COMM.
FM
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 7 mai 2025
Cassation sans renvoi
M. PONSOT,
conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 237 F-B
Pourvoi n° Z 23-23.850
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 7 MAI 2025
La société Rambier aménagement, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Z 23-23.850 contre l'arrêt N° RG 21/07233 rendu le 19 septembre 2023 par la cour d'appel de Montpellier (chambre commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la directrice générale des finances publiques, domiciliée direction générale des finances publiques, [Adresse 1],
2°/ au directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, domicilié [Adresse 3], agissant sous l'autorité de la directrice générale des finances publiques,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Gauthier, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Briard, Bonichot et Associés, avocat de la société Rambier aménagement, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la directrice générale des finances publiques et du directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, agissant sous l'autorité de la directrice générale des finances publiques, après débats en l'audience publique du 11 mars 2025 où étaient présents M. Ponsot, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Gauthier, conseiller rapporteur, Mme Graff-Daudret, conseiller, et M. Doyen, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 19 septembre 2023), le 2 mars 2007, la société Rambier aménagement (la société Rambier) a acquis un terrain en exonération des droits de mutation en se plaçant sous le régime de faveur prévu à l'article 1115 du code général des impôts.
2. La société Rambier a revendu le bien le 31 juillet 2013.
3. Le 10 décembre 2018, l'administration fiscale a notifié à la société Rambier une proposition de rectification remettant en cause le bénéfice de ce régime au motif que l'engagement de revendre dans un délai de quatre ans n'avait pas été respecté.
4. Après le rejet de sa réclamation contentieuse, la société Rambier a assigné l'administration fiscale aux fins de voir déclarer irrégulière, comme prescrite, la procédure de redressement, annuler la décision de rejet de sa réclamation et obtenir la décharge de l'imposition.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
5. La société Rambier fait grief à l'arrêt de juger que la procédure de redressement au titre des droits d'enregistrement de l'année 2007 prise par l'administration fiscale à son encontre n'est pas prescrite et de rejeter sa demande d'annulation de la décision de rejet du 15 mai 2020 prise par l'administration fiscale à son encontre, alors « que l'allongement du délai de prescription du droit de reprise ouvert à l'administration fiscale ne peut constituer une loi plus favorable applicable de manière rétroactive ; qu'en retenant que le principe de rétroactivité in mitius s'applique de manière générale à la matière fiscale, quand l'allongement de quatre à cinq ans du délai de prescription de l'action en recouvrement ouverte à l'administration tel qu'issu de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 ne constitue pas une disposition plus favorable au contribuable susceptible de faire l'objet d'une application immédiate aux engagements non échus, la cour a violé les articles 2 du code civil et 1115 du code général des impôts tel qu'issu de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2 du code civil :
6. Selon ce texte, la loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif.
7. Pour dire que la procédure de redressement de l'administration fiscale était régulière, l'arrêt, après avoir relevé qu'il résulte des jurisprudences judiciaire et administrative que s'applique à la matière fiscale le principe de la rétroactivité de la loi pénale plus douce, retient que l'extension, par la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010, du délai pour revendre de quatre à cinq ans, qui est favorable au contribuable, s'applique aux situations juridiques contractuelles antérieures au 11 mars 2010, date de son entrée en vigueur.
8. En statuant ainsi, alors que le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce, s'il s'applique à la matière fiscale, est cependant circonscrit aux seules pénalités fiscales constituant des sanctions qui présentent le caractère d'une punition et n'est ainsi pas applicable à une mesure qui n'a pas le caractère d'une peine, telle que l'allongement du délai de revente prévu l'article 1115 du code général des impôts, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
9. La société Rambier fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'administration ne peut jamais invoquer sa propre doctrine pour établir une imposition en violation de la loi ; qu'en retenant que le point de départ du délai de prescription de l'action en recouvrement des droits mis en suspens au titre de l'article 1115 du code général des impôts devait être fixé au cinquième anniversaire des engagements non échus à la date de l'entrée en vigueur de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 sur le seul fondement du BOI n° 7 C 2-11 du 18 avril 2011, la cour a violé les dispositions de l'article 1115 du code général des impôts dans sa version en vigueur à la date du fait générateur de l'impôt. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales :
10. Selon ce texte, il ne peut être procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration.
11. Il en résulte que les dispositions de ce texte n'ont ni pour objet ni pour effet de conférer à l'administration fiscale un pouvoir réglementaire ou de lui permettre de déroger à la loi et qu'elles ne peuvent être invoquées que par un contribuable qui conteste son imposition.
