N° P 24-81.666 F-D
N° 00596
ODVS
13 MAI 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 MAI 2025
M. [F] [T] et Mme [W] [Z] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Colmar, chambre correctionnelle, en date du 8 septembre 2023, qui, pour infractions au code de l'urbanisme, les a condamnés, chacun, à quarante-cinq jours d'emprisonnement, a ordonné la remise en état des lieux, une mesure d'affichage, et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Hairon, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [F] [T] et Mme [W] [Z], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 1er avril 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Hairon, conseiller rapporteur, M. Sottet, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Mme [W] [Z] et M. [F] [T] ont entrepris des travaux de construction, qui se sont poursuivis, malgré un arrêté du maire et plusieurs procès-verbaux d'infraction dressés par les services de la commune.
3. Le tribunal correctionnel, après requalification, les a déclarés coupables d'infraction aux dispositions du plan local d'urbanisme ou du plan d'occupation des sols et de poursuite de travaux malgré une décision judiciaire ou un arrêté en ordonnant l'interruption, et les a, notamment, condamnés à un emprisonnement délictuel de quarante-cinq jours et à la démolition des constructions irrégulières sous astreinte.
4. Statuant sur les demandes de la commune, partie civile, le tribunal a, notamment, ordonné la remise en état des lieux sous astreinte.
5. Les prévenus et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur les deuxième et troisième moyens
Enoncé des moyens
7. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a refusé d'aménager la peine de quarante-cinq jours d'emprisonnement prononcée à l'encontre de M. [T], alors « que si la peine d'emprisonnement ferme est inférieure ou égale à six mois au sens de l'article D. 48-1-1 du code de procédure pénale, son aménagement est obligatoire et ce n'est qu'en cas d'impossibilité résultant de la personnalité ou de la situation du condamné que le juge peut l'écarter ; que dans ce cas, le juge doit motiver spécialement sa décision, de façon précise et circonstanciée, au regard des faits de l'espèce, de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale du condamné ; que la cour d'appel retient, pour dire n'y avoir lieu à aménagement de la peine de quarante-cinq jours d'emprisonnement prononcée, que « les absences répétées de monsieur [T] n'ont pas permis de connaître sa situation personnelle et professionnelle actuelle » ; qu'en se déterminant ainsi, lorsque que l'aménagement de peine était obligatoire, l'impossibilité de déterminer les modalités de la mesure n'étant pas de nature à y faire obstacle, la cour d'appel a violé les articles 132-19 et 132-25 du code pénal, 464-2 du code de procédure pénale dans leur rédaction issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 et 593 du code de procédure pénale. »
8. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a refusé d'aménager la peine de quarante-cinq jours d'emprisonnement prononcée à l'encontre, de Mme [Z], alors « que si la peine d'emprisonnement ferme est inférieure ou égale à six mois au sens de l'article D. 48-1-1 du code de procédure pénale, son aménagement est obligatoire et ce n'est qu'en cas d'impossibilité résultant de la personnalité ou de la situation du condamné que le juge peut l'écarter ; que dans ce cas, le juge doit motiver spécialement sa décision, de façon précise et circonstanciée, au regard des faits de l'espèce, de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale du condamné ; que la cour d'appel retient, pour dire n'y avoir lieu à aménagement de la peine de quarante-cinq jours d'emprisonnement prononcée, que « le domicile de madame [Z] demeure incertain dès lors qu'aucune mise en conformité n'est possible en l'espèce et que la démolition devra être prononcée » ; qu'en se déterminant ainsi, lorsque que l'aménagement de peine était obligatoire, l'impossibilité de déterminer les modalités de la mesure n'étant pas de nature à y faire obstacle, la cour d'appel a violé les articles 132-19 et 132-25 du code pénal, 464-2 du code de procédure pénale dans leur rédaction issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
9. Les moyens sont réunis.
Vu les articles 132-19 et 132-25 du code pénal, 464-2 du code de procédure pénale :
10. Il résulte de ces textes que si la peine d'emprisonnement ferme est inférieure ou égale à six mois au sens de l'article D. 48-1-1 du code de procédure pénale, son aménagement est obligatoire et ce n'est qu'en cas d'impossibilité résultant de la personnalité ou de la situation du condamné que le juge peut l'écarter. Dans ce cas, le juge doit motiver spécialement sa décision, de façon précise et circonstanciée, au regard des faits de l'espèce, de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale du condamné.
11. Il s'ensuit que le juge ne peut refuser d'aménager la peine au motif qu'il ne serait pas en possession d'éléments lui permettant d'apprécier la mesure d'aménagement adaptée ; dans ce cas, il doit ordonner, d'une part, l'aménagement de la peine, d'autre part, la convocation du prévenu devant le juge de l'application des peines qui déterminera cette mesure, en application de l'article 464-2, I, 1° et 2°, du code de procédure pénale.
