N° U 24-82.660 F-B
N° 00644
RB5
20 MAI 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 20 MAI 2025
La société [2] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Colmar, chambre correctionnelle, en date du 18 janvier 2024, qui, pour infraction à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs, l'a condamnée à 3 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Maziau, conseiller, les observations de la SAS Hannotin avocats, avocat de la société [2], les observations de la SCP Poupet & Kacenelenbogen, avocat de Mme [H] [E], et les conclusions de M. Dureux, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 8 avril 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Maziau, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Mme [H] [E], salariée de la société [2], spécialisée en blanchisserie-teinturerie, a été victime, le 6 décembre 2016, d'un accident du travail alors qu'elle travaillait sur une machine dite « calandre bobine » qui lui a happé la main et l'a grièvement blessée.
3. Le 7 décembre 2016, la machine litigieuse a été placée sous scellés par les services de police et, le 12 décembre suivant, l'inspection du travail a demandé à la société [2] de faire vérifier par un organisme accrédité l'état de conformité de la sécheuse repasseuse.
4. La société [1] a remis son rapport de vérification le 23 janvier 2017.
5. Par courrier du 13 mars suivant, l'inspection du travail ayant relevé que l'absence de rigidité de la partie réglable de la table d'engagement était à l'origine de l'accident du travail, ce qui démontrait la non-conformité de l'équipement de travail, a signalé, en application de l'article 40 du code de procédure pénale, les faits au procureur de la République.
6. Le 22 décembre 2022, la société [2] a été citée devant le tribunal correctionnel des chefs de contravention de blessures involontaires et de mise à disposition de travailleur d'équipement de travail ne permettant pas de préserver sa sécurité.
7. Par jugement du 28 mars 2023, le tribunal correctionnel a constaté la prescription de l'action publique pour la contravention de blessures involontaires et déclaré la prévenue coupable pour le surplus, l'a condamnée à 3 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.
8. La société prévenue a interjeté appel. Le ministère public a interjeté appel incident.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, et le second moyen
9. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité des poursuites, alors :
« 1°/ qu'il résulte des dispositions de l'article L. 8113-7 du code du travail, qui doivent être lues à la lumière de l'instruction de la direction générale du travail du 12 septembre 2012, que les infractions relatives à la législation du travail ne peuvent être portées à la connaissance du procureur de la République par l'Inspection du travail que sous la forme du procès-verbal prévu à l'article L. 8112-1 du code du travail ; que seules les infractions relevant d'un domaine autre que le droit du travail peuvent donc être signalées en application de l'article 40 du code de procédure pénale ; qu'au cas présent, l'arrêt attaqué a cru pouvoir affirmer que « si les dispositions de l'article L 8113-7 du code du travail prévoient un cadre applicable au constat des infractions par les agents de contrôle de l'inspection du travail, de telles dispositions ne font pas obstacle à la saisine par l'inspection de travail du procureur de la République sur le fondement général de l'article 40 du code de procédure pénale qui font obligation à toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire, qui dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs » ; qu'en statuant ainsi, quand elle ne pouvait que constater que les formalités inhérentes à la procédure spéciale des articles L. 8112-1 et L. 8113-7 du code du travail, seule applicable, n'avaient pas été respectées par l'Inspection du travail, la cour d'appel de Colmar, qui a procédé par confusion des champs, pourtant parfaitement distincts, propres à, d'une part, la procédure spéciale d'information du Parquet par l'Inspection du travail quant aux infractions à la législation du travail (qui aurait dû être appliquée, au cas présent) et, d'autre part, la procédure de droit commun de signalement au Parquet des autres infractions par les agents publics (qui ne pouvait être utilisée par l'Inspection du travail en matière de prétendues infractions à la législation du travail), a méconnu le sens et la portée de l'article L. 8113-7 du code du travail ainsi que des articles 40, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'il résulte de l'article L. 8113-7, alinéa 3, du code du travail que, avant la transmission au procureur de la République, l'agent de contrôle informe la personne visée au procès-verbal des faits susceptibles de constituer une infraction pénale, ainsi que des sanctions encourues ; qu'au cas présent, la cour d'appel a cru pouvoir juger que « si les dispositions de l'article L 8113-7 du code du travail prévoient un cadre applicable au constat des infractions par les agents de contrôle de l'inspection du travail, de telles dispositions ne font pas obstacle à la saisine par l'inspection de travail du procureur de la République sur le fondement général de l'article 40 du code de procédure pénale qui font obligation à toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire, qui dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs » ; qu'en statuant ainsi, en entérinant un signalement, par l'Inspection du travail, sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale, de prétendus faits d'utilisation d'un équipement de travail non conforme, lorsque cette prétendue infraction aurait dû faire l'objet de la procédure prévue à l'article L. 8113-7 du code du travail en application duquel ladite Inspection du travail doit délivrer une information suffisante à l'employeur et le mettre en mesure de présenter ses observations avant d'informer le procureur de la République, la cour d'appel de Colmar, qui a admis une substitution illégale de cadre procédural dont il résultait, pour l'exposante, qu'elle fût privée de ses droits légalement et conventionnellement reconnus pour la phase préalable à l'information du parquet par l'Inspection du travail, a violé les droits de la défense de la société [2] tels qu'ils sont garantis par les articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, ainsi que les articles L. 8113-7 alinéa 3 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
11. Pour rejeter l'exception de nullité des poursuites, l'arrêt attaqué énonce notamment que, si les dispositions de l'article L. 8113-7 du code du travail prévoient un cadre applicable au constat des infractions par les agents de contrôle de l'inspection du travail, de telles dispositions ne font pas obstacle à la saisine par l'inspection du travail du procureur de la République sur le fondement général de l'article 40 du code de procédure pénale qui fait obligation à toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire, qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs.
12. Les juges ajoutent qu'en l'espèce, d'une part, l'inspection du travail a pu, à bon droit, saisir le procureur de la République par courrier du 13 mars 2017 pour lui signaler l'infraction de mise à disposition du travailleur d'un équipement de travail non conforme aux prescriptions techniques communes, sur le fondement des dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale, qu'elle visait expressément, d'autre part, la société [2] a pu faire valoir ses observations après que le procureur de la République les eut sollicitées sur le fondement des dispositions de l'article 77-2 du code de procédure pénale.
13. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
14. S'il est exact que la société prévenue n'a pu faire connaître à l'inspection du travail ses observations avant saisine du procureur de la République, une telle circonstance n'est pas de nature à entacher de nullité les poursuites.
15. En effet, il ne résulte ni de l'article L. 8113-7 du code du travail ni d'aucune autre disposition dudit code qu'une poursuite en matière d'infractions au code du travail doive être nécessairement exercée sur la base d'un procès-verbal de l'inspection du travail, une telle poursuite pouvant être régulièrement engagée par le ministère public avisé des faits conformément à l'article 40 du code de procédure pénale.
16. Le moyen, inopérant en ce qu'il vise l'article L. 8113-7 du code du travail qui n'a pas été appliqué en l'espèce, ne peut qu'être écarté.
17. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme que la société [2] devra payer à Mme [H] [E] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt mai deux mille vingt-cinq.