COMM.
HM
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 7 mai 2025
Cassation partielle
M. PONSOT, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 253 F-B
Pourvoi n° S 23-15.931
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 7 MAI 2025
1°/ M. [J] [R], domicilié [Adresse 1],
2°/ Mme [O] [R], domiciliée [Adresse 2],
3°/ la Société d'ingenierie bâtiment [D] [R], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
ont formé le pourvoi n° S 23-15.931 contre l'arrêt rendu le 13 mars 2023 par la cour d'appel de Basse-Terre (2e chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme [I] [L], domiciliée [Adresse 3],
2°/ à la société Poirier, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Maigret, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [J] [R], Mme [O] [R] et de la Société d'ingenierie bâtiment [D] [R], de la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de Mme [L] et de la société Poirier, après débats en l'audience publique du 11 mars 2025 où étaient présents M. Ponsot, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Maigret, conseiller référendaire rapporteur, Mme Graff-Daudret, conseiller, et M. Doyen, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 13 mars 2023), la Société d'ingénierie bâtiment [D]. [R] (la société [R]), SARL, a été constituée le 10 décembre 1986 par M. [Y] [R] et M. [G] [C]. A compter du 13 juillet 2004, son capital a été détenu par M. [Y] [R], son gérant, qui possédait 499 parts sociales sur 500, et par sa sur, Mme [X], qui détenait la part restante. Le 25 novembre 2010, Mme [L], compagne de M. [R], a été nommée co-gérante.
2. [Y] [R] est décédé le 23 février 2011, en laissant pour lui succéder, Mme [U] [C], son épouse, M. [J] [R], et Mme [O] [R], ses deux enfants, et Mme [L], légataire universelle en vertu d'un testament authentique du 14 janvier 2011 aux termes duquel il lui avait légué « la quotité disponible autorisée par l'article 913 du code civil. »
3. Mme [L] est demeurée gérante de la société [R] jusqu'au 30 juin 2015, date à laquelle elle a été remplacée dans ses fonctions par Mme [X].
4. Par une ordonnance du 22 janvier 2016, le juge des référés a ordonné une expertise comptable et de gestion de la société [R], à la demande de M. [J] [R] et de Mme [O] [R], agissant en leur nom propre et en leur qualité de tuteurs de Mme [U] [C], lesquels ont assigné à cette fin Mme [L] et la société [R], dont elle était encore gérante à la date de l'assignation, faisant état d'irrégularités de gestion apparues lors de l'assemblée générale qui s'était tenue le 1er octobre 2014.
5. Par une seconde ordonnance du 15 avril 2016, le juge des référés a confié à l'expert la mission de vérifier les écritures comptables de la société [R] pour les exercices 2010 à 2013 inclus, et d'examiner les relations de la société [R] avec Mme [L], au travers son entreprise personnelle Sima, avec la SCI Poirier, dont elle était associée, et avec Mme [E], sa nièce, qui était également associée puis gérante de la SCI Poirier. L'expert a déposé son rapport le 18 juin 2018.
6. Le 12 juin 2019, la société [R], M. [J] [R] et Mme [O] [R] ont assigné Mme [L] et la SCI Poirier afin de voir condamner Mme [L] notamment à payer à la société [R] diverses sommes.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. M. [J] [R] et Mme [O] [R] font grief à l'arrêt de les déclarer irrecevables en leurs demandes de condamnation formées à l'encontre de Mme [I] [L] pour le compte de la société [R] dans le cadre de l'action sociale ut singuli, alors que « l'action sociale ut singuli ne présente aucun caractère subsidiaire ; qu'en se bornant à retenir, pour juger irrecevable, pour défaut d'intérêt, l'action ut singuli exercée par les associés en réparation du préjudice subi par la société, que "l'action sociale ut singuli, exercée par les associés pour le compte de la société, est traditionnellement considérée comme une action subsidiaire" et que "M. [J] [R] et Mme [O] [R] ont agi pour le compte de la société en même temps que cette dernière, afin de solliciter l'indemnisation du même préjudice", quand les associés sont investis d'un droit propre d'agir en justice en réparation du préjudice subi par la société, qui n'est pas affecté par le seul exercice de son action par la société elle-même, la cour d'appel a violé l'article L. 223-22 du code de commerce, ensemble l'article 31 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 31 du code de procédure civile et L. 223-22, alinéa 3, du code de commerce :
8. Selon le premier de ces textes, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé.
9. Selon le second, les associés peuvent, soit individuellement, soit en se groupant dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, intenter l'action sociale en responsabilité contre les gérants.
10. Il en résulte que les associés sont investis d'un droit propre d'agir en réparation du préjudice subi par la société, lequel n'est pas affecté par l'exercice concomitant de son action par la société.
11. Pour déclarer irrecevable l'action ut singuli exercée par M. [J] [R] et Mme [O] [R] à l'encontre de Mme [L], l'arrêt, après avoir énoncé que l'action sociale ut singuli, exercée par les associés pour le compte de la société, est traditionnellement considérée comme une action subsidiaire, et relevé que M. [J] [R] et Mme [O] [R] ont agi pour le compte de la société en même temps que cette dernière, afin de solliciter l'indemnisation du même préjudice, retient que, dès lors, ceux-ci ne disposent d'aucun intérêt à agir en réparation d'un préjudice dont la société elle-même sollicite déjà la réparation.
12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables M. [J] [R] et Mme [O] [R] en leurs demandes de condamnation formées à l'encontre de Mme [I] [L] pour le compte de la société [R] dans le cadre de l'action sociale ut singuli, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 13 mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre, autrement composée ;
Condamne Mme [L] et la SCI Poirier aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [L] et la SCI Poirier et les condamne à payer à M. [J] [R], à Mme [O] [R] et à la Société d'ingénierie bâtiment [D] [R] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le sept mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.