N° Q 24-82.035 F-D
N° 00740
ODVS
3 JUIN 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 3 JUIN 2025
L'association [1] et M. [J] [H], parties civiles, ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, chambre correctionnelle, en date du 12 décembre 2022, qui les a déboutés de leurs demandes après relaxe de Mme [Z] [B] des chefs de diffamation et injures publiques envers un particulier.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Hill, conseiller, les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de l'association [1] et M. [J] [H], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 mai 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Hill, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 23 mars 2020, l'association [1] a porté plainte et s'est constituée partie civile devant le juge d'instruction du chef de diffamation publique envers un particulier, en raison des propos suivants publiés le 25 décembre 2019, sur le site 2U-trail.com, dont Mme [Z] [B] est directrice de publication, sous le titre « Guide du tricheur : spécial Grand Raid » : « Ce qui est génial dans ce guide c'est que même si tu te fais attraper, tu sembles risquer absolument rien. Dans un premier temps, ils sont bien plus occupés à voir si t'as ton tee shirt avec la marque de saucisson partenaire au niveau du Colorado. Et puis surtout si cela arrive, il ne faut surtout pas en parler ! Cela risquerait d'égratigner la réputation de cette course ».
3. Le 5 juin suivant, la même association et M. [J] [H], son président, ont porté plainte et se sont constitués partie civile, d'une part, du chef de diffamation publique envers un particulier en raison des propos suivants publiés sur le même site, le 16 avril 2020, « Alors que [J] [H] est très largement critiqué, alors que l'édition 2019 de la Diagonale des Fous a fait honte aux réunionnais, alors que la Diagonale des Fous 2020 devait être boudée, il semblerait que la crise sanitaire actuelle soit une aubaine pour le Grand Raid » ; « Les démissions s'accumulaient dans le comité de direction de l'organisation. Avec en point d'orgue, le président [H] qui claquait (enfin,) la porte, lassé par le fait qu'on puisse oser mettre sa parole en doute. Ce coup de théâtre ne durera cependant que le temps d'un week-end. Le goût du pouvoir suprême lui avait manqué » ; « Après la honte internationale de l'édition 2019 qui avait vu la grande majorité des coureurs élite se perdre après à peine 10 km de course, il paraissait compliqué pour l'organisation de séduire à nouveau ces coureurs (malgré la promesse du président [H] de prendre en charge les billets d'avion) » ; « Les locaux sont de moins en moins séduits par le Grand Raid tant le désamour avec l'organisation et notamment le président est avancé. On note donc une baisse spectaculaire des inscrits réunionnais » ; « Le président [H] a changé les règles se moquant complètement de l'intégrité de ses coureurs » ; « En effet afin d'obtenir le précieux sésame que représente le dossard il fallait s'acquitter de point qualificatifs. Cela permettait d'éviter à un novice de prendre le départ et ainsi de risquer sa santé. [J] [H] a balayé de la main cette règle afin d'accroître son nombre d'inscrits et de cacher la misère. Mais comme l'avocat est malin, il demandera à chacun des inscrits sans les points nécessaires de signer une décharge qui lui permette de ne pas être responsable » ; « Personne ne peut tirer un intérêt de cette pandémie mais force est de constater qu'elle est en train de permettre au Grand Raid de la Réunion de sauver les meubles en limitant les dégâts pour cette édition 2020. Mais au vu de l'incompétence de sa direction, on est en droit de se demander pour combien de temps ? », l'article étant illustré par une image représentant des billets de 100 dollars comportant le visage de M. [H], d'autre part, du chef d'injure publique envers un particulier, en raison des propos suivants publiés sur le même site, le 18 avril 2020 : « Coronavirus : avec [H] risque d'être une boucherie. A l'image du Tour de France, si la Diagonale des Fous a lieu en l'état, elle peut être une boucherie. Pourquoi ? Parce que l'avidité (notamment avec l'affaire [2]) et la psychorigidité des organisateurs (par rapport à ce qui est arrivé aux élites l'an dernier) me paraît dangereuse. Diagonale des Fous & coronavirus : une sécurité qui laisse désirer. » ; « Alors