12. Pour rejeter les demandes de la société Rambier, l'arrêt retient que l'administration fiscale, dans sa doctrine administrative du 18 avril 2011 relative à l'interprétation des dispositions de la loi du 9 mars 2010, indique expressément qu'un engagement de revendre pris antérieurement à la loi du 9 mars 2010 bénéficiera du délai de cinq ans prévu par la loi et que la société Rambier est défaillante à rapporter la preuve de l'existence d'une doctrine administrative qui indiquerait que son délai a été interprété comme étant demeuré de quatre années.
13. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen, pris en sa cinquième branche
Enoncé du moyen
14. La société Rambier fait le même grief à l'arrêt, alors « que faute de disposition relative à son application dans le temps, la loi ne dispose que pour l'avenir, sauf à être qualifiée de loi de procédure ou de loi interprétative du texte antérieur ; qu'en retenant que le report du point de départ du délai de prescription de l'action en recouvrement ouverte à l'administration, du quatrième au cinquième anniversaire de l'engagement souscrit au titre de l'article 1115 du code général des impôts, était applicable aux engagements pris antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 quoique non échus à cette date, sans rechercher si les dispositions litigieuses devaient être qualifiées de loi de procédure ou de loi interprétative, la cour a violé les dispositions des articles 2 du code civil et 1115 du code général des impôts tel qu'issu de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2 du code civil et 1115 du code général des impôts :
15. Il résulte du premier de ces textes que la loi nouvelle, qui s'applique immédiatement aux effets à venir des situations juridiques non contractuelles en cours au moment où elle entre en vigueur, ne peut remettre en cause des obligations régulièrement nées à cette date et que la charge d'une imposition doit être appréciée au regard des conditions existant à la date du fait générateur de l'impôt.
16. Il résulte du second, dans sa rédaction issue de la loi n° 2007-211 du 19 février 2007 alors applicable, que pour être exonérées des droits et taxes de mutation, les personnes doivent faire connaître leur intention de revendre dans un délai de quatre ans.
17. Pour rejeter les demandes de la société Rambier, l'arrêt constate que celle-ci a acquis, le 2 mars 2007, une parcelle de terre en plaçant son acquisition sous le régime de l'article 1115 du code général des impôts et en s'engageant alors à revendre son bien dans un délai de quatre ans. Il retient que, si la revente du bien est intervenue le 31 juillet 2013, le délai imparti à la société avait été porté à cinq ans en application de la loi du 9 mars 2002 et avait donc pour terme le 2 mars 2012, ce dont il déduit que le droit de reprise de l'administration fiscale était expiré à la fin de la sixième année, soit le 31 décembre 2018.
18. En statuant ainsi, alors qu'au jour du fait générateur de l'imposition, le délai pour revendre était de quatre années, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
19. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile , il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
20. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
21. L'arrêt relève que la société Rambier a acquis un terrain le 2 mars 2007 en prenant l'engagement de le revendre dans un délai de quatre ans. Le terrain a été revendu le 31 juillet 2013.
22. Le 10 décembre 2018, l'administration fiscale a notifié à la société Rambier une proposition de rectification au titre des droits d'enregistrement concernant l'année 2007 en faisant valoir que le bien immobilier n'avait pas été vendu dans le délai requis.
23. Il résulte de ce qui précède que l'administration fiscale ne pouvait pas notifier une proposition de redressement au-delà du 31 décembre 2017.
24. Il y a donc lieu de confirmer le jugement en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 septembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Confirme le jugement en toutes ses dispositions.
Condamne la directrice générale des finances publiques, le directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, agissant sous l'autorité de la directrice générale des finances publiques, aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel de Montpellier ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la directrice générale des finances publiques, le directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, agissant sous l'autorité de la directrice générale des finances publiques, et les condamne à payer à la société Rambier aménagement la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le sept mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.