CIV. 3
FC
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 7 mai 2025
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 248 FS-B
Pourvoi n° J 23-15.142
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 MAI 2025
1°/ la société SCEA de [Adresse 5], société civile d'exploitation agricole, dont le siège est [Adresse 5],
2°/ M. [N] [W], domicilié [Adresse 1],
3°/ Mme [I] [W], domiciliée [Adresse 3], venant aux droits de [L] [X] veuve [W],
ont formé le pourvoi n° J 23-15.142 contre l'arrêt rendu le 27 février 2023 par la cour d'appel d'Orléans (chambre civile - baux ruraux), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [H] [A], domicilié [Adresse 4],
2°/ à M. [S] [A],
3°/ à Mme [D] [T], épouse [A],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
4°/ à la société [A] et fils, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Davoine, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société SCEA de [Adresse 5], de M. [N] [W], de Mme [I] [W], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de MM. [H] et [S] [A], de Mme [T], de la société [A] et fils, et l'avis de M. Sturlèse, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 mars 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Davoine, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, Mme Oppelt, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, MM. Baraké, Pons, Choquet, conseillers référendaires, M. Sturlèse, avocat général, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 27 février 2023), par acte du 16 mai 1997, [O] [W], aux droits duquel est venue son épouse, [L] [X], a donné à bail à M. [S] [A] et Mme [D] [T], son épouse, (les preneurs) diverses parcelles de terre.
2. Le 13 décembre 2012, [L] [X] leur a délivré un congé à effet au 31 octobre 2014 aux fins de reprise pour exploitation par son fils, M. [N] [W], gérant de la société civile d'exploitation agricole de [Adresse 5] (la SCEA).
3. Les preneurs ont saisi un tribunal paritaire des baux ruraux en nullité du congé, autorisation de cession du bail à leur fils, M. [H] [A], et prorogation du bail jusqu'à leur départ en retraite.
4. Par un arrêt du 30 mars 2015, devenu irrévocable, une cour d'appel a validé le congé, ordonné la prorogation du bail jusqu'au 31 octobre 2016, fin de l'année culturale au cours de laquelle les preneurs auront atteint l'âge de la retraite, et rejeté leur demande en autorisation de céder le bail.
5. [L] [X] a délivré un nouveau congé pour le 31 octobre 2016 aux preneurs, qui ont quitté les lieux.
6. Le 25 mars 2019, les preneurs et M. [H] [A], invoquant un manquement de M. [N] [W] à son obligation d'exploiter personnellement les parcelles reprises, ont saisi un tribunal paritaire des baux ruraux en réintégration, autorisation de cession du bail et indemnisation.
7. Après le décès de [L] [X], Mme [I] [W], devenue propriétaire des parcelles, est intervenue volontairement à l'instance.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième à cinquième branches, sur le troisième moyen et sur le quatrième moyen
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
9. La SCEA, M. [N] [W] et Mme [I] [W] font grief à l'arrêt de rejeter l'intégralité de leurs demandes, de dire que M. [N] [W] a manqué à son obligation d'exploiter personnellement les parcelles reprises et d'ordonner, en conséquence, la réintégration des preneurs dans l'exploitation des parcelles objet du bail à compter du 1er novembre 2016, alors « que le congé délivré pour le terme de la prorogation du bail, celle-ci ordonnée par le jugement ayant statué sur la contestation du congé initial, ne constitue que le renouvellement du précédent congé validé, et non un congé distinct pouvant être contesté devant le tribunal paritaire ; que le contrôle a posteriori de la reprise ne peut se fonder sur un motif déjà invoqué par le preneur dans le cadre du contrôle a priori ; qu'en retenant qu'un nouveau congé à fin de reprise avait été délivré le 22 avril 2015 à effet au 31 octobre 2016, non contesté par les preneurs, à la suite de l'arrêt du 30 mars 