COMM.
HM
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 14 mai 2025
Cassation partielle
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 262 F-B
Pourvoi n° T 23-21.866
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 14 MAI 2025
La société Univers pharmacie, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° T 23-21.866 contre l'arrêt rendu le 30 août 2023 par la cour d'appel de Colmar (1re chambre civile, section A), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Skin'Up, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],
2°/ au procureur général près de la Cour d'appel de Colmar, domicilié en son parquet général, 9 avenue Raymond Poincaré, 68000 Colmar,
3°/ au directeur général de l'institut national de la propriété industrielle, domicilié [Adresse 1],
4°/ à la société Trajectoire, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], en la personne de M. [N] [P], prise en qualité d'administrateur judiciaire de la société Skin'Up,
5°/ à la société [C]-Florek, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [N] [C], prise en qualité de mandataire judiciaire de la société Skin'Up,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Sabotier, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Univers pharmacie, après débats en l'audience publique du 18 mars 2025 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Sabotier, conseiller rapporteur, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, et Mme Sezer, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 30 août 2023), la société Skin'up est titulaire de la marque verbale française « Skin'up » n° 3 293 789, notamment enregistrée pour désigner, en classe 3, les « préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser ; savons ; parfums, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux ; dentifrices ; Dépilatoires ; produits de démaquillage ; rouge à lèvres ; masques de beauté ; produits de rasage ; produits pour la conservation du cuir (cirages) ; crèmes pour le cuir ».
2. Le 1er octobre 2020, la société Univers pharmacie, titulaire de marques « UP skin », a présenté une demande en déchéance des droits de la société Skin'up sur sa marque n° 3 293 789 en tant qu'elle a été enregistrée pour les produits désignés en classe 3.
3. Par une décision du 23 juillet 2021, le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) a dit la demande en déchéance partiellement justifiée, la marque étant maintenue pour désigner les « huiles essentielles » et les « cosmétiques ».
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche, en tant qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de déchéance de la marque pour les huiles essentielles
Enoncé du moyen
4. La société Univers Pharmacie fait grief à l'arrêt de dire que le titulaire de la marque a démontré son usage sérieux pour les « huiles essentielles » et, en conséquence, d'écarter la demande de déchéance de la marque pour ces produits, alors « qu'encourt la déchéance de ses droits le titulaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq ans ; que l'appréciation de l'usage sérieux de la marque pour un produit implique que celui-ci soit commercialisé avec cette marque et non simplement utilisé comme composant d'un autre produit revêtu de la marque ; qu'en l'espèce, la société Univers Pharmacie faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que la société Skin'Up ne commercialisait pas des huiles essentielles, mais seulement des vêtements cosméto-textiles comprenant, à l'intérieur, des substances encapsulées, dont des huiles essentielles, pour en déduire la déchéance des droits de cette société sur la marque litigieuse pour la catégorie "huiles essentielles" ; que la cour d'appel a relevé que "les produits litigieux sont des cosméto-textiles, qui comprennent à l'intérieur du tissu différentes substances dont les huiles essentielles, et la brume amincissante, dont les huiles essentielles ne sont qu'une composante de celle-ci" ; qu'en rejetant la demande de déchéance pour la catégorie "huiles essentielles", au prétexte que les produits litigieux comportaient des huiles essentielles, la cour d'appel a confondu les produits et leurs composants, violant ainsi les articles L. 714-5 et L. 716-3 du code de la propriété intellectuelle. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 714-5 et L. 716-3 du code de la propriété intellectuelle :
5. Pour dire que le titulaire de la marque a démontré son usage sérieux pour les « huiles essentielles », l'arrêt retient qu'il ressort des documents produits que la marque a fait l'objet d'un usage sérieux pour les produits cosméto-textiles et la brume commercialisés par la société Skin'up, qui sont des cosmétiques dans la composition desquels entrent des huiles essentielles.
6. En statuant ainsi, alors que les preuves d'usage de la marque Skin'up pour commercialiser des produits cosmétiques dans la composition desquels entrent des huiles essentielles ne pouvaient en elles-mêmes valoir comme preuves d'usage de la marque pour les huiles essentielles, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le moyen, pris en sa troisième branche, en tant qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de déchéance de la marque pour les cosmétiques
Enoncé du moyen
7. La société Univers pharmacie fait grief à l'arrêt de dire que le titulaire de la marque a démontré son usage sérieux pour les « cosmétiques » et, en conséquence, d'écarter la demande de déchéance de la marque pour ces produits, alors « qu'encourt la déchéance de ses droits le titulaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq ans ; que la demande en déchéance peut porter sur une partie ou sur la totalité des produits ou des services pour lesquels la marque contestée est enregistrée ; que, si une marque a été enregistrée pour une catégorie de produits ou de services suffisamment large pour que puissent être distinguées, en son sein, plusieurs sous-catégories susceptibles d'être envisagées de manière autonome, la preuve de l'usage sérieux de la marque pour une partie de ces produits ou services n'emporte protection que pour la sous-catégorie autonome pour lesquels la marque a été effectivement utilisée ; qu'en l'espèce, la société Univers Pharmacie faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que les produits litigieux de la société Skin'up constituaient une sous-catégorie autonome de "cosméto-textiles amincissants" et qu'il convenait de prononcer la déchéance partielle pour les autres produits de la catégorie "large cosmétique" ; que la cour d'appel a relevé que "les produits litigieux sont des cosméto-textiles, qui comprennent à l'intérieur du tissu différentes substances" ; qu'en retenant que "même si le support est inhabituel, il n'en demeure pas moins que ces produits sont bien des cosmétiques" et que "les clients n'achètent pas le produit pour le textile mais pour son effet, qui rentre dans le champ de la définition du cosmétique", sans rechercher, comme elle y était invitée, si les produits pour lesquels la société Skin'up justifiait d'un usage dans les cinq dernières années n'étaient pas limités à une sous-catégorie autonome constituée des seuls produits "cosméto-textiles", et sans constater aucun usage pour les autres produits de la catégorie large "cosmétiques", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 714-5 et L. 716-3 du code de la propriété intellectuelle. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 714-5 et L. 716-3 du code de la propriété intellectuelle :
8. Aux termes du premier de ces textes, encourt la déchéance de ses droits le titulaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq ans. Selon le second, lorsque la demande ne porte que sur une partie des produits ou des services pour lesquels la marque est enregistrée, la déchéance ne s'étend qu'aux produits ou aux services concernés.
