CIV. 3
CL
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 7 mai 2025
Cassation
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 238 F-D
Pourvoi n° E 23-19.324
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 MAI 2025
La société Jean Jaurès, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 4], [Localité 2], a formé le pourvoi n° E 23-19.324 contre l'arrêt rendu le 1er juin 2023 par la cour d'appel de Bordeaux (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société MAAF assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 6], [Localité 5],
2°/ à la société MMA IARD, société anonyme,
3°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles, société d'assurance mutuelle,
toutes deux ayant leur siège [Adresse 1], [Localité 3],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Schmitt, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société civile immobilière Jean Jaurès, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société MAAF assurances, et des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, après débats en l'audience publique du 25 mars 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Schmitt, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 1er juin 2023) et les productions, M. [L] a entrepris des travaux en vue de la division d'un immeuble. Le lot « menuiseries extérieures et intérieures » a été confié à la société Établissements Meyzié, assurée auprès des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles (les sociétés MMA IARD), le lot « carrelage sols-revêtements » étant confié à M. [O], assuré auprès de la société MAAF assurances.
2. Les travaux ont été réceptionnés le 20 novembre 2000. L'immeuble a été soumis au statut de la copropriété et la société civile immobilière Jean Jaurès (la SCI), qui a acquis un lot le 22 octobre 2009, a entrepris des travaux de rénovation qui ont révélé des désordres justifiant un arrêté de péril pris par le maire de la commune le 22 janvier 2010.
3. Une expertise a été ordonnée en référé le 4 mars 2010 à la demande notamment du syndicat des copropriétaires de l'immeuble et de la SCI, le premier ayant, après le dépôt de son rapport par l'expert, assigné les constructeurs et leurs assureurs aux fins d'indemnisation de ses préjudices devant un tribunal judiciaire.
4. Par un jugement du 4 juillet 2017, confirmé sur ces points par un arrêt du 28 janvier 2021, les sociétés MMA IARD et MAAF assurances ont été condamnées à payer diverses sommes au syndicat des copropriétaires.
5. Par acte du 28 septembre 2021, la SCI a assigné les sociétés MMA IARD et MAAF assurances afin d'être indemnisée de l'ensemble des préjudices personnellement subis suite aux désordres constatés dans son lot en 2009 et 2010, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs.
6. Les sociétés MMA IARD et MAAF assurances ont saisi le juge de la mise en état d'une fin de non-recevoir tirée de la forclusion de l'action.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. La SCI fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme forclose son action, alors « que l'assignation du syndicat des copropriétaires en réparation des désordres affectant l'immeuble interrompt le délai de forclusion de l'action d'un copropriétaire aux fins de réparation des préjudices personnels subis à raison desdits désordres, même si ce copropriétaire n'a pas été partie à l'instance introduite par le syndicat ; qu'en l'espèce, la SCI Jean Jaurès faisait valoir qu'une action avait été engagée par le syndicat de copropriété et par d'autres copropriétaires ayant donné lieu à un jugement rendu le 4 juillet 2017 par le tribunal de grande instance de Périgueux et à un arrêt rendu le 28 janvier 2021 par la cour d'appel de Bordeaux, qui avaient reconnu la responsabilité des entreprises ayant réalisé les travaux et la garantie de leurs assureurs, dont les sociétés MAAF et MMA, et qu'elle avait bénéficié de l'interruption du délai d'action en résultant, de sorte que l'action qu'elle avait engagée par actes des 28 et 30 septembre 2021 contre la sociétés MAAF assurances et les MMA, assureur respectivement de M. [O] et de la société Etablissements Meyzié, n'était pas prescrite ; qu'en jugeant néanmoins que puisque la SCI Jean Jaurès n'avait pas été partie à l'instance engagée par le syndicat des copropriétaires faute d'y être intervenue volontairement, elle ne pouvait opposer ces décisions qui n'avaient pas produit d'effet interruptif de forclusion à son égard, la cour a violé les articles 15 de la loi du 10 juillet 1965, 1792-4-1 et 2241 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1792-4-1 et 2241, alinéa 1er, du code civil et l'article 15, alinéa 1er, de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 :
8. Selon le premier de ces textes, toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix ans à compter de la réception des travaux.
9. Aux termes du deuxième, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.
10. Aux termes du troisième, le syndicat a qualité pour agir en justice, tant en demandant qu'en défendant, même contre certains des copropriétaires ; il peut notamment agir, conjointement ou non avec un ou plusieurs de ces derniers, en vue de la sauvegarde des droits afférents à l'immeuble.
11. Il en résulte que l'effet interruptif de forclusion attaché à l'assignation délivrée par un syndicat des copropriétaires ayant agi en réparation d'un dommage affectant les parties communes bénéficie au copropriétaire agissant en réparation d'un dommage affectant ses parties privatives lorsque ces dommages procèdent d'un même désordre, peu important que le copropriétaire n'ait pas été partie à l'instance engagée par le syndicat des copropriétaires.
12. Pour déclarer irrecevable comme forclose l'action de la SCI, l'arrêt retient que celle-ci n'était pas partie à la procédure, initiée par le syndicat des copropriétaires, ayant conduit à la reconnaissance de la responsabilité des entreprises et à la garantie de leurs assureurs par jugement du 4 juillet 2017 et arrêt d'appel du 28 janvier 2021, de sorte que ces décisions ne lui sont pas opposables et n'ont pas produit d'effet interruptif de forclusion à son égard.
13. En se déterminant ainsi, sans rechercher si les dommages dont la SCI sollicitait la réparation ne trouvaient pas leur origine dans les mêmes désordres que ceux ayant affecté les parties communes pour la réparation desquels le syndicat des copropriétaires avait agi en justice, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée ;
Condamne les sociétés MMA IARD, MMA IARD assurances mutuelles et MAAF assurances aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés MMA IARD, MMA IARD assurances mutuelles et MAAF assurances et les condamne à payer à la société civile immobilière Jean Jaurès la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le sept mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.