CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 28 mai 2025
Cassation sans renvoi
M. BOYER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 262 FS-B
Pourvoi n° A 23-20.769
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 28 MAI 2025
La société Lucas, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 4], [Localité 10], en la personne de sa gérante Mme [N] [U], domiciliée [Adresse 6], [Localité 9], a formé le pourvoi n° A 23-20.769 contre l'arrêt rendu le 15 juin 2023 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-2), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [P] [B], domicilié [Adresse 5], [Localité 8], pris en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Poly implant prothèse,
2°/ à la société Milo Finance, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 11], représentée par Mme [X] [Y], mandataire, domiciliée [Adresse 7], [Localité 11],
3°/ à la société Ajilink, [Z] et Bonetto, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 1], représentée par M. [Z], prise en sa qualité mandataire ad hoc de la société civile immobilière Lucas,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Cassou de Saint-Mathurin, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société civile immobilière Lucas, de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de M. [B], ès qualités, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 1er avril 2025 où étaient présents M. Boyer, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Cassou de Saint-Mathurin, conseiller référendaire rapporteur, Mme Abgrall, conseiller faisant fonction de doyen, MM. Pety, Brillet, Mmes Foucher-Gros, Guillaudier, conseillers, M. Zedda, Mmes Vernimmen, Rat, Bironneau, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 15 juin 2023), rendu en référé, la société civile immobilière Lucas (la SCI) a été constituée par la société Milo Finance, la société Poly implant prothèse et Mme [U] (la gérante), qui en est également la gérante.
2. Par lettre recommandée du 8 décembre 2021, M. [B], agissant en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Poly implant prothèse, a demandé à la gérante de convoquer les associés de la SCI en assemblée générale sur un ordre du jour déterminé.
3. Face au refus de la gérante, il a assigné en référé la SCI et la société Milo Finance, prise en la personne de Mme [Y], son liquidateur judiciaire, aux fins de désignation d'un mandataire ad hoc chargé de convoquer l'assemblée générale requise.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La SCI fait grief à l'arrêt de rejeter ses exceptions, notamment d'incompétence, de désigner un mandataire ad hoc, avec mission de convoquer les associés en assemblée générale pour qu'il soit délibéré sur les comptes de la SCI, de mettre la rémunération du mandataire à sa charge et de la condamner à verser au mandataire une certaine somme à titre de provision à valoir sur ses honoraires, alors « qu'en application de l'article 39 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978, l'associé d'une société civile qui conteste le rejet par le gérant de sa demande de convocation d'une assemblée générale peut solliciter la désignation d'un mandataire ad hoc du président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond, ou antérieurement au 1er janvier 2020, du président du tribunal de grande instance statuant au fond mais en la forme des référés ; qu'en l'espèce, il était stipulé dans les statuts de la SCI Lucas, conformément aux textes réglementaires, qu'une telle demande d'un associé visant à voir désigner un mandataire ad hoc devait être formée devant le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés ; qu'en jugeant néanmoins que la société Poly implant prothèse, représentée par son liquidateur, avait pu former cette demande devant le juge des référés plutôt que devant le juge statuant selon la procédure accélérée au fond, qui avait remplacé le juge du fond statuant en la forme des référés, au motif erroné qu'aucune disposition légale ou réglementaire ne prévoit que la question de la désignation d'un mandataire ad hoc relève de la procédure accélérée au fond, la cour d'appel a violé l'article 39 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978, ensemble l'article 481-1 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. M. [B], ès qualités, conteste la recevabilité du moyen, soutenant que la SCI soulève pour la première fois devant la Cour de cassation l'exception d'incompétence du juge des référés au profit du président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond tirée de l'application de l'article 39 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978.
6. Cependant, dans ses écritures d'appel, la SCI soulevait l'incompétence du juge des référés au profit du juge de la procédure accélérée au fond, invoquant une clause statutaire reprenant les dispositions de l'article 39 du décret précité.
7. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 39 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978, dans sa rédaction issue du décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019 :
8. Selon ce texte, lorsque le gérant d'une société civile s'oppose à la demande d'un associé non gérant de provoquer une délibération des associés sur une question déterminée ou garde le silence sur cette demande, l'associé demandeur peut, à l'expiration du délai d'un mois à dater de sa demande, solliciter du président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, la désignation d'un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés.
9. Pour statuer en référé sur la demande présentée par M. [B], ès qualités, tendant à la désignation d'un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés de la SCI sur des questions déterminées, l'arrêt retient que la procédure en la forme des référés, prévue par les statuts de la SCI, a été supprimée et remplacée par la procédure accélérée au fond, de sorte qu'en l'absence de disposition légale ou réglementaire permettant d'emprunter cette nouvelle voie procédurale pour la demande en cause, M. [B], ès qualités, pouvait opter pour une procédure de référé compte tenu de l'urgence de la situation.
10. En statuant ainsi, alors que la désignation d'un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés relève du seul pouvoir du président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
13. Il résulte de ce qui est dit aux paragraphes 8 à 10 que l'action de M. [B], ès qualités, qui a été présentée devant le juge des référés et non devant le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond, est irrecevable.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Infirme l'ordonnance de référé du président du tribunal judiciaire de Toulon du 19 juillet 2022 ;
Déclare irrecevable l'action de M. [B], agissant en sa qualité de liquidateur de la société Poly implant prothèse ;
Rejette les demandes formées en première instance et en appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [B], agissant en sa qualité de liquidateur de la société Poly implant prothèse, aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la Cour de cassation ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le vingt-huit mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.