son prononcé ; que lorsque l'étranger n'assiste pas à l'audience, le délai court pour ce dernier à compter de la notification qui lui est faite ; que le délai ainsi prévu est calculé et prorogé conformément aux articles 640 et 642 du code de procédure civile ; qu'en l'espèce, le premier président a constaté que l'ordonnance de prolongation de la rétention de Mme [U] avait été rendue le vendredi 28 juillet 2023, notifiée le jour même à 18 heures 30, et que l'appel avait été formé le lundi 31 juillet suivant, premier jour ouvrable suivant l'expiration du délai de 24 heures le samedi 29 juillet 2023 ; qu'en affirmant cependant que l'appel n'avait pas été formé "dans les délais prévus par les textes", le premier président a violé les articles R. 743-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 642 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles R. 743-10 du CESEDA et 642 du code de procédure civile :
6. Selon le premier, le délai de vingt-quatre heures dans lequel l'appel de l'ordonnance du juge du tribunal de première instance peut être formé, est calculé et prorogé conformément aux articles 640 et 642 du code de procédure civile.
7. Selon le second, tout délai expire le dernier jour à vingt-quatre heures. Le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant.
8. Pour déclarer irrecevable l'appel formé par Mme [U], après avoir constaté que la décision du juge des libertés et de la détention a été notifiée le 28 juillet 2023 à 18h30, l'ordonnance retient que cet appel, en date du 31 juillet 2023, n'a pas été formé dans les délais prévus par ces textes.
9. En statuant ainsi, alors que le 28 juillet était un vendredi, le premier président a violé les textes susvisés.
Et sur la seconde branche du moyen
Enoncé du moyen
10. Mme [U] fait le même grief à l'ordonnance, alors « que la déclaration d'appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant la rétention administrative est transmise par tout moyen au greffe de la cour d'appel qui l'enregistre avec mention de la date et de l'heure ; qu'en l'espèce, Mme [U] a interjeté appel de l'ordonnance du vendredi 28 juillet 2023 prolongeant sa rétention administrative par un courriel envoyé à la cour d'appel le lundi 31 juillet suivant par la Cimade, association habilitée par le ministre de l'intérieur à intervenir en rétention sur le fondement de l'article R. 744-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que le premier président a constaté que la cour d'appel avait bien reçu ce courriel et que celui-ci, "comme les pièces, manifestaient clairement sa volonté de faire appel" ; qu'en jugeant cependant l'appel irrecevable aux motifs que la boîte courriel de la Cimade "ne saurait être utilisée pour envoyer des appels, sauf à créer de multiples confusions ; il existe plusieurs boîtes dédiés au greffe de la cour d'appel dont sont parfaitement informés les conseils du ressort et en dehors du ressort ; ni la trace d'une signature, pas plus que la référence faite dans le courriel en cause de transmission de l'intéressée, ne permettent de s'assurer de l'origine de l'appel ; enfin, la police de l'air et des frontières, principale intéressée avec les services du préfet n'ont pas été destinataires, ce qui jette un doute sur une volonté de faire appel ; le fait que l'appel peut être formé par tous moyens, encore faut-il s'assurer de son origine ; enfin, un M. [E], faisant état d'une qualité de juriste, ne saurait remplacer un avocat dont l'activité est strictement encadrée" ; qu'en statuant ainsi, tandis que l'appelant était, de façon certaine, Mme [U], et que la Cimade, par l'intermédiaire de laquelle son appel a été interjeté par courriel adressé à la cour d'appel, est habilitée par le ministre de l'intérieur à assister les étrangers en rétention, le premier président a ajouté à la loi, qui permet d'interjeter appel par tout moyen, des conditions que celle-ci ne prévoit pas, violant dès lors l'article R. 743-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article R. 743-11 du CESEDA :
11. Selon ce texte, la déclaration d'appel est transmise par tout moyen au greffe de la cour d'appel.
12. Pour déclarer l'appel irrecevable, l'ordonnance retient que la déclaration d'appel de Mme [U] a été expédiée par une boîte mail de la Cimade, qui ne saurait être utilisée pour envoyer des appels, sauf à créer de multiples confusions, qu'il n'y a pas, dans le courriel, de signature permettant de s'assurer de l'origine de l'appel et que les parties adverses n'en ont pas été destinataires.
13. En statuant ainsi, alors qu'il ressort des pièces de la procédure que la déclaration d'appel, signée par Mme [U] et manifestant clairement sa volonté de faire appel, avait été adressée au greffe de la cour d'appel et que la Cimade s'était bornée, conformément à sa mission, à en assurer la transmission par mail, le premier président a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
14. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
15. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, dès lors que les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 1er août 2023, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande.
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le quatre juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.