12. Pour refuser d'aménager les deux peines de quarante-cinq jours d'emprisonnement prononcées à l'encontre des prévenus, l'arrêt attaqué énonce, d'une part, que M. [T] ne s'est pas présenté aux convocations de l'enquêteur de personnalité, d'autre part, que le domicile de Mme [Z], dont la démolition est par ailleurs ordonnée, demeure incertain.
13. En prononçant ainsi, par des motifs insuffisants à justifier l'impossibilité d'aménager la peine prononcée, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
13. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Et sur les quatrième et cinquième moyens
Enoncé des moyens
14. Le quatrième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné, au titre de l'action publique, la démolition des constructions irrégulières dans un délai de trois mois sous astreinte d'un montant de trente euros par jour de retard, alors :
« 1°/ que la mise en conformité des lieux ou des ouvrages, la démolition de ces derniers ou la réaffectation du sol, sont des mesures à caractère réel dont le prononcé est laissé à la faculté discrétionnaire des juges ; que, pour ordonner la démolition des constructions irrégulières, la cour d'appel énonce que les dispositions de l'article L. 480-5 du code de l'urbanisme présentent un caractère obligatoire ; qu'en statuant ainsi, lorsque la juridiction n'a aucune obligation de prononcer une telle mesure, la cour d'appel a violé l'article L. 480-5 du code de l'urbanisme ;
2°/ que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; qu'il doit, en matière d'urbanisme, répondre, en fonction des impératifs d'intérêt général poursuivis par cette législation, aux chefs péremptoires des conclusions des parties, selon lesquels une mesure de remise en état porterait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie familiale ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en retenant que les dispositions de l'article L. 480-5 du code de l'urbanisme présentaient un caractère obligatoire et en ne répondant ainsi pas aux conclusions des prévenus selon lesquelles une démolition porterait une atteinte disproportionnée au droit au respect de leur vie privée et familiale et à leur domicile en ce qu'elle viserait la maison d'habitation dans laquelle ils vivent avec deux de leurs enfants dont un encore mineur à charge et qu'elle impliquerait un coût financier impossible à supporter pour eux, la cour d'appel a violé les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et 593 du code de procédure pénale. »
15. Le cinquième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné, au titre de l'action civile, la démolition des constructions irrégulières et la remise en état des lieux dans un délai de trois mois, sous astreinte de trente euros par jour de retard, au bénéfice de la commune d'[Localité 1] représentée par son maire, alors :
« 1°/ que le principe de la réparation intégrale du dommage n'impose pas aux juges d'ordonner la démolition sollicitée par la partie civile mais de définir les modalités les plus appropriées à la réparation de celui-ci ; que la cour d'appel s'est référée, pour ordonner, au titre de l'action civile, la démolition des constructions irrégulières et la remise en état des lieux, aux motifs par lesquels elle a retenu que les dispositions de l'article L. 480-5 du code de l'urbanisme présenteraient un caractère obligatoire ; qu'en statuant ainsi, lorsqu'il lui appartenait de rechercher si la demande de démolition formée par la partie civile était une modalité propre à assurer la réparation de son dommage, la cour d'appel a violé les articles L. 480-5 du code de l'urbanisme, 1382 du code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; qu'il doit, en matière d'urbanisme, répondre, en fonction des impératifs d'intérêt général poursuivis par cette législation, aux chefs péremptoires des conclusions des parties, selon lesquels une mesure de remise en état porterait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie familiale ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en ne répondant pas aux conclusions des prévenus selon lesquelles une démolition porterait une atteinte disproportionnée au droit au respect de leur vie privée et familiale et à leur domicile en ce qu'elle viserait la maison d'habitation dans laquelle ils vivent avec deux de leurs enfants dont un encore mineur à charge et qu'elle impliquerait un coût financier impossible à supporter pour eux, la cour d'appel a violé les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
16. Les moyens sont réunis.
Vu les articles L. 480-5 du code de l'urbanisme et 593 du code de procédure pénale :
17. Il résulte du premier de ces textes que la remise en état des lieux, mesure à caractère réel, est laissée à l'appréciation des juges.
18. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
19. Pour confirmer la mesure de remise en état des lieux, l'arrêt attaqué énonce qu'au regard de l'infraction poursuivie, celle-ci présente un caractère obligatoire, aucune mise en conformité n'étant possible en l'espèce.
20. Les juges renvoient expressément à ces énonciations pour justifier le prononcé de cette même mesure à titre de réparation civile.
21. En statuant ainsi, de surcroît sans répondre aux conclusions des prévenus qui invoquaient une atteinte disproportionnée au droit au respect de leur vie privée et familiale, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
22. La cassation est de nouveau encourue.
Portée et conséquences de la cassation
23. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives aux peines d'emprisonnement prononcées et aux mesures de restitution ordonnées au titre de l'action publique et de l'action civile. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Colmar, en date du 8 septembre 2023, mais en ses seules dispositions relatives aux peines d'emprisonnement prononcées et aux mesures de restitution ordonnées au titre de l'action publique et de l'action civile, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Colmar autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Colmar et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du treize mai deux mille vingt-cinq.