CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 28 mai 2025
Cassation partielle
M. BOYER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 261 FS-B
Pourvoi n° F 24-16.592
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 28 MAI 2025
La société BT Home, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 1], a formé le pourvoi n° F 24-16.592 contre l'ordonnance de visites domiciliaires rendue le 6 juin 2024 par le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans le litige l'opposant à la commune de [Localité 4], représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité en [Adresse 3], [Localité 4], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, Ã l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Brillet, conseiller, les observations de la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la société BT Home, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la commune de [Localité 4], et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 1er avril 2025 où étaient présents M. Boyer, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Brillet, conseiller rapporteur, Mme Abgrall, conseiller faisant fonction de doyen, M. Pety, Mmes Foucher-Gros, Guillaudier, conseillers, M. Zedda, Mmes Vernimmen, Rat, Bironneau, M. Cassou de Saint-Mathurin, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée (délégué du premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, 6 juin 2024) et les productions, la société BT Home (la société) est propriétaire de parcelles sur lesquelles est notamment construite une maison à usage d'habitation.
2. Les services de l'urbanisme de la commune de [Localité 4] (la commune) ont dressé un procès-verbal d'infraction depuis la voie publique faisant état de travaux de construction réalisés sur ces parcelles sans autorisation administrative préalable.
3. Suivant arrêté portant ordre d'interruption immédiate des travaux, le maire de la commune a mis en demeure la gérante de la société de cesser tous les travaux entrepris en infraction avec les dispositions du code de l'urbanisme.
4. La société ayant informé la commune de son refus de lui laisser l'accès à sa propriété afin de contrôle, celle-ci a saisi un juge des libertés et de la détention sur le fondement des articles L. 461-1, L. 461-2, L. 461-3, L. 480-1 et L. 480-17 du code de l'urbanisme pour être autorisée à procéder à une visite des parcelles appartenant à la société pour y constater toutes les infractions à ce code.
Examen du moyen
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La société fait grief à l'ordonnance d'autoriser deux agents de la commune à visiter les parcelles lui appartenant, alors « que le juge des libertés et de la détention, saisi sur le fondement des articles L. 461-1 et L. 461-3 du code de l'urbanisme, ne peut autoriser une visite administrative des locaux à usage d'habitation lorsqu'elle est motivée par la recherche ou le constat d'infractions pénales ; qu'en effet, c'est seulement en vertu des articles L. 480-1 et L. 480-17 du même code que les agents qui y sont mentionnés peuvent visiter les locaux à usage d'habitation, en vue de rechercher et constater les infractions prévues par ce code, avec l'assentiment de l'occupant ou, à défaut, en présence d'un officier de police judiciaire agissant conformément aux dispositions du code de procédure pénale relatives aux visites domiciliaires, perquisitions et saisies de pièces à conviction ; qu'en autorisant la visite aux motifs, inopérants, que, d'une part, « il n'existe pas deux régimes différents d'autorisation de visite par le juge des libertés et de la détention en telle matière urbanistique et c'est bien sur le fondement de l'article L. 461-1 dudit code que le juge est fondé à autoriser une visite en l'absence de consentement des propriétaires, dans le cadre général du contrôle des conformités de travaux qui est aussi le support de la constitution des délits en matière d'urbanisme » et que, d'autre part, la requête dont il était saisi « ne mentionnait que le visa de l'article L. 461-1 du code de l'urbanisme », sans rechercher, ainsi qu'il y était invitée, si la visite pour laquelle son autorisation était sollicitée avait pour finalité de rechercher et de constater des infractions pénales au code de l'urbanisme et relevait donc des articles L. 480-1 et L. 480-17 de ce code, le premier président de la cour d'appel a violé ces articles, ensemble les L. 461-1, L. 461-3 du même code. »
Réponse de la Cour
7. Le premier président, qui a constaté que la requête ayant saisi le juge des libertés et de la détention visait l'article L. 461-1 du code de l'urbanisme, a retenu, à bon droit, que le juge des libertés et de la détention pouvait autoriser, sur ce fondement, une visite, en l'absence de consentement des propriétaires, dans le cadre général du contrôle de conformité de travaux.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
9. La société fait grief à l'ordonnance de rejeter ses demandes tendant à la contestation du déroulement des opérations de visite autorisées par le juge des libertés et de la détention et à l'annulation du procès-verbal de visite et de constat dressé à l'issue de ces opérations, alors « que toute personne a droit au respect de sa vie privée et de son domicile ; que la présence dans les lieux, au cours d'une visite domiciliaire, d'agents qui ne disposent pas d'une autorisation du juge des libertés et de la détention en application des textes régissant une telle visite caractérise une méconnaissance de ce droit ; qu'en outre, en exigeant que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention comporte « le nom et la qualité des agents habilités à procéder aux opérations de visite », l'article L. 461-3 du code de l'urbanisme implique nécessairement que des agents qui ne sont pas mentionnés dans cette ordonnance ne