COMM.
JB
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 28 mai 2025
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 291 F-D
Pourvoi n° Z 24-13.182
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 28 MAI 2025
La société Forlam, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 24-13.182 contre l'arrêt rendu le 25 janvier 2024 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 9), dans le litige l'opposant à la société Sofico, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme de Lacaussade, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la société Forlam, de la SARL Cabinet Briard, Bonichot et Associés, avocat de la société Sofico, après débats en l'audience publique du 1er avril 2025 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme de Lacaussade, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et M. Doyen, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 janvier 2024), le 16 octobre 2018, la société Sofico s'est engagée, sous diverses conditions suspensives, à céder à la société Forlam l'intégralité des actions composant le capital social de la société Vermigli.
2. Le 3 janvier 2019, après levée des conditions suspensives, l'acquisition a été réalisée et les parties ont signé le même jour une convention de garantie d'actif et de passif consentie par la société Sofico comportant, d'une part, diverses déclarations sur la situation de la société cédée, d'autre part, des engagements d'indemnisation au cas où apparaîtraient des suppléments de passif ou des diminutions d'actif postérieurement à l'acquisition par rapport aux comptes annuels 2017.
3. La société Sofico ayant contesté la réclamation formée après la cession par la société Forlam, cette dernière l'a assignée en réparation de son préjudice au titre du dol ainsi que sur le fondement de la garantie d'actif et de passif.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
5. La société Forlam fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages et intérêts sur le fondement de la garantie d'actif et de passif, alors « qu'elle avait mandaté initialement la société Eight Advisory pour qu'elle procède à un audit de la comptabilité de la société Vermigli dans le cadre de l'acquisition de cette société ; que le tribunal de commerce avait ainsi relevé que "le cessionnaire a mandaté dans le cadre de ses due diligences une société de réputation internationale Eight Advisory" ; que la société Forlam avait pour sa part rappelé que "afin de confirmer l'offre comprise dans la lettre d'intention, Forlam a mandaté la société Eight Advisory pour qu'elle procède à des due diligences sur les problématiques identifiées par Forlam et reprises dans la lettre d'intention" ; que la société Sofico, enfin, avait rappelé que l'audit financier de la société Vermigli "a été mené par la société Eight Advisory, laquelle a rendu son rapport complet le 15 novembre 2018", de sorte que "l'évaluation des stocks et de la méthode de valorisation comptable faisaient partie des diligences que Eight Advisory devaient opérer" ; qu'en retenant que le rapport établi par la société Ernst & Young était affecté d'un défaut d'impartialité parce que cette société avait "été mandatée dans le cadre de l'acquisition de la société Vermigli", quand ce n'était pas la société Ernst & Young, mais la société Eight Advisory, qui avait été mandatée pour réaliser un audit financier de la société Vermigli dans le cadre de son acquisition, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
6. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
7. Après avoir relevé que la société Forlam se prévalait d'un rapport établi par la société Ernst & Young, l'arrêt retient que cette société ayant été mandatée par la cessionnaire lors de l'acquisition de la société Vermigli, il présente un défaut d'impartialité qui impose de l'écarter.
8. En statuant ainsi, alors que les parties s'accordaient, dans leurs conclusions, pour considérer que c'était la société Eight Advisory qui avait été chargée d'une mission d'audit financier lors de la procédure d'acquisition des actions de la société Vermigli, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
9. La société Forlam fait le même grief à l'arrêt, alors « que les déclarations faites par le cédant dans les conventions de garantie d'actif et de passif constituent des garanties de conformité ; qu'en l'espèce, la société Sofico s'était engagée à indemniser la société Forlam "dans le cas où l'une quelconque des déclarations serait inexacte ou incomplète ou non respectée" ; qu'elle avait déclaré à l'article 3.1.3 de la convention de garantie d'actif et de passif que les comptes de référence étaient conformes aux principes comptables issus du plan comptable général français, qu'ils étaient "réguliers et sincères et donnaient une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de la société" ; qu'elle avait également déclaré à l'article 3.1.4.7 de la convention que "le volume et la valorisation des stocks et des encours de production de la société tels que mentionnés dans les comptes de référence représentent fidèlement l'état des stocks et encours à la date des comptes de référence" ; que la cour d'appel, par motifs propres et adoptés, a relevé l'irrégularité des comptes de la société Vermigli car le prix des produits finis était calculé en incluant le coût de la sous-activité, tandis que le coût de la sous-activité devait, selon le plan comptable général, être exclu de la valeur des stocks ; qu'en déboutant pourtant la société Forlam de sa demande de dommages et intérêts, pour la circonstance qu'elle n'aurait pas rapporté la preuve que les déclarations de la société Sofico étaient inexactes, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 1103 et 1231-1 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1103 et 1231-1 du code civil :
10. Aux termes du premier de ces textes les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
11. Selon le second, le débiteur d'une obligation contractuelle est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
12. Pour rejeter la demande de dommages et intérêts de la société Forlam fondée sur la garantie d'actif et de passif, l'arrêt, après avoir relevé, d'une part, que, selon l'article 3.2.1 a) du contrat de garantie, le garant s'obligeait, dans le cas où l'une quelconque des déclarations serait inexacte ou incomplète ou non respectée à indemniser le bénéficiaire conformément au texte de la présente convention à hauteur de l'intégralité du préjudice réel et effectif subi par la société, d'autre part, que le cédant avait déclaré au paragraphe 3.1.4.7 que les stocks de la société qui figuraient dans les comptes de référence ne faisaient l'objet d'aucune sûreté, nantissement ou privilège d'aucune sorte consentie à un tiers, que le volume et la valorisation des stocks et des encours de production de la société tels que mentionnés dans les comptes de référence représentaient fidèlement l'état des stocks et encours à la date des comptes de référence et que les stocks de la société n'avaient subi, depuis la date des comptes de référence, aucune variation autre que le cours normal des affaires et que toute détérioration, dépréciation ou perte quelconque de la valeur commerciale des stocks ou des en-cours avait fait l'objet, dans les comptes de référence, de provisions normalement évaluées et calculées, retient que la société échouait à rapporter la preuve, dont elle avait la charge, que les déclarations de la société Sofico étaient inexactes.
13. En statuant ainsi, alors qu'elle relevait par ailleurs, par motifs propres et adoptés, que la société Sofico faisait valoir que le coût de la sous-activité avait été inclus dans l'évaluation des stocks et que les comptes de la société Vermigli établis par le cédant présentaient effectivement une inexactitude découlant notamment de ce que le prix de revient des produits finis était calculé en excluant une éventuelle charge de sous-activité, contrairement à la réalité, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 janvier 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Sofico aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Sofico et la condamne à payer à la société Forlam la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le vingt-huit mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.