2015 ayant statué sur le congé délivré le 13 décembre 2012, de sorte que la reprise pouvait faire l'objet d'un contrôle a posteriori, quand ce congé, délivré pour le terme de la prorogation du bail, ne pouvait être contesté devant le tribunal paritaire ni au titre du contrôle a priori de la reprise, ni au titre du contrôle a posteriori, et que la reprise à la suite du congé délivré le 13 décembre 2012 ne pouvait être contestée dans le cadre d'un contrôle a posteriori, les consorts [A] ayant invoqué le motif tiré d'un défaut de participation à l'exploitation, déjà soumis au tribunal dans le cadre du contrôle a priori, la cour d'appel a violé l'article L. 411-66 du code rural et de la pêche maritime. »
Réponse de la Cour
10. Aux termes de l'article L. 411-66, alinéa 1er, du code rural et de la pêche maritime, au cas où il serait établi que le bénéficiaire de la reprise ne remplit pas les conditions prévues aux articles L. 411-58 à L. 411-63 et L. 411-67 du code rural et de la pêche maritime, le preneur a droit soit au maintien dans les lieux si la décision validant le congé n'a pas encore été exécutée, soit à la réintégration dans le fonds ou à la reprise en jouissance des parcelles avec ou sans dommages-intérêts, soit à des dommages-intérêts.
11. A défaut d'avoir contesté le congé devant le tribunal paritaire des baux ruraux dans le délai de quatre mois à compter de sa réception, le preneur, forclos à contester cet acte, ne peut, dans le cadre d'un contrôle a posteriori prévu par ce texte, se prévaloir de l'inobservation, dont il avait eu, à l'époque, connaissance, des obligations du bénéficiaire de la reprise édictées par l'article L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime (3e Civ., 1er février 1995, pourvoi n° 92-20.843, Bull. n° 32).
12. Aux termes de l'article L. 411-58, alinéas 1er à 3, du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction antérieure au 31 décembre 2022, le bailleur a le droit de refuser le renouvellement du bail s'il veut reprendre le bien loué pour lui-même ou au profit de son conjoint, du partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité, ou d'un descendant majeur ou mineur émancipé. Toutefois, le preneur peut s'opposer à la reprise lorsque lui-même ou, en cas de copreneurs, l'un d'entre eux se trouve soit à moins de cinq ans de l'âge de la retraite retenu en matière d'assurance vieillesse des exploitants agricoles, soit à moins de cinq ans de l'âge lui permettant de bénéficier de la retraite à taux plein. Dans chacun de ces cas, le bail est prorogé de plein droit pour une durée égale à celle qui doit permettre au preneur ou à l'un des copreneurs d'atteindre l'âge correspondant. Un même bail ne peut être prorogé qu'une seule fois. Pendant cette période aucune cession du bail n'est possible. Le preneur doit, dans les quatre mois du congé qu'il a reçu, notifier au propriétaire, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, sa décision de s'opposer à la reprise ou saisir directement le tribunal paritaire en contestation de congé. Si le bailleur entend reprendre le bien loué à la fin de la période de prorogation, il doit donner de nouveau congé dans les conditions prévues à l'article L. 411-47 du code rural et de la pêche maritime.
13. Lorsque le bailleur a délivré, en application de ce texte, un nouveau congé pour reprendre le bien loué à la fin de la période de prorogation dont a bénéficié le preneur, le contrôle a posteriori de la reprise ne peut, lorsque le congé initial a été contesté par le preneur dans le cadre du contrôle a priori, se fonder sur un motif déjà invoqué par ce preneur, sauf en cas d'éléments nouveaux, qui étaient inconnus du preneur lors du contrôle a priori ou qu'il ne pouvait alors utilement opposer.
14. La cour d'appel a, d'abord, relevé qu'un nouveau congé aux fins de reprise avait été délivré le 22 avril 2015 pour le 31 octobre 2016, date de la fin de la période de prorogation et que le contrôle a priori de ce congé, qui n'avait pas été contesté par les preneurs, n'avait pas été exercé.
