SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 27 mai 2025
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 549 FS-B
Pourvoi n° X 23-23.549
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 27 MAI 2025
Mme [Y] [S], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° X 23-23.549 contre l'arrêt rendu le 20 octobre 2023 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-2), dans le litige l'opposant à la société Nalco France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Valéry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de Mme [S], de la SCP Françoise Fabiani - François Pinatel, avocat de la société Nalco France, les plaidoiries de Mes Farge et Pinatel, et l'avis de Mme Roques, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 28 avril 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Valéry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, Mmes Degouys, Lacquemant, Nirdé-Dorail, Palle, Ménard, Filliol, conseillers, Mme Pecqueur, MM. Chiron, Leperchey, conseillers référendaires, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 20 octobre 2023), Mme [S] a été engagée en qualité d'ingénieur le 11 décembre 2005 par la société Nalco France.
2. Son contrat de travail a été suspendu à plusieurs reprises à l'occasion d'arrêts de travail pour maladie et de deux congés de maternité suivis d'un congé parental d'éducation.
3. La salariée a repris le travail le 1er juillet 2016, et a été placée en arrêt de travail le 6 juillet 2016 jusqu'au 7 octobre 2016.
4. À sa reprise, elle a été déclarée apte mais dispensée d'activité par l'employeur dans l'attente du dépôt imminent d'un rapport d'enquête du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), saisi au mois de juin précédent par neuf salariés travaillant au sein de son équipe, qui avaient dénoncé une dégradation de leurs conditions de travail et l'existence de risques psychosociaux en lien avec le retour à son poste de travail.
5. Le rapport du CHSCT déposé le 16 novembre 2016, a conclu à l'existence de risques psychosociaux graves en cas de retour de la salariée à son poste de travail, tant pour les salariés que pour l'intéressée elle-même.
6. L'inspecteur du travail, saisi par la salariée, a relevé par courrier du 28 décembre 2016 que les salariés de l'équipe présentaient une inquiétude réelle, que dans ces conditions, il semblait improbable d'envisager un retour de la salariée sur son ancien poste et que la salariée elle-même serait en danger au sein de l'équipe, toujours au regard des risques psychosociaux. L'autorité administrative a invité l'employeur à fournir à la salariée une affectation dans le respect de la relation contractuelle tout en assurant la préservation de sa santé.
7. L'employeur a proposé à la salariée le 24 février 2017 un poste équivalent au sien dans un autre établissement, proposition qu'elle a refusée le 9 mars suivant.
8. La salariée a été convoquée le 17 mars 2017 à un entretien préalable à licenciement fixé au 28 mars 2017, entretien au cours duquel elle a informé l'employeur de sa grossesse.
9. La salariée a été licenciée le 24 avril 2017 pour impossibilité de maintenir le contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième, quatrième, cinquième et sixième branches
10. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches
Enoncé du moyen
11. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de nullité du licenciement et de ses demandes subséquentes, alors :
« 1°/ qu'en l'absence de faute grave non liée à l'état de grossesse l'employeur ne peut faire état de l'impossibilité où il se trouve de maintenir le contrat de travail de la salariée pour un motif étranger à la grossesse qu'en justifiant de circonstances indépendantes du comportement de la salariée ; qu'en affirmant à tort que le code du travail ne poserait pas pour règle que tout licenciement d'une femme en état de grossesse est illicite dès lors qu'il est en relation avec son comportement et en considérant que le licenciement de Mme [S], prononcé hors faute grave pendant la période de protection, bien qu'il soit fondé sur ''l'existence d'une situation de blocage'' entre celle-ci et ses collègues d'une nature telle que Mme [S] ne pouvait être maintenue sur son poste ''sans risques psychosociaux tant pour ses collègues que pour elle-même'' et par son ''refus de rejoindre un poste équivalent dans un autre établissement'', était licite, la cour d'appel a violé l'article L. 1225-4 du code du travail ;
3°/ que l'existence d'une situation de blocage entre une salariée et ses collègues d'une nature telle qu'elle ne peut être maintenue sur son poste sans risques psychosociaux pour ses collègues et pour elle-même et le refus de la salariée d'accepter une mutation, sans que ne soit constaté aucun acte objectif imputable à la salariée établissant sa responsabilité dans cette situation est insuffisante à caractériser une impossibilité pour l'employeur de maintenir le contrat de travail de la salariée pour un motif étranger à la grossesse ; qu'en se fondant sur ces seuls éléments, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1225-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
12. Selon l'article L. 1225-4 du code du travail, aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d'une salariée lorsqu'elle est en état de grossesse médicalement constaté, pendant l'intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu'elle use ou non de ce droit, et au titre des congés payés pris immédiatement après le congé de maternité ainsi que pendant les dix semaines suivant l'expiration de ces périodes.