oui, ça fait clairement partie du charme de la diagonale des fous, mais la sécurité a pu parfois laisser à désirer. Trouvez moi un autre trail ou un Walmsley peut disparaître des radars comme ça a été le cas en 2017. Ce que je veux dire par là, c'est que ce côté un peu roots a quelque chose d'assez angoissant pour le respect sanitaire. Plus généralement, et par delà la question de la sécurité, ce qui me gêne, c'est plus l'esprit des organisateurs. Quand on va leur demander de relever la barre après une édition 2019 du grand raid absolument honteuse, ils ne changeront pas. Pire, il vous vendront ça comme un esprit trail qu'ils utilisent comme un synonyme d'amateurisme » ; « Le covid va-t-il tuer la Diagonale ? Un malheureux gâchis. La Diagonale des fous fait partie des trails les plus célèbres au monde. Avec l'UTMB et la Hardrock 100, la diagonale est assurément l'ultra à faire au moins une fois dans sa vie. Que ce soit pour l'accueil des réunionnais, leurs bons petit caris, la difficulté hallucinante de la course, la technicité de son terrain, la multiplicité des paysages et des sols (on peut aller de 3 degrés en altitude à 45 degrés quand on passe sur des roches volcaniques à la fin du parcours), elle est légendaire. Et si elle n'est aujourd'hui clairement pas dans mes cordes, elle fait partie de ce que j'ai envie de faire un jour. Et malheureusement, en raison de leur ego disproportionné, de leur incompétence non assumée et de leur avidité excessive, ses organisateurs vont finir par la tuer » ; « le covid ne va pas tuer la diagonale des fous parce qu'il s'inviterait sur le peloton (encore que..), mais plus parce qu'il mettrait en évidence les limites du système [H] », puis le 7 mai 2020, « Comment le président [H] se voit dans l'association du Grand Raid », illustré par une affiche du film « Le parrain » sur laquelle le visage de ce dernier avait été remplacé par celui de M. [H].
4. Par ordonnance d'un juge d'instruction, les deux plaintes ayant été jointes et Mme [B] ayant été mise en examen, celle-ci a été renvoyée devant le tribunal correctionnel des chefs susvisés.
5. Par jugement du 2 décembre 2021, le tribunal a rejeté l'exception de nullité de la poursuite, a relaxé Mme [B] et a prononcé sur les intérêts civils.
6. Seules les parties civiles ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
7. Le moyen n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté l'association [1] et M. [H] de leurs demandes de réparation civile contre Mme [B], alors :
« 1°/ que toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation ; qu'en retenant que les propos tenus dans l'article du 25 décembre 2019 ne portaient sur aucun fait précis et, en conséquence, ne sauraient être diffamatoires, quand pourtant cet article contenait une imputation précise selon laquelle les organisateurs de la course « Diagonale des Fous » favorisaient et faciliteraient la tricherie de la part des joueurs et seraient, à tous le moins, négligents et dépourvus de sérieux à ce sujet, la cour d'appel a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
2°/ que toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation ; qu'en retenant que les propos tenus dans l'article du 16 avril 2020 ne portaient sur aucun fait précis et, en conséquence, ne sauraient être diffamatoires, quand pourtant cet article contenait une imputation précise selon laquelle les organisateurs de la course « Diagonale des Fous » étaient incompétents, se moquaient de l'intégrité des joueurs, avaient très mal géré la course, et plus particulièrement son édition 2019, avaient fait honte à l'événement et avaient entraîné une grande insatisfaction et plusieurs démissions, la cour d'appel a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. »
3°/ que toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure ; qu'en retenant que les propos tenus dans l'article du 18 avril 2020 n'étaient pas injurieux, quand pourtant y étaient fustigées « l'avidité » et la « psychorigidité » des responsables de la course « Diagonale des Fous », M [H] étant nommément cité, la cour d'appel a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
4°/ que toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure ; qu'en retenant que le détournement de l'affiche du film « The Godfather » (titre français : « Le Parrain ») avec le portait de M [H] en parrain de la mafia, l'assimilant ainsi à un chef mafieux, n'était pas injurieuse, en se fondant sur la considération, inopérante, selon laquelle il était évident qu'en réalité, il n'était pas un chef délinquant, la cour d'appel a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