15. Elle a, ensuite, constaté que les preneurs soutenaient que M. [N] [W] avait manqué à son obligation d'exploiter personnellement les parcelles en consentant à son épouse un bail rural le 22 décembre 2016, faisant ainsi ressortir qu'ils invoquaient un fait nouveau, non connu d'eux durant l'instance en annulation du congé du 13 décembre 2012 comme dans les quatre mois du congé du 22 avril 2015.
16. Elle en a exactement déduit qu'elle pouvait vérifier, lors du contrôle a posteriori, si le bénéficiaire de la reprise se consacrait à l'exploitation du bien repris.
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
17. La SCEA, M. [N] [W] et Mme [I] [W] font le même grief à l'arrêt, alors « que la force majeure peut justifier un manquement du preneur à son obligation d'exploiter personnellement les biens repris ; que la fixation du seuil de surface de déclenchement du contrôle des structures postérieurement à la date d'effet du congé validé dans le cadre de l'instance ayant prononcé la prorogation du bail jusqu'à l'âge de la retraite des preneurs, qui a pour effet de priver le bénéficiaire de la reprise du régime de la déclaration préalable, présente un caractère irrésistible et imprévisible constitutif d'un cas de force majeure justifiant la non-exploitation personnelle des biens repris ; qu'en décidant que la détermination du seuil de surface de déclenchement du contrôle des structures ne peut constituer l'événement imprévisible et irrésistible entraînant pour M. [N] [W] l'obligation de faire exploiter les parcelles par un tiers, son épouse, alors qu'il lui était loisible de solliciter une autorisation d'exploiter, après avoir constaté que le seuil de surface déclenchant le contrôle des structures avait été fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles de la région Centre Val de Loire le 27 juin 2016, soit postérieurement à la date d'effet du congé validé dans le cadre de l'instance ayant prononcé la prorogation du bail jusqu'à l'âge de la retraite des preneurs, la cour d'appel a violé l'article L. 411-66 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article L. 331-2 du même code. »
Réponse de la Cour
18. La cour d'appel a, d'abord, relevé que M. [N] [W] ne contestait pas qu'il n'avait pas mis personnellement le bien repris en valeur, le faisant exploiter par son épouse, de sorte qu'il avait manqué aux obligations imposées à l'article L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime.
19. Après avoir constaté que la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014, ayant modifié l'article L. 331-2, II, du code rural et de la pêche maritime en prévoyant que, pour bénéficier du régime de la déclaration, les biens mis en valeur doivent être destinés à l'installation d'un nouvel agriculteur ou à la consolidation de l'exploitation du déclarant, dès lors que la surface totale de celle-ci après consolidation n'excédait pas le seuil de surface fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles, était entrée en vigueur le 15 octobre 2014, et que le schéma directeur régional des exploitations agricoles de la région Centre-Val de Loire, ayant fixé le seuil de surface visé par ce texte, était intervenu le 27 juin 2016, elle a, ensuite, retenu que dès la fin du mois de juin 2016, M. [N] [W] savait qu'il ne remplissait pas la condition pour bénéficier du régime de la déclaration relative au seuil de surface, et qu'ayant donné congé aux preneurs pour le 31 octobre 2016, il disposait d'un délai de quatre mois pour déposer une demande d'autorisation d'exploiter et qu'en cas de refus d'autorisation, il avait le loisir de renoncer à la reprise.
20. Elle en a exactement déduit que la détermination du seuil de surface de déclenchement du contrôle des structures ne pouvait constituer un événement imprévisible et irrésistible caractérisant un cas de force majeure exonérant M. [N] [W] de son obligation d'exploiter personnellement les parcelles reprises.
21. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
22. La SCEA, M. [N] [W] et Mme [I] [W] font grief à l'arrêt de dire que M. [H] [A] remplissait les conditions requises pour bénéficier de la cession du bail et d'ordonner en conséquence la réintégration de M. [S] [A] et de Mme [D] [T] dans l'exploitation des parcelles litigieuses à compter du 1er novembre 2016, avec cession de leurs droits à leur fils, alors « que le preneur qui a bénéficié d'une prorogation de son bail ordonnée au cours de l'instance en contestation du congé reprise délivré par le bailleur, ne peut solliciter l'autorisation de céder ce bail dans le cadre d'une action en contestation de la reprise, ultérieurement exercée sur le fondement de l'article L. 411-66 du code rural et de la pêche maritime ; qu'en décidant de faire droit, dans l'instance en contestation de la reprise initiée le 25 mars 2019 par les consorts [A], à la demande d'autorisation de cession du bail présentée par M. et Mme [A] au profit de leur fils, [H] [A], après avoir constaté que M. et Mme [A] avaient bénéficié d'une prorogation de leur bail jusqu'au 31 octobre 2016, ordonnée au cours de l'instance en contestation du congé pour reprise qui leur avait été délivré le 13 décembre 2012, la cour d'appel a violé l'article L. 411-66 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article L. 411-35 du même code. »
Réponse de la Cour
23. Selon l'article L. 411-58, alinéas 1er à 3, du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction antérieure au 31 décembre 2022, le bailleur a le droit de refuser le renouvellement du bail s'il veut reprendre le bien loué pour lui-même ou au profit de son conjoint, du partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité, ou d'un descendant majeur ou mineur émancipé. Toutefois, le preneur peut s'opposer à la reprise lorsque lui-même ou, en cas de copreneurs, l'un d'entre eux se trouve soit à moins de cinq ans de l'âge de la retraite retenu en matière d'assurance vieillesse des exploitants agricoles, soit à moins de cinq ans de l'âge lui permettant de bénéficier de la retraite à taux plein. Dans chacun de ces cas, le bail est prorogé de plein droit pour une durée égale à celle qui doit permettre au preneur ou à l'un des copreneurs d'atteindre l'âge correspondant. Un même bail ne peut être prorogé qu'une seule fois. Pendant cette période aucune cession du bail n'est possible. Le preneur doit, dans les quatre mois du congé qu'il a reçu, notifier au propriétaire, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, sa décision de s'opposer à la reprise ou saisir directement le tribunal paritaire en contestation de congé. Si le bailleur entend reprendre le bien loué à la fin de la période de prorogation, il doit donner de nouveau congé dans les conditions prévues à l'article L. 411-47 de ce code.
24. Aux termes de l'article L. 411-66, alinéa 1er, du même code, au cas où il serait établi que le bénéficiaire de la reprise ne remplit pas les conditions prévues aux articles L. 411-58 à L. 411-63 et L. 411-67 ou que le propriétaire n'a exercé la reprise que dans le but de faire fraude aux droits du preneur, notamment s'il vend le bien, le donne à ferme, ou pratique habituellement la vente de la récolte sur pied d'herbe ou de foin, le preneur a droit, soit au maintien dans les lieux si la décision validant le congé n'a pas encore été exécutée, soit à la réintégration dans le fonds ou à la reprise en jouissance des parcelles avec ou sans dommages-intérêts, soit à des dommages-intérêts.
25. Il résulte de la combinaison de ces textes que, l'interdiction de toute cession du bail posée par l'article L. 411-58 précité étant limitée à la période de prorogation du bail, un preneur qui a bénéficié d'une telle prorogation peut, après l'expiration de celle-ci, se prévaloir des dispositions de l'article L. 411-66 précité pour demander sa réintégration avec cession du bail dans les conditions de l'article L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime.
26. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société civile d'exploitation agricole de [Adresse 5], M. [N] [W] et Mme [I] [W] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société civile d'exploitation agricole de [Adresse 5], M. [N] [W] et Mme [I] [W] et les condamne in solidum à payer à MM. [H] et [S] [A], Mme [D] [T] et à la société [A] et fils la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le sept mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.