LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CC
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 4 juin 2025
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 398 F-D
Pourvoi n° S 24-12.094
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme [N] [R].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 18 juillet 2024.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 4 JUIN 2025
1°/ La commune de [Localité 4], dont le siège est [Adresse 2], prise en la personne de son maire en excercice,
2°/ M. [Z] [T], domicilié [Adresse 2], agissant en sa qualité de maire de la commune de [Localité 4],
ont formé le pourvoi n° S 24-12.094 contre l'arrêt rendu le 8 novembre 2023 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme [N] [R], épouse [H], domiciliée sci [Adresse 3],
2°/ à la compagnie d'assurances Abeille iard et santé, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Aviva assurance,
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme de Cabarrus, conseiller référendaire, les observations de la SARL Gury & Maitre, avocat de la commune de [Localité 4], ès qualités, et de M. [T], ès qualités, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Abeille iard et santé, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme [H], après débats en l'audience publique du 8 avril 2025 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme de Cabarrus, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tifratine, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 8 novembre 2023), après avoir fait une chute, le 29 novembre 2018, au cours d'un événement organisé par
M. [G] dans des locaux appartenant à la commune de [Localité 4] (la commune), Mme [H] a assigné en responsabilité et indemnisation devant un tribunal judiciaire M. [G], la commune et son maire, M. [T].
2. La commune et son maire ont soulevé l'incompétence de la juridiction judiciaire pour statuer sur les demandes de Mme [H].
Examen des moyens
Sur le quatrième moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
3. La commune et son maire font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à dire le tribunal judiciaire incompétent pour connaître des demandes de Mme [H] et la renvoyer à mieux se pourvoir, alors :
« 1°/ que la réparation de dommages causés par un agent public ne peut être demandée au juge judiciaire que lorsqu'ils trouvent leur origine dans une faute personnelle de cet agent ; que présentent le caractère d'une faute personnelle détachable des fonctions de maire des faits qui révèlent des préoccupations d'ordre privé, qui procèdent d'un comportement incompatible avec les obligations qui s'imposent dans l'exercice de fonctions publiques ou qui, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis, revêtent une particulière gravité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé qu'elle n'avait pas à rechercher si l'accident cause du dommage s'était produit lors d'une réunion d'informations ou d'un cours de gymnastique ; qu'en statuant ainsi, alors que les obligations de M. [T] et la gravité de leur éventuelle inexécution n'étaient pas les mêmes selon le type d'événement que la salle devait accueillir, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III ;
2°/ qu'en l'espèce, pour retenir que M. [T] avait commis une faute personnelle, la cour d'appel a jugé que la remise par ce dernier des clefs de la salle communale à M. [G] "fonctionnait avec l'apparence d'une gestion personnelle déconnectée de ses obligations de service au profit d'un intérêt, celui de M. [G]" ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à établir les préoccupations d'ordre privé qui auraient animé M. [T], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III. »
Réponse de la Cour
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III :
4. Il résulte de ces textes que présentent le caractère d'une faute personnelle détachable des fonctions de maire des faits qui révèlent des préoccupations d'ordre privé, qui procèdent d'un comportement incompatible avec les obligations qui s'imposent dans l'exercice de fonctions publiques ou qui, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis, revêtent une particulière gravité.
5. Pour écarter l'exception d'incompétence, l'arrêt retient que M. [T], en sa qualité de maire, a, sans état des lieux préalable ni vérification de la souscription d'une assurance, remis les clefs de la salle des fêtes de sa commune à M. [G] pour une activité privée, n'étant pas exercée au sein d'une association, celle-ci ayant été créée postérieurement à l'accident et sans demande de rétribution, alors que, selon le règlement intérieur, seules les associations communales peuvent bénéficier de la gratuité de la mise à disposition, les clefs devant être remises par le secrétariat de la mairie, qu'il n'a pas signé la moindre convention et qu'il a commis ainsi une faute personnelle détachable de son service, fonctionnant avec l'apparence d'une gestion personnelle totalement déconnectée de ses obligations de service au profit d'un intérêt privé, celui de M. [G].
6. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser une faute personnelle détachable des fonctions de maire de M. [T], la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il joint les procédures et reçoit l'intervention volontaire de la société Abeille iard et santé, l'arrêt rendu le 8 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bastia, autrement composée ;
Condamne Mme [H] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le quatre juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.