puissent pas entrer dans les lieux ; que sont indifférentes, à cet égard, les circonstances que la présence de ces agents serait nécessaire pour assurer la sécurité des opérations de visite ou que ceux-ci ne participeraient pas activement aux opérations de constatation et de contrôle ; qu'en l'espèce, le premier président de la cour d'appel a relevé que figuraient au procès-verbal de visite et de constat dressé le 1re décembre 2022 les noms, qualités et signatures des personnes présentes, « parmi lesquelles figurent des policiers municipaux » et « des fonctionnaires de police », lesquels n'étaient pas désignés dans l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant la visite ; que, pour écarter les demandes de la société, il a néanmoins jugé qu'il ne résultait pas des énonciations de ce procès-verbal que ces personnes auraient constaté matériellement l'existence d'infractions, et ainsi participé activement aux opérations de constatation et de contrôle, et que les tensions pouvant exister entre la société et la commune de [Localité 4] et ses agents pouvaient justifier la présence de tiers afin d'assurer le déroulement de ces opérations dans un climat apaisé ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à suppléer l'absence, pour certains agents, d'autorisation de pénétrer dans les lieux, le premier président de la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 461-3 du code de l'urbanisme, ensemble l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen, contestée par la défense
10. La commune conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est nouveau et mélangé de fait et de droit, la société n'ayant soulevé aucun moyen tiré d'une violation de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni soutenu avoir été victime d'une violation de son domicile devant le premier président de la cour d'appel.
11. Toutefois, il résulte de ses conclusions d'appel que la société a soutenu que les opérations de visite et de constat avaient été réalisées en violation des prescriptions de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention relatives aux personnes limitativement énumérées comme étant autorisées à visiter la propriété.
12. Le moyen, tiré d'une violation de l'article L. 461-3 du code de l'urbanisme, n'est donc pas nouveau.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 461-1 et L. 461-3 du code de l'urbanisme :
13. Selon le second de ces textes, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant la visite d'un domicile ou d'un local comprenant des parties à usage d'habitation, aux fins de vérification de la conformité des constructions, aménagements, installations et des travaux aux dispositions du code de l'urbanisme, comporte l'adresse des lieux à visiter, le nom et la qualité des agents habilités, en application du premier, à procéder aux opérations de visite ainsi que les heures auxquelles ils sont autorisés à se présenter.
14. Il en résulte, au regard du droit à l'inviolabilité du domicile que ces dispositions visent à concilier avec l'objectif d'intérêt général tenant au respect des règles permettant la maîtrise, par les collectivités publiques, de l'occupation des sols et du développement urbain, que seuls les agents habilités désignés par l'ordonnance du juge des libertés et de la détention sur le fondement de ces textes peuvent, sans l'assentiment exprès de l'occupant, pénétrer dans un domicile ou un local comprenant des parties à usage d'habitation.
15. Pour rejeter la demande de nullité des opérations de visite, le premier président constate que le procès-verbal a été dressé par les deux fonctionnaires nommément désignés dans l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant cette visite, et ce, en présence, et au contradictoire de l'occupant des lieux.
16. Il relève que, si la dernière page annexée comporte les noms, qualités et signatures des personnes présentes, parmi lesquelles figurent des policiers municipaux et des fonctionnaires de police, il ne résulte pas des énonciations du procès-verbal que ces derniers ont constaté matériellement l'existence d'infractions et ont ainsi participé activement aux opérations de constatations et de contrôle.
17. Il ajoute que les tensions, qu'il convenait d'éviter, pouvant exister entre la société BT Home d'une part, la mairie d'autre part, et enfin, les deux personnes autorisées à y procéder, pouvaient justifier la présence de tiers afin d'assurer le déroulement de ces opérations dans un climat apaisé.
18. En statuant ainsi, après avoir constaté que des personnes non autorisées par l'ordonnance du juge des libertés et de la détention avaient pénétré dans le domicile, objet des opérations de visite, le premier président, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
19. La cassation du chef de dispositif rejetant le recours formé contre les opérations de visite réalisées le 1er décembre 2022 et écartant les demandes d'annulation afférentes à ces opérations entraîne la cassation des chefs de dispositif statuant sur les frais irrépétibles et les dépens, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'elle rejette le recours formé contre les opérations de visite réalisées le 1er décembre 2022 et écarte toutes les demandes d'annulation afférentes à ces opérations, et en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens, l'ordonnance rendue le 6 juin 2024, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant la juridiction du premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne la commune de [Localité 4] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la commune de [Localité 4] à payer à la société BT Home la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance partiellement cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le vingt-huit mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.