Toutefois, l'employeur peut rompre le contrat s'il justifie d'une faute grave de l'intéressée, non liée à l'état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement. Dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail mentionnées au premier alinéa.
13. La cour d'appel, ayant constaté que, tenu par son obligation de sécurité et de prévention des risques psychosociaux, l'employeur, qui avait proposé à la salariée de rejoindre un autre poste conforme à ses compétences professionnelles et à son niveau hiérarchique dans un autre établissement qu'elle avait refusé, ne pouvait maintenir la salariée à son poste de travail sans risques psychosociaux tant pour ses collègues que pour elle-même, et que la décision de licencier l'intéressée n'était pas liée à son état de grossesse, a exactement décidé que l'employeur se trouvait dans l'impossibilité de maintenir le contrat de travail.
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
15. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, alors « qu'en affirmant ''qu'au vu des pièces versées aux débats, la preuve d'une alerte donnée à l'employeur en juillet 2012 par les délégués du personnel sur l'existence de risques psychosociaux ou de danger pour sa santé au sein de l'entreprise n'est pas rapportée. Aucune des pièces produites ne permet en effet de confirmer les allégations de Mme [S] quant à la connaissance par l'employeur de difficultés auxquelles elle aurait pu être confrontée à cette époque'' tandis que la salariée produisait un courrier de l'employeur du 23 juillet 2012 aux délégués du personnel en réponse à leur ''courrier du 4 juillet dernier concernant [Y] [K]'' dans lequel il affirmait : ''nous ne pouvons que contester vos allégations selon lesquelles [Y] [K] aurait « l'impression d'une volonté délibérée de vouloir la pousser à démissionner » ou que les remarques qu'a été contraint de lui faire [B] [U] [V] s'apparentent davantage à du harcèlement [
] Il est, en outre, par trop simpliste d'arguer de harcèlement moral dès qu'un salarié reçoit des remontrances sur l'exécution de son travail'', la cour d'appel a dénaturé par omission cet élément de preuve et violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
16. Pour débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, l'arrêt retient que la preuve d'une alerte donnée à l'employeur en juillet 2012 par les délégués du personnel sur l'existence de risques psychosociaux ou de danger pour sa santé au sein de l'entreprise n'est pas rapportée, et qu'aucune des pièces produites ne permet en effet de confirmer les allégations de la salariée quant à la connaissance par l'employeur de difficultés auxquelles elle aurait pu être confrontée à cette époque.
17. En statuant ainsi, alors que la salariée produisait une lettre adressée par l'employeur aux délégués du personnel le 23 juillet 2012 en réponse à celle du 4 juillet 2012 relative aux plaintes de la salariée pour harcèlement moral à l'égard de sa hiérarchie, la cour d'appel a violé le principe susvisé.
Et sur le second moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
18. La salariée fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en constatant d'une part qu'il était avéré que Mme [S] ne pouvait être maintenue sur son poste ''sans risques psychosociaux tant pour ses collègues que pour elle-même'', qu'il était nécessaire de lui fournir ''une affectation assurant la préservation de sa santé'' et qu' ''il est également démontré, à la lecture de ces pièces, que les reprises de travail successives de Mme [S] avaient provoqué une dégradation de son état de santé au point de l'obliger à consulter et à être placée en arrêt maladie par son médecin traitant voire à faire l'objet d'avis d'inaptitude physique'' et d'autre part que ''le postulat de l'existence d'un lien entre ses arrêts de travail, les avis d'inaptitude émis par la médecine du travail et ses conditions de travail ou l'existence de risques psychosociaux à son préjudice n'est pas démontré'' et en retenant ''l'absence d'élément permettant de faire un lien entre le préjudice donc il est demandé réparation et les griefs formulés'', la cour d'appel s'est contredite en méconnaissance des exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
19. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. La contradiction entre les motifs équivaut à un défaut de motifs.
20. Pour débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, l'arrêt retient que le postulat de l'existence d'un lien entre ses arrêts de travail, les avis d'inaptitude émis par la médecine du travail et ses conditions de travail n'est pas démontré, et que le lien entre ces conditions et la fragilité de son état de santé n'est pas établi.
21. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait par ailleurs que les reprises de travail successives de la salariée avaient provoqué une dégradation de son état de santé au point de l'obliger à consulter et à être placée en arrêt maladie par son médecin traitant, la cour d'appel, qui s'est contredite, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [S] de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et en ce qu'il statue sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 20 octobre 2023, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne la société Nalco France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Nalco France et la condamne à payer à Mme [S] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le vingt-sept mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.