CIV. 3
FC
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 7 mai 2025
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 247 FS-B
Pourvoi n° J 22-16.518
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 MAI 2025
M. [M] [K], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° J 22-16.518 contre l'arrêt rendu le 5 mai 2022 par la cour d'appel de Rennes (chambre des baux ruraux), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [U] [B],
2°/ à Mme [S] [G] épouse [B],
tous deux domiciliés [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Davoine, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [K], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. et Mme [B], et l'avis de M. Sturlèse, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 mars 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Davoine, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, Mme Oppelt, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, MM. Baraké, Pons, Choquet, conseillers référendaires, M. Sturlèse, avocat général, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 5 mai 2022), le 14 mars 2014, M. et Mme [B], propriétaires de parcelles données à bail à M. [K] (le preneur), lui ont délivré un congé pour reprise aux fins d'exploitation par leur fils, M. [T] [B], à effet au 29 septembre 2015.
2. Le 2 juillet 2014, le preneur a saisi un tribunal paritaire des baux ruraux en annulation du congé.
3. Un sursis à statuer a été ordonné dans l'attente d'une décision définitive des juridictions administratives statuant sur le recours formé par l'exploitation agricole à responsabilité limitée [B] (l'EARL), gérée par M. [T] [B], à l'encontre de la décision préfectorale, prise le 19 octobre 2016 et confirmée le 28 février 2017, refusant de lui délivrer une autorisation d'exploiter, et un arrêt du 18 décembre 2020 d'une cour administrative d'appel a définitivement rejeté la requête de l'EARL.
4. L'instance a été reprise devant la cour d'appel.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le preneur fait grief à l'arrêt de valider le congé pour reprise, alors :
« 1°/ que l'autorité de la chose jugée dont sont revêtues les décisions de la juridiction administrative s'attache tant au dispositif qu'aux motifs qui en sont le soutien nécessaire ; qu'en affirmant, pour dire que la condition tenant à l'obligation pour le bénéficiaire de la reprise de justifier d'une situation régulière au regard du contrôle des structures était remplie, que le fait que la juridiction administrative ait confirmé la décision préfectorale du 19 octobre 2016 de refuser l'autorisation d'exploiter sollicitée par M. [B] était sans incidence sur le régime applicable pour apprécier la validité du congé de reprise, l'appréciation du régime applicable étant celui en vigueur au jour de la date d'effet du congé contrairement à la décision administrative, la cour d'appel a violé l'article 1355 du code civil, ensemble le principe de l'autorité de la chose jugée en matière administrative ;
2°/ que lorsque le sursis à statuer a été ordonné dans l'attente d'une décision définitive de la juridiction administrative sur la contestation de la décision préfectorale se prononçant sur l'autorisation d'exploiter, le bail est prorogé de plein droit jusqu'à la fin de l'année culturale pendant laquelle la décision d'autorisation d'exploiter devient définitive ; que les conditions de la reprise doivent être appréciées à la date à laquelle cette prorogation prend fin et non à celle pour laquelle le congé a été donné ; qu'en affirmant, pour dire que le bénéficiaire de la reprise remplissait la condition tenant à la conformité de sa situation au regard du contrôle des structures, que le régime applicable pour apprécier la validité du congé de reprise était celui en vigueur au jour de la date d'effet du congé, après avoir constaté que, par arrêt du 6 septembre 2018, elle avait ordonné un sursis à statuer dans l'attente d'une décision définitive des juridictions administratives statuant sur le recours formé par l'Earl [B] à l'encontre de la décision préfectorale prise le 19 octobre 2016 confirmée le 28 février 2017 par le préfet d'Ille et Vilaine, de sorte que, le bail étant prorogé de plein droit, la condition tenant à l'obligation pour le bénéficiaire de la reprise de justifier d'une situation régulière au regard du contrôle des structures devait être appréciée à la date à laquelle cette prorogation prendrait fin, la cour d'appel a violé les articles L. 411-58 et L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article L. 331-2 du même code. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article L. 411-58, alinéas 4 et 6, du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2006-870 du 13 juillet 2006, si la reprise est subordonnée à une autorisation en application des dispositions du titre III du livre III de ce code relatives au contrôle des structures des exploitations agricoles, le tribunal paritaire peut, à la demande d'une des parties ou d'office, surseoir à statuer dans l'attente de l'obtention d'une autorisation définitive. Lorsque le sursis à statuer a été ordonné, le bail en cours est prorogé de plein droit jusqu'à la fin de l'année culturale pendant laquelle l'autorisation devient définitive. Si celle-ci intervient dans les deux derniers mois de l'année culturale en cours, le bail est prorogé de plein droit jusqu'à la fin de l'année culturale suivante.
7. S'il apparaît, fût-ce rétrospectivement, qu'à la date d'effet du congé, la reprise n'était pas soumise à autorisation, le sursis à statuer qui aurait cependant été prononcé n'a pu entraîner la prorogation du bail et, par suite, le report de la date d'appréciation des conditions de la reprise.
8. La cour d'appel a, d'abord, relevé que l'article L. 331-2, II, du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction antérieure à la loi d'avenir pour l'agriculture du 13 octobre 2014, prévoyait qu'était soumise à déclaration préalable la mise en valeur d'un bien agricole de famille lorsque trois conditions étaient remplies, que cette loi avait ajouté une quatrième condition tenant à un seuil de surface fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles et que ce seuil avait été fixé par l'arrêté du préfet de la région Bretagne du 28 juin 2016.
9. Elle a, ensuite, à bon droit, retenu que les conditions du régime applicable au contrôle des structures devaient être appréciées à la date à laquelle le congé devait prendre effet, soit le 29 septembre 2015, et que si, à cette date, la loi du 13 octobre 2014 était applicable, le schéma directeur n'était pas fixé de sorte que la quatrième condition n'était pas déterminée à cette date et était inapplicable à M. [T] [B], et relevant que ce dernier remplissait les trois premières conditions pour bénéficier du régime dérogatoire de la déclaration le 29 septembre 2015, elle en a exactement déduit que la reprise du bien loué n'était pas subordonnée à une autorisation d'exploiter.
10. Ayant ainsi fait ressortir que le sursis à statuer qu'elle avait précédemment ordonné n'avait pas entraîné la prorogation de la durée du bail et donc le report de la date d'appréciation des conditions de la reprise, dès lors qu'il apparaissait, rétrospectivement, que la reprise n'était pas soumise à autorisation, elle s'est, à bon droit, placée à la date d'effet du congé pour apprécier sa validité, sans heurter l'autorité de la chose jugée attachée à la décision du juge administratif, qui n'avait pas le même objet et ne concernait pas les mêmes parties.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [K] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [K] et le condamne à payer à M. et Mme [B] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le sept mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.