9. Ces dispositions réalisent la transposition en droit interne des articles 19, paragraphe 1, et 21 de la directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques.
10. Dans son arrêt du 22 octobre 2020, Ferrari, C-720/18 et C-721/18, la Cour de justice de l'Union européenne a interprété en ces termes la notion de « partie des produits ou services » figurant à l'article 13 de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques, rédigé dans des termes identiques à ceux de l'article 21 de la directive (UE) 2015/2436 :
« 37 S'agissant de la notion de "partie des produits ou services" visée à l'article 13 de la directive 2008/95, il y a lieu de relever que le consommateur désireux d'acquérir un produit ou un service relevant d'une catégorie de produits ou de services ayant été définie de façon particulièrement précise et circonscrite, mais à l'intérieur de laquelle il n'est pas possible d'opérer des divisions significatives, associera à une marque enregistrée pour cette catégorie de produits ou de services l'ensemble des produits ou des services appartenant à celle-ci, de telle sorte que cette marque remplira sa fonction essentielle de garantir l'origine pour ces produits ou ces services. Dans ces circonstances, il est suffisant d'exiger du titulaire d'une telle marque d'apporter la preuve de l'usage sérieux de sa marque pour une partie des produits ou des services relevant de cette catégorie homogène (voir, par analogie, arrêt du 16 juillet 2020, ACTC/EUIPO, C-714/18 P, [...] point 42).
38 En revanche, en ce qui concerne des produits ou des services rassemblés au sein d'une catégorie large, susceptible d'être subdivisée en plusieurs sous-catégories autonomes, il est nécessaire d'exiger du titulaire d'une marque enregistrée pour cette catégorie de produits ou de services d'apporter la preuve de l'usage sérieux de sa marque pour chacune de ces sous-catégories autonomes, à défaut de quoi il sera susceptible d'être déchu de ses droits à la marque pour les sous-catégories autonomes pour lesquelles il n'a pas apporté une telle preuve (voir, par analogie, arrêt du 16 juillet 2020, ACTC/EUIPO, C-714/18 P, [...] point 43). »
11. La Cour de justice a encore énoncé qu' « [e]n ce qui concerne le critère pertinent ou les critères pertinents à appliquer aux fins de l'identification d'une sous-catégorie cohérente de produits ou de services susceptible d'être envisagée de manière autonome, le critère de la finalité et de la destination des produits ou des services en cause constitue le critère essentiel aux fins de la définition d'une sous-catégorie autonome de produits » et qu' « [i]l importe, dès lors, d'apprécier de manière concrète, principalement au regard des produits ou des services pour lesquels le titulaire d'une marque a apporté la preuve de l'usage de sa marque, si ceux-ci constituent une sous-catégorie autonome par rapport aux produits et aux services relevant de la classe de produits ou de services concernée, de manière à mettre en relation les produits ou les services pour lesquels l'usage sérieux de la marque a été prouvé avec la catégorie des produits ou des services couverts par l'enregistrement de cette marque » (CJUE, arrêt Ferrari, précité, points 40 et 41).
12. Pour dire que le titulaire de la marque a démontré son usage sérieux pour les « cosmétiques », l'arrêt retient que, même si le support est inhabituel, les produits cosméto-textiles et la brume sont bien des cosmétiques puisqu'ils ont un lien, directement ou indirectement, avec la peau. L'arrêt ajoute que les publicités et le marketing réalisés autour de la marque « Skin'up » placent les produits litigieux comme des textiles de soins permettant de mincir et que les clients n'achètent pas le produit pour le textile mais pour son effet, qui rentre dans le champ de la définition du cosmétique. L'arrêt en déduit que le directeur général de l'INPI a procédé à une exacte analyse des pièces produites par la titulaire de la marque pour constater l'usage sérieux de la marque pour désigner des « cosmétiques ».
13. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les produits cosméto-textiles et leurs recharges, destinés à procurer un effet amincissant par le port de vêtements, qui étaient les seuls pour lesquels la société Skin'up justifiait d'un usage de sa marque au cours des cinq dernières années, ne constituaient pas une sous-catégorie autonome au sein de la catégorie large des « cosmétiques », la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande aux fins d'écarter certaines pièces des débats, l'arrêt rendu le 30 août 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Condamne la société Skin'up aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Skin'up à payer à la société Univers pharmacie la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le quatorze mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par le président, le conseiller rapporteur et Mme Sara greffier présent lors de la mise à disposition.