5°/ que le droit à la réputation des personnes mises en cause, en tant qu'élément de la vie privée, est protégé et garanti et doit ainsi, le cas échéant, être mis en balance avec le droit à la liberté d'expression ; qu'en se bornant à se référer au droit à la liberté d'expression et à la liberté de l'information et, le cas échéant, par motifs éventuellement adoptés, au droit à la critique satirique, sans les mettre en balance avec le droit à la réputation de la ou des personnes mises en cause par les propos et images dont les victimes soutenaient qu'ils étaient injurieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 8 et 10, combinés, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en ses deux premières branches
9. Pour rejeter l'existence de fautes civiles imputables à Mme [B], l'arrêt attaqué retient, par motifs propres et adoptés, s'agissant des propos poursuivis des 25 décembre 2019 et 16 avril 2020, que les premiers juges ont, par des motifs exacts et suffisants, déduit des circonstances de la cause les conséquences juridiques qui s'imposaient en relaxant la prévenue pour des propos et des caricatures qui s'inscrivaient dans le domaine de la liberté d'expression et d'information qui constituent des libertés fondamentales limitées uniquement par l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
10. Les juges ajoutent qu'en l'espèce il n'existe aucune imputation d'un fait précis susceptible de faire l'objet d'un débat probatoire contradictoire.
11. En prononçant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
12. En effet, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer, en considération du sens et de la portée des propos poursuivis, que les appréciations critiques faites par la prévenue sur l'organisation du trail par l'association [1] et M. [H] n'étaient pas susceptibles de porter atteinte à leur honneur ou d'entacher leur considération personnelle ou professionnelle pour les motifs qui suivent.
13. D'une part, les propos du 25 décembre 2019, selon lesquels les organisateurs de la course « Diagonale des Fous » favoriseraient et faciliteraient la tricherie de la part des participants, ne font état d'aucun fait précis pouvant leur être imputé.
14. D‘autre part, s'agissant des risques que les organisateurs auraient fait courir aux coureurs, il est précisé dans les propos litigieux que les « novices » doivent signer une décharge, ce dont il résulte que le risque n'était pas caché, et les autres propos démontrent qu'un tel risque fait partie intégrante de cette épreuve.
15. Dès lors, les griefs doivent être écartés.
Sur le second moyen, pris en ses trois dernières branches
16. Pour rejeter l'existence de fautes civiles imputables à Mme [B], l'arrêt attaqué retient notamment, par motifs propres et adoptés, s'agissant des propos poursuivis du chef d'injure, que le détournement de l'affiche du film « le Parrain », sur laquelle le visage de [F] [E] a été remplacé par celui de M. [H], accompagné de la légende « comment le président [H] se voit dans l'association du Grand Raid », ne saurait dépasser les limites de la liberté d'expression, en ce que, d'une part, la réputation de l'intéressé comme membre de la « cosa nostra » est inexistante, d'autre part, ce procédé entre dans le domaine de la caricature, étant évident que les parties civiles ne peuvent pas être assimilées à un groupe de délinquants contrôlant des activités, ce d'autant que les propos poursuivis traitent des conséquences de l'épidémie de covid sur l'organisation des épreuves.
17. En statuant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
18. D'une part, les propos litigieux, consistant en des critiques, certes virulentes, des organisateurs de la course ne contiennent pas d'expressions outrageantes ou méprisantes à leur égard au sens de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881.
19. D'autre part, le photomontage en cause, relevant de la caricature, pour outrageant qu'il soit vis-à-vis de M. [H], n'a pas dépassé les limites admissibles de la liberté d'expression.
20. Dès lors, le moyen doit être écarté.
21. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du trois juin deux mille vingt-cinq.