N° H 25-82.239 F-D
N° 00909
SB4
3 JUIN 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 3 JUIN 2025
M. [R] [W] [X] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 4e section, en date du 7 mars 2025, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'assassinats et tentatives, a ordonné la prolongation exceptionnelle de sa détention provisoire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Cavalerie, conseiller, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de M. [R] [W] [X], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 3 juin 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Cavalerie, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 9 août 1982, un groupe d'hommes a fait irruption dans un restaurant parisien situé [Adresse 1], a fait exploser un engin dans l'établissement et, à l'aide d'armes automatiques, a ouvert le feu sur les personnes présentes et sur des passants, avant de prendre la fuite. Plusieurs personnes ont été tuées et d'autres, en nombre plus élevé, ont été blessées.
3. Le même jour, une information a été ouverte des chefs d'homicides volontaires et tentatives et infractions à la législation sur les armes.
4. Un mandat d'arrêt international a été délivré le 20 février 2015 contre M. [R] [W] [X], lequel, remis aux autorités françaises, a été mis en examen et placé en détention provisoire, sous mandat de dépôt criminel, le 5 décembre 2020.
5. Par arrêt du 27 novembre 2024, la chambre de l'instruction a ordonné la prolongation exceptionnelle de sa détention provisoire pour une durée de quatre mois.
6. Le 19 février 2025, le juge des libertés et de la détention a saisi la chambre de l'instruction d'une nouvelle requête tendant à la prolongation exceptionnelle de la détention provisoire pour une durée de quatre mois, en application de l'article 145-2 du code de procédure pénale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la prolongation de la détention provisoire de M. [W] [X] pour une durée de quatre mois à partir de l'expiration du délai de la dernière prolongation de la détention, alors :
« 1°/ que constitue un seul crime le fait coupable unique procédant d'une même intention, commis dans les mêmes circonstances de temps et de lieu et entraînant les mêmes conséquences pénales, même s'il a entrainé une pluralité de victimes, de sorte que le deuxième alinéa de l'article 145-2 du code de procédure pénale prévoyant l'allongement de la durée de la détention provisoire du mis en examen à quatre ans en cas de pluralité de crimes, n'est pas applicable ; qu'en retenant que M. [W] [X] était poursuivi pour une pluralité de crimes de sorte que la durée maximale de la détention provisoire, indépendamment des prolongation exceptionnelle régie par le troisième alinéa de cette disposition, était de quatre ans, au motif inopérant qu'il avait été mis en examen pour l'assassinat et la tentative d'assassinat de plusieurs personnes, sans rechercher comme elle y était invitée (mémoire, p. 9, § 5 et 6) si les infractions alternativement qualifiées d'assassinats et de tentatives d'assassinats selon que les victimes avaient ou non trouvées la mort, n'avaient pas été causées par une seule et même action criminelle à l'occasion d'une scène unique de crime, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 145-2 du code de procédure pénale et a méconnu I'article 593 de ce code ;
2°/ que lorsqu'il excède un délai raisonnable, le maintien à l'iso|ement d'une personne placée en détention provisoire peut constituer un traitement inhumain ou dégradant prohibée par l'article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en excluant que le maintien à l'isolement de M. [W] [X] dans le cadre de sa détention provisoire constituait un traitement inhumain ou dégradant, lorsqu'elle elle avait relevé qu'il souffrait de troubles psychiatriques depuis sa détention, sans rechercher comme elle y était invitée si la durée de cette mesure n'était pas susceptible d'avoir conféré à celle-ci la nature d'un traitement inhumain ou dégradant, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifé sa décision au regard de l'article 3 de la Convention précitée et a méconnu l'article 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que pour apprécier le caractère raisonnable du délai de détention provisoire le juge doit prendre en considération les conditions dans lesquelles celle-ci se déroule effectivementet en particulier le prononcé, et le cas échéant la durée, d'une mesure d'isolement ; qu'en se bornant à retenir que la durée de la détention provisoire et le recours à cette mesure sont proportionnés à la nature de l'affaire et aux investigations qu'elle a nécessité et compatibles avec la situation personnelle de M. [W] [X] et partant que la durée de la détention provisoire n'excède pas le caractère raisonnable prévu par les dispositions des articles du code de procédure pénale et 5 § 3 dela Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, sans rechercher comme elle y était invitée si, compte tenu de sa durée, la mesure de placement de M. [W] [X] à l'isoIement n'était pas de nature à rendre déraisonnable la durée de sa détention provisoire, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifé sa décision au regard de l'articles 144-1 du code de procédure pénale ensemble l'article 5 § 3 de la convention précitée et a méconnu l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
8. Pour écarter l'argumentation de la personne mise en examen selon laquelle l'alinéa 2 de l'article 145-2 du code de procédure pénale n'était pas applicable, de sorte que la détention provisoire ne pouvait être prolongée, à titre exceptionnel, en application de l'alinéa 3 dudit article, l'arrêt attaqué, après avoir énuméré les faits d'assassinats et de tentatives d'assassinats reprochés à la personne mise en examen, énonce notamment que M. [W] [X] est mis en examen pour plusieurs crimes au préjudice de différentes victimes.
9. Les juges en déduisent que l'article 145-2 alinéa 2 peut recevoir application et qu'en conséquence, la détention provisoire peut être prolongée, pour une seconde fois, au delà de quatre ans.
10. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application de l'article 145-2, alinéa 2, du code de procédure pénale, qui n'exige pas, lorsque la personne est poursuivie pour plusieurs crimes mentionnés aux livres II et IV du code pénal, que ces derniers procèdent d'actions criminelles distinctes.
11. Le grief peut dès lors être écarté.
Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
12. Pour rejeter l'argumentation de la personne mise en examen selon laquelle son maintien à l'isolement constituerait un traitement inhumain ou dégradant, en violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, et devait être pris en compte pour apprécier le caractère déraisonnable de la durée de sa détention, l'arrêt attaqué énonce que les expertises ordonnées par le juge d'instruction ont conclu que l'état de santé physique et psychiatrique de M. [W] [X] était compatible avec la détention.
13. Les juges ajoutent que le fait que la personne mise en examen ait été placée à l'isolement relève d'une décision de l'administration pénitentiaire dans le cadre de son règlement intérieur.
14. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
15. En effet, d'une part, l'article 803-8 du code de procédure pénale ouvre à toute personne détenue provisoirement dans un établissement pénitentiaire, qui considère que ses conditions de détention sont contraires à la dignité de la personne humaine, la faculté de saisir le juge des libertés et de la détention afin qu'il soit mis fin à de telles conditions. Cette voie de recours spécifique exclut toute demande en ce sens formée dans le cadre du contentieux de la détention provisoire. Dès lors, le deuxième grief, qui fait valoir que la durée de l'isolement méconnaît l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, est irrecevable.
16. D'autre part, la personne qui, comme en l'espèce, fait l'objet d'une mesure d'isolement administratif dispose d'un recours effectif devant le juge des référés administratif, pour la contester et demander qu'il y soit mis fin. Dès lors, elle n'est pas fondée, à l'occasion d'une demande ayant trait à la détention provisoire, à se prévaloir de l'incidence d'une telle mesure sur ses conditions d'incarcération.
17. Il s'ensuit que le moyen ne saurait être accueilli.
18. Par ailleurs, l'arrêt est régulier tant en la forme qu'au regard des articles 143-1 et suivants du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du trois juin deux mille vingt-cinq.